Il n’y a pas de petit profit pour financer sa campagne

  • Par :Sabine Verhest

La campagne présidentielle engloutit des sommes folles. Tous les billets verts sont bons à prendre.

Hey, venez voir les nouveautés en magasin !", appâte un mail envoyé au nom de la candidate démocrate par le fonds de soutien Hillary Victory Fund. "Le jour de l’élection approche - assurez-vous d’avoir votre accessoire Hillary !" Des vêtements, des autocollants, des verres, des livres à colorier ou des sacs en signe de soutien à "Madam President". Mais aussi des badges "Never Trump" montrant un milliardaire filant avec un sac de billets sur le dos, des T-shirts frappés d’un "Love trumps hate" ("L’amour est plus fort que la haine").

Un petit tour dans le magasin virtuel du candidat républicain permettra de s’offrir une tasse "I ª Trump", un T-shirt "Build the Wall" ("Construisons le mur"), une casquette "Make America Great Again" ("Rendons à l’Amérique sa grandeur") ou des badges "Hillary for Prison".

La vente d’accessoires fait partie de la stratégie de financement de campagnes électorales américaines qui charrient des sommes de plus en plus astronomiques.

1. Comment les citoyens américains financent-ils un candidat ?
S’ils peuvent compter sur les fonds publics attribués par la Commission électorale fédérale, les candidats privilégient les investissements propres et les dons privés, qui leur offrent bien plus de souplesse dans leur utilisation. Après avoir déclaré pendant des mois que son incommensurable fortune (dont 47 millions de dollars empruntés pour l’occasion quand même) lui permettait de livrer campagne sans faire appel aux dons, Donald Trump a revu sa position cet été. Car, l’air de rien, les petits contributeurs, mis ensemble, jouent un rôle crucial dans le financement des activités électorales. Le Démocrate Bernie Sanders, en particulier, a pu compter sur les "small-dollar donors" : des 237 millions levés, 186 millions étaient issus de contributions inférieures à 200 dollars, selon la Commission électorale fédérale. Ainsi n’est-il pas rare, au cours d’une campagne américaine, de recevoir un mail personnalisé d’un candidat ou de son entourage, appelant à mettre la main au portefeuille, même pour quelques billets verts. Les contributeurs potentiels ont ainsi pu découvrir, dans leur boîte de réception, un mail intitulé "My mom", dans lequel Chelsea Clinton s’adresse à eux par leur prénom, pour leur exposer un portrait louangeur de sa maman et en appeler à un versement de 3 à 100 $. Les dons individuels étant plafonnés à 2 700 dollars, des Américains plus fortunés - des businessmen comme Tom Steyer, Fred Eychaner et George Soros, des artistes comme George Lucas et Ben Affleck, des politiciens, etc. - recueillent aussi les chèques d’amis, associés et autres proches, afin d’offrir des dizaines de milliers de dollars à leur candidat préféré. Un bon millier de ces "bundlers" ont ainsi déjà levé 113 millions en faveur d’Hillary Clinton, selon les informations fournies par la candidate démocrate elle-même. (Donald Trump n’ayant, pour sa part, rien voulu dévoiler à cet égard.) Le financement d’une présidentielle ne se limite bien entendu pas à ce genre de généreuses contributions.

