Les Présidents au cinéma

Le show politique sur les écrans

  • Filmographie :Alain Lorfèvre


Le ferment de la nation

Au contraire de leurs homologues européens, le cinéma et la télévision américains n’ont jamais éprouvé le moindre scrupule à représenter le pouvoir, et encore moins le président des Etats-Unis. Cela tient sans doute à la nature égalitaire de la démocratie américaine, pour laquelle aucun élu n’est considéré comme au-dessus du peuple.

Dans les multiples incarnations du président des Etats-Unis - impossible de les recenser toutes ici - le cinéma et la télévision ont accompagné, parfois anticipé, les évolutions de la fonction et de la société.

Durant la première moitié du XXe siècle, le président américain demeure une figure positive et, même, sacralisée.

Sans surprise, c’est le président ayant préservé l’unité de la nation, Abraham Lincoln, qui fut le premier représenté à l’écran et qui demeure le plus prisé. Depuis When Lincoln Paid (Francis Ford, 1912) jusqu’au Lincoln de Steven Spielberg (2012), en passant par Vers sa destinée (John Ford, 1939), il a été incarné pas moins de 130 fois.

Second choix préféré des réalisateurs et scénaristes, Ulysses S. Grant est apparu dans près de cinquante œuvres, mais plus grâce à ses qualités militaires : il fut d’abord le généralissime des armées nordistes durant la Guerre de Sécession.

Le président de la Seconde Guerre mondiale, Franklin D. Roosevelt, est représenté dans une trentaine d’œuvres, le plus souvent durant la période troublée des années 1941-1944. Son oncle Theodore, qui a forgé l’impérialisme américain, le dépasse de peu (34 incarnations).

A contrario, les deux autres présidents les plus prisés du cinéma se trouvent parmi ceux qui ont divisé l’opinion ou laissé une trace plus discutable : les Républicains Richard Nixon et George W. Bush, interprétés trente-six fois chacun.



Politique spectacle

Dans les années 1930-1940, plusieurs réalisateurs issus de l’immigration - dont Frank Capra (né en Italie) et John Ford (d’ascendance irlandaise) - louent à travers les films présidentiels ou politiques le modèle de la démocratie américaine.

Le krach boursier de 1929 et la Grande Dépression introduiront toutefois quelques nuances, avec les premiers films dénonçant l’emprise du monde des affaires et la corruption à Washington (Monsieur Smith au Sénat, Frank Capra, 1939) où les politiciens fantoches servent l’intérêt des lobbies et du big business.

Dans Citizen Kane (Orson Welles, 1941), inspiré de William Randolph Hearst, un magnat de la presse épouse une fille de président et se présente à un poste de sénateur, dans l’espoir d’accéder un jour à la fonction suprême. De même, dans L’Enjeu (Frank Capra, 1948), un groupe de presse tente d’imposer son candidat à la Maison Blanche.

La médiatisation accrue des campagnes électorales avec l’avènement de la télévision voit émerger dans les années 1960 des films dépeignant - sous un jour guère reluisant - les coulisses des campagnes. Que le meilleur l’emporte (Franklin J. Schaffner, 1964) opposait durant la primaire d’un parti non identifié un candidat réfléchi issu du sérail (Henry Fonda, dont le personnage était inspiré par Adlai Stevenson, candidat en 1952 et 1956) à un populiste anticommuniste (Cliff Robertson, dont le personnage mixait John F. Kennedy et Richard Nixon). L’opposition entre idéalisme et cynisme a fait florès à l’écran jusqu’à Les Marches du Pouvoir (George Clooney, 2011).

