Start Mass

Reportage et interviews : Isabelle Lemaire

Au centre Start Mass, on maintient les heroïnomanes en vie




Il est 8h30. Start Mass, un des centres d'accueil à bas seuil pour toxicomanes de la ville et le premier du genre à avoir été créé en Belgique, vient d'ouvrir ses portes. Ce n'est pas la grande foule. "On est en début de mois. Nos usagers ont touché ce qu'on appelle 'la sainte paie'. Cela signifie qu'ils consomment beaucoup (d' héroïne) et on constate une diminution de la fréquentation des consultations médicales ici. Beaucoup d'usagers prennent de l' héroïne et de la méthadone. Comme on ne les flique pas, on ne sait pas qui ne prend que de la méthadone", précise Philippe Bollette, le responsable du centre.



Nos usagers ont touché ce qu'on appelle 'la sainte paie'. Cela signifie qu'ils consomment beaucoup d' héroïne.

Situé dans une rue sur les hauteurs de la place Saint-Lambert, et donc non loin de la scène des drogues, Start Mass a une drôle de particularité : il occupe deux maisons non contiguës, les numéros 22, où se trouve le dispensaire, et 26 pour l'accueil et d'autres services. Comme le centre est ouvert 7 jours sur 7 (et jusqu'en 2006 24h sur 24), les nuisances subies par les voisins immédiats ont été nombreuses.



Moyenne d'âge des usagers en hausse

L'accueil est composé d'un comptoir ouvert derrière lequel se tiennent les membres de l'équipe, d'une petite pièce de vie avec tables et chaises, WC, fumoir, une télévision fixée au mur, une machine à café, un évier et une cuisinière. La décoration est très sobre. Quelques usagers mangent des tartines et boivent une tasse de café. On vient aussi à Start pour tuer le temps, rester au chaud et dans un certain confort, pour papoter. "La moyenne d'âge des usagers est de 40 ans. Quand le centre a été créé, elle était de 27 ans", signale Philippe Bollette. "Nous participons à la prévention des nuisances sociales et de la petite criminalité mais notre objectif, c'est de maintenir les usagers en vie. On a beaucoup moins d'overdoses que par le passé."




Si on ne fixe pas de règles ou qu'on ne les fait pas respecter, le centre imploserait au bout de quelques semaines ou mois.

L'ambiance est très calme, en ce jeudi matin. Il y a rarement des problèmes avec les usagers mais cela arrive tout de même : insultes, menaces, parfois de mort, crises liées à la frustration. D'où la présence de lourdes portes de sécurité et d'une caméra à l'entrée. "Elles ne servent pas souvent mais elles nous ont déjà bien aidés. Quand on a un usager en crise qui veut en découdre, c'est important", indique le responsable. "Il y a eu des exclus, à force de ne respecter aucune règle. Ils sont une minorité agissante qui posent problème partout où ils passent. On a eu récemment une personne qui venait manifestement à Start pour dealer. Si on ne fixe pas de règles ou qu'on ne les fait pas respecter, le centre imploserait au bout de quelques semaines ou mois."

Comme une famille

Start Mass propose des consultations médicales mais aussi une aide pour régler des problèmes administratifs, des activités sportives, un atelier cuisine et, au moins une fois pas semaine, un ramassage de matériel de consommation laissé dans l'espace public. Ce sont des usagers qui s'en chargent, encadrés par un éducateur. Le centre est devenu un foyer pour certains toxicomanes. "Un peu avant Noël, l'équipe prépare un repas et les usagers reçoivent un petit cadeau. Peu importe ce qu'on vit, Noël, c'est important. Pour beaucoup, il y a un décrochage avec la famille et nous en sommes un peu le substitut, même s'il y a une limite, une distance à maintenir de notre côté", souligne Esmeralda, un des membres de l'équipe.

Au dispensaire, on fait de la délivrance de méthadone en sirop à 80 centimes la dose, soit plus cher qu'en officine afin de ne pas tomber dans la concurrence déloyale. Passé la porte, l'usager se retrouve dans le sas de consommation, où il présente à l'infirmier son laisser-passer, un ticket bleu obtenu au numéro 26. Le passage de chaque patient est encodé.

La méthadone en sirop se trouve dans une grosse cruche pharmaceutique graduée en verre et munie d'une pompe. Elle est parfumée. Aujourd'hui, c'est à la framboise. Elle doit être consommée sur place, dans un gobelet tendu par l'infirmier et au guichet du sas, afin d'éviter la revente. La méthadone en gélules, qui pourrait se revendre facilement, n'est délivrée que pendant les vacances, à ceux qui partent à l'étranger et qui en fournissent la preuve.

Le rush à cause du manque

De bon matin, à l'ouverture de Start, il y a toujours un rush. "A cause du manque. Ils sont tous pressés." Il est déjà 11 heures mais les usagers défilent encore au dispensaire. Ils ne s'attardent pas : ils avalent leur méthadone et filent dans la minute. Pour certains, l'échange avec l'infirmier se résume à "bonjour, au revoir". D'autres échangent tout de même quelques mots.

"Quand on est sous traitement à la méthadone, cela va entraîner automatiquement une diminution de la consommation des produits de rue et de la petite criminalité qui l'accompagne", mentionne Philippe Bollette. "A Start, on n'est jamais dans l'éradication des problèmes mais dans leur diminution. Je suis intimement persuadé qu'en tant que centre d'accueil à bas seuil, nous résolvons plus de problèmes que nous n'en générons", ajoute-t-il.

