La Commission entravée par les Etats membres

par Olivier le Bussy

La Commission européenne, moteur législatif de l’Union, n’échappe pas au marasme ambiant. Jean-Claude Juncker avait annoncé la couleur en novembre 2014 : la Commission qu’il préside serait celle“de la dernière chance” . Le Luxembourgeois avait précisé que l’exécutif européen serait “politique” et imprimerait sa marque sur la marche de l’Union. Dix-huit mois plus tard, le bilan est en demi-teinte.



1. Un “volontarisme bridé”


Le “team Juncker” n’a pas chômé. Il a élaboré un plan pour relancer l’investissement; s’attelle à faire progresser l’agenda numérique; a lancé les chantiers de l’Union de l’énergie et celle des capitaux… Autant de dossiers ambitieux, du moins sur papier. Mais “les crises, dont la crise migratoire et le référendum britannique, retardent les projets lancés par la Commission”, observe Nathalie Brack, du centre d’études de la vie politique de l’Université libre de Bruxelles. “Il y n’a pas beaucoup d’Etats membres qui sont demandeurs de plus d’intégration européenne; aussi la Commission est à contretemps”, note de son côté Olivier Costa, directeur du département d’études au Collège d’Europe, à Bruges. “La Commission s’autocensure, parce qu’elle sait que les Etats membres risquent de détricoter tout texte trop ambitieux.”

Ainsi, dans le dossier de la crise de l’asile. L’équipe Juncker est tombée sur un os quand elle a cherché à “forcer” la solidarité européenne. Le peu d’entrain, voire l’opposition farouche de certains Etats membres à accueillir des réfugiés l’ont obligée à battre en retraite.




2. Une structure qui pose question


Philippe Lamberts, coprésident des Verts au Parlement européen, épingle ce qu’il estime être les effets pervers de la nouvelle structure de la Commission, chapeautée par sept vice-présidents. “Ça cadenasse tout, parce que le texte d’un commissaire doit passer par le double filtre d’un vice-président et du président. C’est le but ”, affirme-t-il, rappelant que le volume législatif s’est tari, condamnant le Parlement européen à un semi-chômage technique. “Ça rend le processus lourd et bureaucratique et multiplie les possibilités de veto sur un texte”, acquiesce Olivier Costa. Qui trouve cependant deux vertus au système : “Forcer les commissaires à travailler ensemble améliore la collégialité – le point faible des Commissions précédentes – et accroît l’autorité du président.”




3. Une Commission trop politique ?


Soutenue, envers et contre tout, par la “grande coalition” conservatrice/sociale-démocrate au Parlement européen, la Commission “politique” s’est vue reprocher de négliger son rôle de gardienne des traités. Elle a suscité l’agacement de certaines capitales en “épargnant” la France, mauvais élève budgétaire multirécidiviste, alors qu’elle s’est montrée sévère envers l’Espagne ou le Portugal. Philippe Lamberts juge, lui, que l’agenda de la Commission “politique” est surtout calqué sur celui des multinationales. “C’est flagrant : sur les recommandations macroéconomiques aux Etats membres, les lanceurs d’alerte, le traité transatlantique, le traité UE-Canada, le glyphosate…, peste le Belge.



4. Une autorité contestée


Le gouvernement polonais a hurlé à “la violation de souveraineté” quand la Commission l’a pressé de s’expliquer sur la réforme du tribunal constitutionnel. L’Italien Renzi a fustigé “la bureaucratie” européenne. Les pays qui voulaient fermer leurs frontières avec un autre Etat membre de l’espace Schengen n'ont pas attendu son avis. Le ministre belge des Finances Van Overveldt a dit envisager de ne pas récupérer auprès des multinationales les 700 millions d’euros d’avantages fiscaux que la Commission considère comme des aides d’Etat.

L’exécutif européen a-t-il perdu l’autorité qu’il exerce dans ses compétences ? “C’est moins dû à la Commission elle-même qu’à la situation politique actuelle, où les gouvernements sont sous pression des populistes”, estime Nathalie Brack. “Taper sur la Commission, ça relève parfois de l’agenda de politique intérieure”, glisse Olivier Costa.




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