Cela ne me fait ni chaud ni froid d’entendre mon voisin dire qu’il existe une vingtaine de dieux ou qu’il n’en existe aucun. Cela ne m’empêchera pas de dormir."Avec cette affirmation, Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, s’illustrait comme un avatar des "Lumières américaines" et un défenseur de la liberté religieuse outre-Atlantique. Mais aussi comme un "athée", ou du moins un "déiste", aux yeux des puristes religieux, sa foi faisant toujours polémique à l’heure actuelle.
La déclaration est d’autant plus mémorable qu’elle fut prononcée par un père fondateur d’un Etat où le président prête encore serment la main posée sur la Bible, où les devises religieuses - "In God We Trust", "One Nation under God", "God Bless America" - abondent. Et qu’aujourd’hui, de telles paroles sortent rarement de la bouche des prétendants à la Maison-Blanche.
Les candidats à la présidentielle, qu’ils soient républicains ou démocrates, rivalisent plutôt dans l’étalage de leur foi, de leur pratique régulière de la prière et de leurs connaissances de la Bible - ou "The Book", comme diraient les Américains. Les uns se mettent en scène dans des églises aux côtés des pasteurs, les autres promettent des amendements constitutionnels pour interdire l’avortement ou réinstaurer la prière dans les écoles. La preuve que si le premier amendement à la Constitution américaine garantit la liberté de religion, il n’affranchit pas de celle-ci.
Certes, "il a toujours été inconcevable, pour les Américains, d’être athée. Environ 58 % d’entre eux pensent qu’on ne peut être un dirigeant moral que si on a la foi", explique Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles et spécialiste de la politique américaine.
D’ailleurs, si les "nones", à savoir les Américains qui n’appartiennent à aucune Eglise, sont en augmentation aux Etats-Unis et représentent près d’un quart de la population, seuls 3 % d’entre eux sont athées. Dès lors, "un candidat qui se revendiquerait comme athée n’a aucune chance parce qu’il va s’aliéner les croyants, qui votent beaucoup, et il ne va pas forcément séduire toute cette nébuleuse de non-affiliés", analyse M. Henneton.
Mais l’entrée en force du religieux dans la politique électorale est un phénomène récent. "Il y a un regain de religiosité ostentatoire dès les années 50. Si on ne vous voyait pas à l’église, ça voulait dire que vous n’étiez pas croyant, et si vous n’étiez pas croyant, ça voulait dire que vous étiez communiste", précise Lauric Henneton.
Ainsi, Jimmy Carter, président démocrate entre 1977 et 1981, a-t-il fait de sa foi le fondement de sa campagne et la méthode a porté ses fruits. A tel point que Républicains et Démocrates se disputent depuis le prix du "plus chrétien des chrétiens". La conquête des électeurs évangéliques blancs rapporte au parti de Lincoln la victoire aux présidentielles de 1980, 1988, 2000 et 2004. Et les Démocrates ne tardent pas à emboîter le pas, Al Gore ne cessant de faire grand cas de son expérience de "born-again Christian" (chrétien du renouveau).
Plus récemment, le milliardaire Donald Trump, ne parvenant pas à se créer une image de parfait pratiquant, essaie plutôt de semer le doute quant à la foi de son adversaire. "On ne connaît rien sur Hillary en termes de religion", a-t-il déclaré, bien que la candidate démocrate ne cesse de vanter les enseignements qu’elle a tirés du méthodisme.
La religion n’occupe certainement pas une place centrale dans cette élection présidentielle. Donald Trump, par exemple, "n’est pas très pratiquant, il ne parle pas le ‘God talk’ , cette espèce de langage codé que comprennent les évangéliques. Et pourtant, ces derniers semblent se rallier derrière lui", selon M. Henneton. D’après une étude du Pew Research Center, 56 % des Républicains estiment qu’il serait un bon président même s’ils ne sont que 5 % à le considérer comme très religieux.
Mais le succès du sulfureux candidat auprès de certains évangéliques tient aussi de l’effet repoussoir du nom "Clinton". "Les Clinton représentent les baby-boomers, la révolution sexuelle, le libéralisme sociétal des années 60 qui, pour ces gens-là, est associé à un déclin moral, à la rupture avec l’âge d’or du conformisme des années 50,", explique Lauric Henneton.