Sur l’avènement de la politique spectacle et sa vacuité, on retient Le Candidat (Michael Ritchie, 1972), qui suit l’ascension inattendue d’un outsider incarné par Robert Redford. Les thèmes au cœur de la campagne du film - insécurité, aide sociale, racisme, stagnation des revenus, délocalisation - n’ont guère changé…



Complots et scandales

L’assassinat du président Kennedy, en 1963, et les thèses complotistes qu’il a engendrées ont nourri une vague de films complotistes. Dans Un crime dans la tête(John Frankenheimer, 1962), un vétéran de la guerre de Corée, qui a subi un lavage de cerveau, est téléguidé par des Communistes pour assassiner le candidat à la présidence. A cause d’un assassinat (Alan J. Pakula, 1974) ou Blow Out (Brian De Palma, 1981) imaginent des complots fomentés par des lobbies polotico-industriels.

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Le premier débute par le meurtre d’un candidat qui fait écho à l’assassinat de Robert Kennedy en 1968. Le second s’inspire très librement de "l’incident de Chappaquiddick", en 1969, qui ruina les ambitions présidentielles de Ted Kennedy.

Avec le même motif final d’un assassinat politique, The Dead Zone (David Cronenberg, 1983), d’après un roman de Stephen King, montre un président populiste (Martin Sheen) déclencher une guerre nucléaire, pratiquement sur un coup de tête - une scène qui doit hanter les anti-Trump…

Richard Nixon, président déchu suite au scandale du Watergate, reste un des plus représentés à l’écran (36 fois), jusqu’au tout récent Elvis & Nixon (Liza Johnson, 2016). Adapté d’une pièce de théâtre, Secret Honor (Robert Altman, 1984) montrait un homme déchu et mégalomane, ruminant sa chute entre deux verres de whisky. Un portrait d’autant plus audacieux que Nixon était toujours en vie. Oliver Stone (qui a consacré trois films à trois figures présidentielles) en a brossé un portrait pluriel, sous les traits d’Anthony Hopkins dans Nixon (1995).

Désacralisé, le président a été montré dans les années 1990 tentant de couvrir ses frasques sexuelles (Wag the Dog de Barry Levinson, 1997 et Primary Colorsde Mike Nichols, 1998), voire carrément le meurtre de sa maîtresse (Les pleins pouvoirs de Clint Eastwood, 1997).



Nouveaux visages de la présidence

Ces vingt dernières années, le président des Etats-Unis est devenu une figure de fiction comme une autre. Il a été jusqu’à faire le coup-de-poing dans Air Force One (Wolfgang Petersen, 1997), dégommer des aliens dans Independence Day (Roland Emmerich, 1996) ou vivre une seconde romance dans Le président et Miss Wade (Rob Reiner, 1995).

Sur un mode plus sérieux, le président est aussi devenu personnage principal de séries politiques, décrivant plus ou moins fidèlement les arcanes du pouvoir. Les deux plus célèbres sont A la Maison Blanche (1999-2006), avec Martin Sheen (qui a aussi incarné JFK dans une mini-série), et House of Cards, avec Kevin Spacey, dont le personnage, Frank Underwood, devient président au terme d’une vengeance politique.

Avant l’avènement de Barack Obama, quelques présidents de fiction noirs, notamment le très charismatique et compétent David Palmer (Dennis Haysbert) dans la série 24 heures chrono (2001-2014), avaient préparé l’opinion publique américaine (et internationale) à l’élection d’un Afro-Américain à la Maison-Blanche. Le premier des présidents afro-américains de fiction remonte à plus de quarante ans : James Earl Jones dans l’adaptation du roman d’Irving Wallace, The Man (Rod Serling, 1972).

Mais le poste s’est aussi féminisé. Geena Davis a occupé le fauteuil présidentiel dans la série Commander in Chief (2005-2006), succédant au président après sa mort. Prison Break (2005-2009) a montré une vice-présidente convoitant le pouvoir au nom d’une organisation secrète.

Mais le prototype fictionnel de la peut-être future première présidente des Etats-Unis est évidemment Claire Underwood (Robin Wright), First Lady et intrigante en chef de la série House of Cards dont l’instinct politique et la froideur implacable n’ont rien à envier à ceux de son modèle manifeste.

  • Filmographie :Alain Lorfèvre