Par Isabelle Lemaire, Sophie Devillers & Jean-Christophe Guillaume
Le petit surnom informel ne figure évidemment dans aucun guide touristique consacré à la ville. Liège, Tox City, tant la concentration de toxicomanes, consommateurs chroniques d'héroïne ou de cocaïne, y est importante et particulièrement visible. Ils seraient plus de 4000 dans la province dont une petite moitié rien qu'à Liège. Des hommes, des femmes abîmés physiquement et psychiquement à force de consommer leurs poisons, versant inévitablement, pour des centaines d'entre eux, dans la mendicité, la délinquance, la petite criminalité, la prostitution, le sans-abrisme.
Liège, une ville où des toxicomanes s'injectent, en pleine journée, leur produit en rue ou sur des quais de Meuse, notamment là où accoste le bateau des touristes qui font une croisière sur le fleuve depuis Maastricht.
Liège, qui comme toute grande ville (200.000 habitants) a déjà son lot de misère, avec un taux de chômage de plus de 25 % et plus de 10.000 bénéficiaires du Revenu d'intégration sociale.
Liège, où la scène de la drogue n'est pas reléguée, comme ailleurs, dans une lointaine banlieue mais qui s'est fixée dans l'hypercentre touristique et commercial.
Liège, une ville où des toxicomanes s'injectent, en pleine journée, leur produit en rue ou sur des quais de Meuse, notamment là où accoste le bateau des touristes qui font une croisière sur le fleuve depuis Maastricht. Liège où, selon les enquêtes publiques menées auprès des citoyens, la lutte contre la consommation visible des drogues, contre les nuisances liées à la présence de toxicomanes figurent au cœur des préoccupations.
Le phénomène de la toxicomanie à Liège ne date pas d'hier et il a pris une ampleur folle en trois décennies. Il s'explique entre autres par la proximité géographique de la ville avec les Pays-Bas (une vingtaine de kilomètres jusqu'à la frontière et dix de plus pour Maastricht), d'où vient l'héroïne. Une héroïne peu chère : elle se vend à Liège de 7 à 10 euros la bille de 0,4 gramme. Par l'attrait de l'anonymat de la ville sur les consommateurs aussi.
Les pouvoirs publics ne sont pas restés les bras ballants, en tout cas plus depuis les années 90. Les autorités communales, provinciales, la police, la justice, le monde médical et associatif se coordonnent à Liège pour construire une politique stratégique, à dimension humaine. Ils ont décidé pour les uns de tourner le dos au tout répressif, pour les autres d'ouvrir des structures d'aide, d'accueil et de soins. Des projets pilotes uniques en Belgique ont été lancés, comme celui de distribution contrôlée d'héroïne médicale (Tadam), faisant de Liège une ville laboratoire proactive et pionnière en matière de gestion de la toxicomanie. Le bourgmestre bataille aussi pour ouvrir une salle de consommation.
Ce travail s'attache à investiguer l'impact que la toxicomanie a sur Liège. Nous avons interrogé de nombreux acteurs locaux et donné la parole à des toxicomanes, afin de comprendre leur parcours et leur vie. Immersion dans les rues de Tox City.
Avertissement : certaines descriptions et photos peuvent heurter les âmes sensibles.