Police

Par Isabelle Lemaire

Pourquoi la police est-elle muette ? Ou presque...



Nous souhaitions savoir comment la police traite du phénomène de la toxicomanie, du deal de rue, de la mendicité ; à quel point le travail lié à ces problématiques est prenant. La police liégeoise aurait-elle quelque chose à cacher ?

De toutes les personnes et institutions que nous avons contactées pour réaliser ce travail, le seul à nous avoir opposé un refus de collaboration, c'est Christian Beaupère, le chef de corps de la police de Liège. Sans aucune explication. Nous souhaitions savoir comment la police traite du phénomène de la toxicomanie, du deal de rue, de la mendicité ; à quel point le travail lié à ces problématiques est prenant. La police liégeoise aurait-elle quelque chose à cacher ?

Nous nous sommes alors référés au Plan zonal de sécurité 2014-2017 de la police de Liège, un épais document reprenant les objectifs de la police ainsi que des statistiques sur le travail policier (voir notre encadré).



Des abus nous sont rapportés

Nous avons également recueilli des témoignages anonymes, de toxicomanes, d'ex-consommateurs et de simples habitants de la ville. Ils nous ont parlé de "délits de sale gueule débouchant sur des contrôles musclés, même quand on ne pose pas de problème dans la rue ou qu'on ne consomme plus depuis des années", "des petites vexations au quotidien", "une indifférence des policiers au sort des plus fragiles", "très peu de présence policière dans les rues à problèmes". Un ancien toxicomane SDF qui a dormi dans des parkings souterrains évoque "un réveil à coups de pied par deux policiers qui m'ont frappé et qui ont même fini par sortir une arme à feu, me sommant de dégager".

Un toxicomane injecteur bien connu des services de police, qui consomme en rue et en groupe dans un lieu proche d'un centre d'accueil pour SDF, raconte. "Les policiers débarquent et jettent notre matériel de consommation dans le caniveau. Ils nous disent de dégager : 'on sait que vous êtes malades, que vous n'êtes pas des criminels mais, si vous êtes encore là en fin de journée, on va devenir méchant'."

Nous avons aussi tenté de faire parler des policiers en exercice, par la bande et sous le couvert de l'anonymat. Mais Christian Beaupère, informé de notre démarche, a alors fait circuler une note dans les commissariats stipulant l'interdiction aux policiers de parler à la presse. Nous avons tout de même trouvé des interlocuteurs, qui ont quitté les forces de l'ordre. Des ex-policiers qui nous expliquent que les agents travaillant dans l'hypercentre de Liège, où se concentrent les toxicomanes, subissent régulièrement de leur part insultes, crachats, menaces (parfois de mort), coups et rébellion lors des interpellations. "Il y a aussi la crainte d'être contaminé par la gale, le sida ou l'hépatite", nous dit-on.



Un éternel recommencement

Le travail est très chronophage, "et c'est un éternel recommencement : toujours les mêmes fauteurs de trouble, qui se livrent au deal et à la consommation de rue, à la mendicité agressive, au vol. On peut les arrêter, ils reviennent encore et encore. C'est un jeu usant du chat et de la souris". Alors, une forme de lassitude peut s'installer chez certains. D'autres craquent. "Tout dépend du caractère du policier. Un gars déjà un peu nerveux va se montrer plus brutal dans sa manière d'approcher les toxicomanes. S'il y a des abus commis par des policiers ? Oui, certainement."

Le rôle de la police ? Chasser les toxicomanes afin qu'on les voie le moins possible.

Pour un ancien policier : "le rôle de la police ? Chasser les toxicomanes afin qu'on les voit le moins possible. Quand on a une jolie ville, c'est merveilleux, ça attire du monde. Mais quand on a une ville où on voit des toxicomanes en train de se piquer, le chef de corps et le bourgmestre doivent se dire : 'je ne veux pas voir ça'. Donc je pense qu'on cherche à cacher, chasser les toxicomanes le plus possible. Mais ce n'est pas efficace car ils reviennent".

