in lies we trust

In Lies We Trust

  • Par : Alain Lorfèvre

La campagne 2016, comme celle du Brexit, consacre "l’ère post-vérité".

In God We Trust ("Nous croyons en Dieu"), la devise des Etats-Unis, pourrait être remplacée au terme de cette campagne présidentielle par "In Lies We Trust" ("Nous croyons les mensonges").

De tout temps électoral, les promesses non tenues ou les arrangements avec la vérité ont fait partie de la dialectique politique - Hillary Clinton en tête. Les électeurs du monde entier ne sont pas dupes. Mais la présente campagne présidentielle, tout comme celle du référendum européen au Royaume-Uni, a instauré ce que l’on qualifie désormais d’"ère post-vérité". Même la démonstration des mensonges, chiffres et faits à l’appui, n’a plus d’impact sur la perception des électeurs.


Le grand menteur


Le 16 septembre dernier, Donald Trump a lui-même mis un terme à un mensonge qu’il induisait depuis 2011. Depuis cinq ans, le milliardaire sous-entendait que le président Barack Obama n’était pas né aux Etats-Unis - et n’aurait donc pas dû être élu à la plus haute fonction. "Pourquoi Donald Trump a-t-il perpétué ce mensonge ?" s’interrogeait Michael Barbaro dans le "New York Times" le lendemain. Mais à peine le milliardaire avait-il admis que le président était bien né à Hawaï, qu’il… proférait un autre mensonge en prétendant que c’était Hillary Clinton qui avait lancé la rumeur en 2008…


La nouveauté de cette campagne, écrivait en septembre le prix Nobel d’économie et éditorialiste Paul Krugman, est que Donald Trump a instauré "la loi du grand menteur". "Pris isolément, ses mensonges sont de taille moyenne, sans être anodins pour autant. Mais ses mensonges sont constants, dans un flot continu. Ils ne sont jamais admis mais au contraire répétés."Selon Paul Krugman, les médias sont "déconcertés","incapables de croire, ou au minimum de déclarer publiquement, que le candidat d’un grand parti puisse proférer autant de mensonges." 173 mensonges en 30 minutes


Lors d’un pré-débat télévisé sur NBC, le 7 septembre dernier, Hillary Clinton et Donald Trump ont été interrogés séparément pendant trente minutes. Le site de vérification PolitiFact (www.politifact.com), qui scrute les déclarations de toutes les personnalités politiques américaines, a estimé que 173 (!) des affirmations du candidat républicain étaient fausses ou partiellement fausses.


Dès le début de sa candidature, il y a eu les affirmations outrageuses (assimiler les immigrés mexicains à des criminels violeurs), les déclarations outrancières (promettre de construire un mur à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, et le faire payer par le Mexique) et les exagérations éhontées (multiplier par trois le nombre estimé d’immigrants illégaux aux Etats-Unis).


Selon PolitiFact - détenteur d’un Prix Pulitzer pour son travail de "fact-checking" -, depuis l’annonce de sa candidature à la présidence, seules 15 % des déclarations publiques du milliardaire sont "vraies" ou "globalement vraies". En toute logique, Donald Trump a reçu le prix 2015 de "Menteur de l’Année"décerné par le site.


Affirmations dangereuses


Certaines des affirmations et insinuations de Donald Trump sont en outre dangereuses. Il a répété avec constance que le système électoral était "truqué"("rigged"), a tweeté que certains des électeurs de Barack Obama en 2012 étaient en réalité morts, qu’il y a eu des "bourrages d’urnes" durant les primaires ou que des personnes sans pièce d’identité ont pu voter. Conséquence : un récent sondage de l’institut Bloomberg révèle qu’un tiers des répondants pensent que l’élection de novembre pourrait être truquée. De quoi plomber la potentielle victoire d’Hillary Clinton et entretenir les thèses complotistes de l’ultra-droite.


Si Donald Trump est devenu l’incarnation de l’ère post-vérité, il n’est pas un phénomène isolé. En 2008, des Républicains radicaux ont suggéré que Barack Obama était musulman. Bien que démentie, la rumeur a fait florès. L’institut indépendant Public Policy Polling a établi en mars que 52 % des électeurs républicains y croient encore. Ce chiffre monte à 62 % parmi les supporters de Donald Trump, qui a entretenu le fantasme avec constance.


Même au sein du camp républicain, le malaise est profond. Vin Weber, ancien élu au Congrès, qui a débuté sa carrière juste après le Watergate, a rappelé que son parti avait poussé à l’époque le président Nixon à la démission "pour moins que ça". "C’est terrifiant : notre débat politique est devenu du niveau de celui d’un Etat du Tiers-Monde", estime l’ancien élu.


Méfiance vis-à-vis des médias


Démentir Trump est d’autant plus difficile que la confiance des Américains envers les médias n’a jamais été aussi faible : en 2015, l’ institut Gallup révélait que seuls quatre citoyens sur dix leur accordent encore du crédit. Chez les Républicains, la proportion est de 30 %.

Certains journalistes ont abdiqué leur mission. Après le débat télévisé de NBC du 7 septembre, l’animateur Matt Lauer a été étrillé pour n’avoir pas contredit le candidat républicain lorsqu’il affirma n’avoir pas soutenu les interventions en Irak et en Libye - mensonge dénoncé de longue date.


Pour la chercheuse Zeynep Tufecki , observatrice des médias et des nouvelles technologies, l’impunité de Donald Trump est "symptomatique de l’affaiblissement des médias et de leur incapacité à poser les limites de ce qu’il est acceptable de dire". Plusieurs commentateurs ont noté que cette campagne - comme celle du référendum britannique - "a fait voler en éclats la fenêtre Overton".


Nommée d’après son théoricien, Joseph P. Overton, le cadre de celle-ci délimite les opinions et débats généralement tolérés dans la sphère publique et politique. Il y en a ceux qui sont inhérents à la vie politique (la politique fiscale, la sécurité sociale), d’autres qui sont considérés comme des valeurs intangibles ou non négociables (condamner le meurtre), d’autres qui évoluent avec les sociétés (la peine de mort, l’égalité des sexes, le mariage homosexuel).

Avec Trump, "il n’y a plus de fenêtre Overton", conclut Zeynep Tufecki. "Et il n’y aura pas de retour en arrière."

  • Par : Alain Lorfèvre