Le poids des minorités

Les Latinos en faiseurs de Présidents

  • Par: Philippe Paquet

Les immigrés hispanophones pèsent de plus en plus lourd électoralement. Tout candidat se doit de ne pas l’oublier.

En couvrant d’opprobre les immigrants mexicains le jour même où il annonçait sa candidature à l’élection présidentielle, Donald Trump a d’emblée hypothéqué lourdement ses chances de l’emporter. Les clandestins, certes, ne votent pas. Mais en les assimilant à des criminels, le candidat républicain a globalement insulté une communauté latino-américaine dont le poids électoral va croissant. En promettant d’expulser ceux de ses membres qui sont en situation irrégulière, tout en élevant un mur le long de la frontière avec le Mexique (pays par ailleurs grossièrement sommé d’assumer le coût de l’entreprise), il a exprimé un manque d’empathie avec la population hispanophone des Etats-Unis qui devrait se payer chèrement, le 8 novembre.

Donald Trump aurait dû le savoir. Cela fait des lustres que les stratèges mettent en garde le Parti républicain contre les conséquences de l’évolution démocratique, et le poussent à courtiser des électeurs latinos qui, jusqu’ici, ont préféré accorder leurs suffrages aux Démocrates. Les "Hispaniques" se profilent, en effet, en force politique que plus personne ne peut se permettre de négliger. Ils constituent d’ores et déjà la première minorité ethnique des Etats-Unis, avant les Afro-Américains, et forment la communauté qui grandit le plus rapidement : ils représentent 17 % de la population, mais 26 % des naissances aux Etats-Unis.

Au sein de l’électorat, ce sont les Latinos qui progressent également le plus vite : un accroissement de 17 % en 2016 par rapport au précédent scrutin présidentiel en 2012. Inexorablement, ils grignotent l’avantage historique de la communauté blanche dont le nombre d’électeurs n’a, quant à lui, augmenté que de 2 % sur la même période. Dans l’ensemble, observe le Pew Research Center, quasiment un électeur sur trois (31 %, contre 29 % en 2012) appartiendra cette année à une minorité ethnique, qu’il soit latino, noir, asiatique ou autre. La part des électeurs blancs stricto sensu aura parallèlement régressé de 71 % à 69 %.

Un vote bientôt prépondérant

A l’échelle nationale, le changement n’est sans doute guère perceptible : les 70 millions d’électeurs minoritaires sont encore écrasés par les quelque 156 millions d’électeurs blancs. Toutefois, la Maison-Blanche ne se gagne pas en remportant le vote populaire, mais en additionnant les "grands électeurs" obtenus dans chaque Etat. Or, dans certains Etats, le vote latino est déjà substantiel et pourrait devenir prépondérant. C’est vrai dans les bastions traditionnels de la communauté, comme la Floride, la Californie ou le Nouveau-Mexique, mais c’est maintenant le cas également ailleurs, par

exemple dans le Nevada ou le Colorado, et surtout au Texas, le plus gros enjeu électoral. Il n’est pas jusqu’à la Géorgie, solide Etat du "Sud profond", qui ne commence à ressentir les effets de l’immigration hispanophone.

Le poids d’un seul comté

Le système électoral américain amplifie ce phénomène. L’issue d’un scrutin présidentiel peut se jouer dans un seul Etat, comme l’a rappelé, en 2000, le bras de fer entre George W. Bush et Al Gore en Floride. En vertu du principe "winner-take-all" (le vainqueur enlève toute la mise), le résultat dans un Etat peut lui-même dépendre du vote dans une de ses circonscriptions électorales, et celui-ci peut en dernier ressort être déterminé par la performance des candidats dans un seul comté.

On comprend que, là où les Latinos représentent jusqu’à 60 % des électeurs, comme dans certaines circonscriptions de la Floride, il vaut mieux les avoir dans son camp. C’est pourquoi, à la différence de Donald Trump, Hillary Clinton a voulu les choyer, notamment en choisissant pour colistier Tim Kaine, quelqu’un qui a fait du travail humanitaire au Honduras et parle couramment l’espagnol.

  • Par: Philippe Paquet