Réponse officielle a minima

Face à notre insistance à obtenir une interview où il aurait pu expliquer, qualifier et quantifier le travail des policiers, Christian Beaupère a finalement consenti à nous transmettre des réponses, plutôt convenues, voire très sommaires, écrites par sa cellule communication.

On nous rappelle que "la police est associée aux diverses actions menées par le Contrat de prévention de la Ville de Liège dans la lutte contre la toxicomanie. Elle est aussi membre de l’Observatoire liégeois des drogues". A la question : "d'où vient l' héroïne consommée à Liège ?", la police explique qu'elle provient "très majoritairement de filières hollandaises, implantées pour la plupart à Rotterdam. Pour assurer le commerce, elles utilisent des adresses relais en Belgique d’où la distribution au détail est organisée." Les filières sont "structurées et hiérarchisées. Elles s’organisent pour acheminer les produits à proximité des grandes villes puis livrent au détail en se servant de vendeurs locaux, souvent en statut irrégulier sur le territoire. C’est à ce niveau que l’on trouve des plus petits réseaux indépendants qui écoulent alors au travers de la vente opportuniste".

La police locale précise encore qu'elle ne voit pas de spécificités particulière à la toxicomanie liégeoise et que "le projet Tadam avait permis de réduire la criminalité induite par la toxicomanie. La Zone de police de Liège ne peut que soutenir l'initiative de la mise en place d'une salle de consommation à moindres risques".



Dans le Plan zonal de sécurité (PZS) 2014-2017, on peut lire les commentaires suivants concernant la toxicomanie de rue, le racolage et la mendicité :



Racolage et mendicité :"A Liège, le racolage et la mendicité restent fortement liés à la toxicomanie. C'est pourquoi le phénomène est encore prégnant et nécessite des actions ponctuelles." La police a identifié 196 mendiants dont 80 récidivistes (appelés noyau dur), particulièrement fauteurs de troubles (agressivité) et 49 racoleuses dont 11 récidivistes. "La mendicité agressive sévit dans l'hyper-centre, notamment dans les artères commerciales, au grand dam des citoyens liégeois, des visiteurs et des commerçants. On assiste à une diminution du racolage en raison d'une forte activité policière."


Deal de rue : "Les deals de rue sont difficiles à combattre car les dealers se déplacent au gré des actions policières. Par exemple, des toxicomanes ont déserté la place Saint-Lambert pour acheter leur drogue en Outremeuse. Pour l'autorité communale, les deals de rue constituent un réel fléau à éradiquer, surtout dans l'hyper-centre. Malgré les nombreuses interpellations et arrestations opérées dans le but de déstabiliser le milieu des dealers, le phénomène est loin d'être éradiqué. Néanmoins, elles ont eu pour effet positif de rassurer des segments de quartier où ces auteurs sévissent de manière bien organisée. Ce phénomène criminel nécessite l'allocation de moyens supplémentaires matériels et humains."



Une directive du parquet de Liège autorise la police à arrêter administrativement les mendiants récidivistes agressifs et dangereux. Une proactivité policière est demandée par les autorités communales dans la lutte contre les incivilités (dont la mendicité). A cet égard, on note une baisse de 32 % de ces mêmes faits entre les périodes 2005-2008 et 2009-2012. En 2011, 207 faits de mendicité ont été enregistrés par la police contre 465 en 2012 (+ 124,6 %).

Le PZS fait mention d'enquêtes menées en 2012 auprès de la population liégeoise, visant à connaître les phénomènes dont elle juge le traitement prioritaire. La lutte contre les nuisances liées à la présence de toxicomanes arrive deuxième (42 % des répondants). La mendicité est en troisième position des phénomènes les plus dérangeants au centre-ville (16 %) et, à 26 %, les commerçants veulent que l'on réduise les nuisances liées à leur présence.

Enfin, selon un document présenté récemment aux conseillers communaux liégeois, la police de Liège rapporte 1877 infractions liées à la drogue (usage, vente, détention...) constatées en 2016. Il faut y ajouter celles commises sous l'emprise des stupéfiants, sans que celles-ci soient chiffrées dans ce même document.






Mise à jour (04/10/2018) : Le Conseil de déontologie journalistique a constaté des fautes déontologiques dans cet article. Son avis peut être consulté ici.







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