2. Quelles organisations permettent-elles de soutenir un candidat ?
Il existe plusieurs types de groupes et organisations permettant d’influencer une campagne électorale de l’extérieur, de manière parfois très opaque d’ailleurs. C’est le cas, notamment, de groupes dits "501 (c) (4)", qui peuvent engager des montants illimités dans des activités politiques sans devoir rendre de comptes. Les traditionnels Comités d’action politique (PAC) se révèlent plus transparents à cet égard. La législation américaine permet aux membres de groupes d’intérêts - entreprises, lobbies, syndicats, etc. - de s’organiser en PAC afin de plaider une cause ou de vanter/moquer un candidat. Une pléiade d’acteurs, parmi lesquels Robert Downey Jr., Scarlett Johansson, Martin Sheen et Julianne Moore, ont ainsi mis leurs talents en vidéo au service du PAC "Save the Day" pour appeler les Américains à s’inscrire sur les listes électorales et faire barrage au Républicain. Les Comités d’action politique, autorisés à toucher des dons individuels jusqu’à 5 000 dollars, peuvent financer un candidat et un parti respectivement à hauteur de 5 000 et 15 000 dollars. Pour échapper à ce carcan, la Cour suprême permet, depuis 2010, à des super-PAC, comme on les appelle, de recevoir et dépenser sans compter. Les donateurs doivent accepter que leur nom soit communiqué à la Commission électorale fédérale et les super-PAC sont censés rester indépendants des candidats auxquels ils ne peuvent, contrairement aux PAC, octroyer d’argent. Alimentés par des corporations, des syndicats, des associations ou des individus fortunés, ces comités financent abondamment des campagnes publicitaires de louange et de dénigrement de Donald Trump et Hillary Clinton. Au 7 octobre dernier, les "super-PAC" avaient fait état d’1,1 milliard de dollars de recettes et de 685 millions de dollars de dépenses. Parmi eux, "Rebuilding America Now", qui soutient le candidat républicain, a par exemple dépensé 2,7 millions de dollars à encenser son poulain et quatre fois plus (11,2 millions) à torpiller son adversaire démocrate. De nombreux politiciens forment aussi des "Leadership PAC" qui permettent de lever de l’argent pour financer, non sans espoirs de voir leurs ambitions personnelles rétribuées, les campagnes de coreligionnaires. On les trouve moins chez les Démocrates que chez les Républicains, tel le député californien Kevin McCarthy qui s’est déjà délesté de 3 millions de dollars à cette fin.

3. Quels secteurs économiques contribuent-ils le plus ?
Au fil des ans, les lobbies mettent toujours plus la main au portefeuille. En 2016, ils se sont montrés largement plus généreux avec Hillary Clinton qu’avec Donald Trump, selon le site OpenSecrets, qui analyse les flux d’argent en politique. Visiblement, les soutiens traditionnels des Républicains, comme le secteur des hydrocarbures, préféraient financer d’autres candidats du Grand Old Party que le magnat de l’immobilier. Les banques et assurances, en tête des donateurs, ont déboursé 258 millions pour cette présidentielle, dont 80 millions en faveur d’Hillary Clinton. Suivent le secteur commercial (grande distribution, alimentation, tourisme, etc.) avec 72 millions, dont 20 à la candidate démocrate, et celui des communications avec 64 millions, dont 40 millions à Mme Clinton toujours.

4. Quelle influence l’argent a-t-il sur la politique américaine ?
Impossible de faire campagne sans argent. Au 10 octobre, l’ensemble des candidats à la présidentielle avaient levé 1,096 milliard de dollars et les super-PAC financé 526 millions, selon OpenSecrets. Aussi les candidats aux élections passent-ils un temps fou, "non pas à écouter des citoyens ordinaires, mais à rencontrer des personnalités fortunées et à imaginer comment les séduire. C’est un gros problème", constate le Pr Michael Bailey, politologue à l’université de Georgetown. "Un financement public serait meilleur mais on ne voit pas de mouvement en ce sens." Or, en mettant largement la main au portefeuille (et en le faisant savoir), des contributeurs espèrent bien entendu se ménager un accès au Bureau ovale et au Congrès. Des entreprises n’hésitent d’ailleurs pas à financer les Républicains autant que les Démocrates. L’argent définit les priorités des législateurs et influe considérablement sur les positions qu’ils défendent, estime Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, qui réclame inlassablement une réforme du financement politique. "L’omniprésence de l’argent rend notre pays ingouvernable", explique-t-il au "Monde". La législation sur le contrôle des armes à feu l’illustre très bien, selon lui : "88 % de la population étaient en faveur de la loi proposée par Obama", mais "le Congrès a botté en touche : personne à Washington ne veut se mettre à dos le lobby de l’armement". Pour le Pr Michael Bailey, en revanche, la situation ne se révèle pas si noire. "Il est trop facile de dire que ceux qui donnent beaucoup d’argent obtiennent tout ce qu’ils veulent et que le système est corrompu. P renez le cas de Jeb Bush, fils et frère de président, qui a levé 120 millions de dollars, une extraordinaire somme d’argent qui n’a servi à rien." Ni pour lui ni pour ses contributeurs. Alors oui, "Hillary Clinton va certainement écouter ce que les gens qui lui ont offert de l’argent veulent, et elle essayera de le faire de la manière la moins impopulaire possible. S’il n’y avait que de l’argent public, il y aurait des politiques différentes", pense le Pr Bailey. Mais, veut-il croire aussi, "Hillary Clinton aurait probablement la même vision générale des choses, tout comme Donald Trump".



  • Par :Sabine Verhest