Europe

Américains et Européens, des cousins qui s’éloignent

  • Par: Gilles Toussaint

L’Europe n’est à l’évidence plus la priorité des Etats-Unis. Et elle n’est pas près de le redevenir.

Donald ou Hillary ? La réponse à cette question revêt une importance toute particulière de l’autre côté de l’Atlantique. Déjà mal en point, l’Union européenne ne peut en effet pas se payer le luxe de voir ses futures relations avec le "grand frère" américain se dégrader.

Cette hypothèse, qui vaut essentiellement en cas de victoire de Donald Trump, tient-elle pour autant la route ? Tout le monde ne le pense pas. "Je ne m’attends pas à des virages majeurs. Trump sera rattrapé par le principe de réalité et devra s’adapter aux faits", commente un diplomate qui fut un temps en poste à Washington. "En politique internationale, il y a toujours une certaine continuité", relève-t-il.

L’inconnue résidera surtout dans la façon dont s’entourerait le milliardaire américain. Là où Hillary Clinton peut se reposer sur une équipe de collaborateurs et de conseillers rodés (notamment des personnes qui occupaient des postes clefs lorsqu’elle était secrétaire d’Etat) qui pourrait rapidement être opérationnelle, son concurrent paraît bien démuni. "On risque de voir arriver des gens inexpérimentés, voire des ‘vieux’ de l’époque Reagan. Tout cela aura une influence sur l’accent qui sera donné à la politique étrangère." Et aux relations euro-américaines, donc.

Mais sur le fond, ajoute notre interlocuteur, que Clinton ou Trump soit aux manettes, les "Américains voient les relations internationales sous l’angle des résultats plutôt que de l’émotion". Pour les Etats-Unis, les défis se situent aujourd’hui principalement en Chine et en Asie. "Pour ce qui est de l’Europe, ils feront surtout en sorte que le bazar ne s’effondre pas et qu’il n’y ait pas de nouvelles crises où ils devraient intervenir - dans les Balkans, par exemple."

Le désengagement américain

Professeur de relations internationales à la Sorbonne et chercheur invité à la Transatlantic Academy de Washington, Frédéric Bozo nuance quelque peu cette analyse. "C’est vrai qu’en 1980 Ronald Reagan avait aussi annoncé diverses remises en cause qui ont inquiété les Européens et qui n’ont pas débouché sur le drame que certains craignaient. Mais on perçoit tout de même une réelle inquiétude, ici. Parce que la victoire de Trump n’est pas totalement exclue et que son attitude est sans précédent pour un candidat à la présidentielle. Il va très très loin dans la remise en question de l’ordre international et semble à des années-lumière de ce qu’a été le consensus bipartisan américain sur la politique étrangère, le multilatéralisme et les relations avec l’Europe."

Hillary Clinton présente, pour sa part, un profil plus rassurant pour les Européens. "On peut penser que Madame Clinton serait une présidente plus activiste par rapport à Obama, qui s’est désintéressé de l’Europe sur le plan pratique et dont l’héritage est avant tout d’avoir mis fin à l’interventionnisme excessif des Etats-Unis", poursuit Frédéric Bozo.

Mais la marge de manœuvre restera limitée. Si l’instinct naturel d’Hillary Clinton pourrait la pousser à rebâtir "une relation transatlantique plus substantielle", elle devra de toute façon composer avec une opinion publique "qui se détourne de plus en plus d’un certain nombre de dossiers multilatéraux comme celui du commerce". Sur ce point, on peut d’ailleurs considérer que le projet d’accord de libre-échange avec les Européens (le fameux TTIP) est gelé pour un certain temps ; que ce soit Mr Trump ou Mme Clinton qui accède à la Maison-Blanche.

Un populisme durable

Comme notre diplomate, Frédéric Bozo estime que du point de vue des intérêts propres des Etats-Unis, les problèmes actuels que connaît l’UE ne sont pas suffisamment inquiétants pour justifier "un retour à une relation traditionnelle où l’Europe serait sous la tutelle de l’Amérique. Je pense que ce temps-là est dépassé". La volonté est clairement présente de voir les (toujours) Vingt-huit prendre leur destin en main.

Reste un constat plus inquiétant sur le long terme : l’enracinement du populisme aux Etats-Unis. "Même si Hillary Clinton est élue, le phénomène qu’incarne Trump est une réalité durable. Il est évident que cette élection, quel que soit son résultat, marque une étape dans la distanciation entre Europe et Etats-Unis." Un phénomène de nature à entretenir dans certains pays européens "un sentiment d’antiaméricanisme qui, au fond, n’a jamais totalement disparu".

  • Par: Gilles Toussaint