Le lent retour à la vie de Michaël après la chute




Consommateur "d'un peu de tout" (mais pas d'alcool et de médicaments), surtout d' héroïne"car ça coûte moins cher", Michaël, 39 ans, est tombé dans la toxicomanie quand il avait 22 ans. "J'ai une fille. Bébé, quelqu'un l'a prise et sa tête a pété contre l'accoudoir du fauteuil. Quand on est allé à l'ONE avec sa mère, on nous a dit que sa boîte crânienne grossissait mais pas son cerveau. Ils en ont déduit que c'était le syndrome du bébé secoué. On nous a retiré la garde. Ma fille a été placée en pouponnière pendant trois ans. Et, avec sa mère, on est tombé dans la drogue", évoque-t-il.

"On n'allait pas en visite quand on était en manque. Pour le Service d'aide à la jeunesse, ce n'est pas l'idéal... Ils pensaient qu'on délaissait notre fille. On pouvait lui écrire qu'on pensait à elle, qu'on l'aimait, qu'elle nous manquait mais quoi d'autre ? 'Comment ça va à l'école ?' On a baissé les bras. Ca a été une descente aux enfers."



Manche, prostitution, débrouille

Comme tant d'autres femmes toxicomanes, la compagne de Michaël commence à se prostituer pour financer leur consommation. Lui fait la manche. Et quand ça ne suffit pas, il y a d'autres trucs. "On a revendu toutes nos affaires. En début de mois, on achetait une télé, par exemple, et quand on n'avait plus d'argent, on la revendait. Pour dix balles. Une télé à 100 euros. Pour acheter une bille. La seule chose qui compte, c'est de ne pas être en manque. C'est pour ça qu'on dit que les toxicomanes sont des voleurs. Ils ne volent pas parce qu'ils sont des voleurs mais bien pour obtenir leur drogue", explique Michaël.

En début de mois, on achetait une télé et quand on n'avait plus d'argent, on la revendait. Pour dix balles. Une télé à 100 euros. Pour acheter une bille.

Et puis, vient l'inévitable chute. "J'ai vécu à la rue pendant quatre ans. J'ai eu un peu de chance dans mon malheur : quelqu'un m'a donné une grande tente donc ça allait. C'était presque comme un appartement normal, à part qu'à la place des briques, c'était de la toile : une chambre, un coin cuisine/salon/salle à manger, un coin sanitaire et un garde-manger/débarras. J'étais installé à la Chartreuse (un domaine boisé situé sur la territoire de la ville de Liège qui comprend un ancien fort militaire, NdlR)."




Les dangers du camping sauvage

Un camping sauvage dans un coin isolé, comme on en trouve plusieurs à Liège, qui n'est pas sans risque. "La police passait de temps en temps pour voir qui était là, pour vérifier si quelqu'un n'était pas mort. Le problème, c'est qu'il y avait toujours des petits cons qui venaient saccager les tentes. Des jeunes qui font les malins. Ils jetaient des briques, qui ont déjà déchiré ma tente. J'ai failli mourir deux ou trois fois. Les gens sont inconscients... Et on m'a aussi volé des affaires. Ce qui a de la valeur, il faut toujours le garder avec soi. Il faut être tout le temps sur ses gardes", signale Michaël.

Il y avait toujours des petits cons qui venaient saccager les tentes. Des jeunes qui font les malins. Ils jetaient des briques.

Ennui, désœuvrement : sa consommation de drogue monte en flèche. "Quand on est à la rue, on nous demande de nous réinsérer dans la société mais, vu qu'on n'a pas de domicile, on ne peut pas suivre une formation et donc trouver du travail. Alors, on s'ennuie tellement qu'on prend de la drogue pour passer le temps, même quand on n'en a pas besoin. A la fin, j'en prenais plus pour passer le temps que pour me défoncer. Je consommais 2 grammes et demi d' méthadone en plus."



Voir la vie autrement

Il y a quelques mois, Michaël trouve la force de ne plus prendre d' héroïne. "J'ai arrêté parce que je n'avais pas le choix : soit je restais dans le fond du trou soit j'essayais de remonter. Ca a été dur mais là, je me suis relevé et je vois la vie autrement. J'ai eu un peu de chance et ça me redonne l'envie de me battre", dit-il. Il est sous méthadone. Il fréquente Start Mass pour recharger son GSM, prendre un petit-déjeuner, se changer les idées, discuter avec les autres usagers.

Depuis qu'il a arrêté l' héroïne, il a repris 10 kilos et envisage de prendre soin de lui. "Quand on se drogue, on ne pense pas à manger. Maintenant que je suis sorti de la came, j'aimerais bien me faire opérer des dents mais on m'a dit que ça faisait mal. J'ai une peur panique du dentiste depuis que je suis petit." Il a trouvé un petit appartement et bénéficie du Revenu d'intégration sociale. Il compte suivre une formation de carreleur.

Michaël estime ne pas encore être tiré d'affaire. "Peut-être que si certains voient que j'ai réussi, ils se diront que c'est possible pour eux aussi. C'est ce que je me dis pour me donner envie de me lever le matin."







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