Portrait

Le milliardaire qui voulait s’offrir le Bureau ovale

  • Par: Maria Udrescu

Le Républicain a bouleversé son parti et les codes de la politique.

En fond, une musique d’action au rythme angoissant. Des images se succèdent à une vitesse frénétique. Toutes présentent un seul homme, le regard froid, la cravate rouge, les cheveux blonds. “Ceci est une dictature et je suis le dictateur” , affirme-t-il, les sourcils froncés. Le générique prend fin. Et l’Amérique profonde découvre Donald Trump.

Son émission “The Apprentice”, diffusée pendant dix ans sur la “NBC”, s’arrête en 2015. Mais le reality show continue. Dans la campagne présidentielle, cette fois. “The Donald” change de scène, mais pas de style. As du marketing et génie du théâtre télévisé, il pratique l’art du spectacle à merveille. Insultes, remarques misogynes ou racistes, mensonges. Rien n’est trop osé, tout est permis. Les journalistes ? Des menteurs. Les Mexicains ? Des violeurs. La Chine ? Un ennemi économique. Le président russe Vladimir Poutine ? Un bon leader. Plus c’est gros, plus les médias en parleront.

Un goût de la victoire

La course à la Maison-Blanche, qui s’annonçait bien terne – la dynastie Clinton devait s’opposer à la famille Bush –, est devenue une série télévisée semée de rebondissements. “Donald Trump a fracassé non seulement la physionomie de cette élection mais aussi les codes de comportement politique pour toujours” , observe Christine Ockrent, auteure du livre “Clinton/Trump, L’Amérique en colère”.

Une partie du Grand Old Party a assisté, impuissante, à l’ascension de ce vulgaire personnage qui remue les relents les plus extrémistes du parti. Peut-être que le milliardaire lui-même ne pensait pas gagner les primaires républicaines. Lui qui “s’est engagé dans cette campagne juste par goût de la combativité, de la victoire, pour se donner de nouveaux horizons” , selon Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

Le nom Trump s’étale déjà en lettres d’or sur des gratte-ciel, des hôtels, des terrains de golf. Il surgit dans les assiettes, avec les steaks Trump. Ou sur les syllabi de la Trump University qui fut poursuivie par des étudiants mécontents de la qualité des cours. Il ne manquait plus au milliardaire de 70 ans que de placarder son nom sur la porte du Bureau ovale.


trumpportrait

L’argent est roi

Tantôt démocrate, tantôt républicain, Donald Trump “est d’abord un homme d’affaires qui n’a pas de doctrine politique” , observe Jérôme Jamin, spécialiste des extrémismes à l’Université de Liège. Il aime gagner. Tout autant qu’il aime l’argent. The Donald s’entête à se forger une image de “self-made-man”, alors qu’il a hérité des 200 millions de dollars de son père. Sa fortune fonde la majorité de ses arguments de campagne. Il serait indépendant des sponsors parce qu’il n’a pas besoin de leur financement. Il pourrait rendre à l’Amérique sa grandeur parce qu’il sait faire de l’argent. Et “ça fonctionne dans un pays qui valorise l’enrichissement personnel” , précise Mme Naves. Pourtant, son parcours en affaires n’est pas irréprochable. En 18 ans, il a fait quatre fois faillite. Mais Trump n’y voit qu’une preuve de sa force de caractère et de sa capacité à se relever.

Les journalistes n’ont pas manqué de fouiller ses placards pour en sortir de nombreux squelettes. Mais ni les accusations de discrimination raciale à l’encontre de locataires, ni l’emploi d’ouvriers polonais sans papiers pour construire la Trump Tower, ni sa réputation de magouilleur n’ont fait de l’ombre au géant de l’immobilier. “Les faits n’ont plus d’importance. Ce sont les émotions, les troubles identitaires qui dominent” , pointe Mme Ockrent.

Et ça, le Mogul ne le sait que trop bien. “Il a saisi l’exaspération des classes populaires qui se sont senties trahies après la crise de 2008. Et il a compris la peur d’une partie de l’Amérique face à l’immigration et à l’islam. Aussi, il sert de boomerang anti-Obama” , analyse Mme Naves. Le milliardaire fustige les élites alors qu’il en fait partie. Il fulmine contre ces entreprises qui trahissent l’Amérique en délocalisant leurs activités, alors que lui n’a pas payé d’impôts pendant dix-huit ans. Il peste contre la corruption alors qu’il en est accusé. Il dit tenir un discours vrai, alors qu’il est truffé d’estimations. Peu importe. “C’est ce que les gens ont envie d’entendre parce qu’ils ne font plus confiance à la classe politique, explique M me Naves . Ils estiment avoir déjà essayé tous ces politiciens ultratechniciens qui les ont déçus. Et se disent ‘pourquoi ne pas essayer Donald Trump ?’ ” .

  • Par: Maria Udrescu