Le poids des réseaux sociaux

L’opinion publique succombe aux clics

  • Par : Alain Lorfèvre

La campagne électorale se suit et se gagne aussi sur les réseaux sociaux, désormais déterminants.

Il est désormais inconcevable pour tout état-major de campagne électorale de se passer des réseaux sociaux. Et il est indéniable que ceux-ci ont largement contribué au phénomène Trump, comme ce fut le cas lors de la première campagne présidentielle de Barack Obama. En 2008, il fut le premier candidat à faire un usage roué des réseaux sociaux.

Le futur président des Etats-Unis avait su y capter un électorat jeune, progressiste et constitué de ce que l’on appelle, dans le jargon, des "prescripteurs", qui lui avaient offert une caisse de résonance vers un large électorat.

Facebook, première source d’info

Depuis l’an 2000 et la campagne opposant le Républicain George W. Bush au Démocrate Al Gore, le Pew Research Center, un organisme de recherche indépendant américain, analyse l’usage d’Internet et des réseaux sociaux. Il établit que, désormais, 65 % des citoyens américains suivent la campagne sur le web, contre 25 % en 2000.

Cette progression s’accompagne d’une évolution récente significative : en juin et juillet, plusieurs études internationales ont confirmé, chiffres à l’appui, qu’au cours des dix-huit derniers mois les réseaux sociaux - Facebook en tête - sont devenus le premier point d’entrée de l’information pour 62 % des Américains (1). C’est le double d’il y a trois ans.

Autre nouveauté, qui n’est pas sans poser des questions : parmi leur source d’information primordiale, une majorité de citoyens américains ne citent plus les organes d’information traditionnels (presse, radio, télévision) mais les sites officiels des candidats.

Donald Trump, champion des réseaux sociaux

Un quart des électeurs potentiels déclaraient en juillet s’informer principalement sur l’évolution de la campagne à travers les messages des comptes de Donald Trump et d’Hillary Clinton (2). De surcroît, les sites officiels de Donald Trump et d’Hillary Clinton ne présentent plus de section "news" reprenant les articles de presse qui leur sont consacrés (Obama avait initié cette pratique lors de la campagne de 2012).

Donald Trump en a d’ailleurs fait un argument de campagne, dénigrant systématiquement les "déformations" des médias traditionnels, supposés partiaux et trop"gauchistes" à ses yeux.

Suivi par quelque 10 millions de personnes sur Twitter et 9 millions sur Facebook, Donald Trump devance largement Hillary Clinton (quelque 7 millions et 4 millions). Cela reste toutefois moins que l’engouement que suscitait Barack Obama en 2012 avec 27 millions d’abonnés sur Facebook et 18 millions sur Twitter.

Le Pew Research Center, comparant l’activité en ligne des candidats républicains et démocrates, a noté que si Donald Trump, Hillary Clinton et Bernie Sanders ont un nombre équivalent de messages postés quotidiennement, ceux du Républicain étaient jusqu’à quatre fois plus partagés que ceux de la candidate démocrate.

Le candidat républicain utilise les réseaux sociaux pour attaquer ses adversaires et susciter des controverses. Il a compris le pouvoir viral d’une polémique et que, même mauvaise, toute publicité est bonne à prendre. Il peut compter sur les très actifs réseaux en ligne de l’ultra-droite américaine, une mouvance qu’on appelle l’"Alt-Right". Elle dispose de sites d’information militants, qui ne s’embarrassent guère de déontologie, comme, notamment, Breitbart Media (lire pages 24-25). Le directeur du groupe, Stephen Bannon, est devenu le directeur de campagne de Donald Trump en août - imaginez Eric Zemmour prendre en charge celle de Nicolas Sarkozy…

Deux milliards de dollars gratis

Le "New Tork Times" a évalué que la couverture médiatique de la campagne de Donald Trump équivalait à cinq fois l’investissement de son budget de communication - pour un montant estimé à deux milliards de dollars (3).

Les médias américains ont été piégés entre leur propre tentation de "faire du clic" et la contrainte de couvrir le débat suscité par les outrances du candidat. Le président de la chaîne de télévision CBS Leo Moonvis le résumait sous forme de terrible aveu en mars : "[Donald Trump] n’est peut-être pas bon pour l’Amérique mais il est vachement bon pour [les audiences de] CBS."

Mais cette addiction aux réseaux sociaux est aussi la faiblesse du candidat républicain. "On ne gouverne pas en 140 caractères" (le format maximum d’un message sur Twitter) lui ont assené certains opposants. Et Hillary Clinton l’a chambré en un tweet assassin : "On ne confie pas l’arme nucléaire à un homme qu’on provoque avec un tweet" (4).

  • Par : Alain Lorfèvre