Philippe Maystadt

"La zone euro n’est pas équipée pour
les crises à venir"

Entretien Olivier le Bussy

Ancien ministre belge des Finances (1988-98) et ex-président de la Banque européenne d’investissement (2000-2011), Philippe Maystadt insiste sur la nécessité d’achever l’intégration de l’Union économique et monétaire (UEM), dont il fut l’un des architectes.




Faute de poursuivre son intégration et son approfondissement,
la zone euro est-elle en sursis ?

La zone euro est plus solide aujourd’hui qu’elle ne l’était avant la crise, parce qu’on a quand même procédé à de grosses réparations : la procédure en déséquilibre macroéconomique, le mécanisme européen de stabilité (MES) et l’union bancaire. Mais à mon avis, la construction n’est pas achevée et nous ne sommes pas encore suffisamment équipés pour faire face à une nouvelle crise qui pourrait survenir. Or, nous ne vivons pas dans un monde sans tempête – ce qui était l’illusion lors de la rédaction du traité de Maastricht (entré en vigueur en 1993, qui établit l’architecture de l’Union économique et monétaire, NdlR). Il y aura toujours des chocs asymétriques, il y aura toujours un Etat membre qui sera touché plus durement par une crise que d’autres, pour des raisons diverses et variées.



Quel instrument pourrait aider
à amortir ces chocs ?

Nous avons besoin de mettre en place un budget de la zone euro qui fonctionnerait, par exemple, quand le chômage augmente beaucoup plus dans un Etat que dans la moyenne, pour l’aider à rencontrer ses difficultés. Il faut pouvoir assurer une certaine forme de solidarité.



Comment alimenterait-on ce budget
de la zone euro ?

Au départ par des contributions des Etats, par exemple d’1/2 % du produit intérieur brut. Mais idéalement, dans un second temps, il devrait être doté de ressources propres. La contrepartie de la création de ce fonds, c’est qu’il faut une coordination plus forte des politiques économiques. Il faudrait donc établir un compromis entre ceux qui veulent plus de partage des risques – c’est évidemment une demande des pays du sud de la zone euro – et ceux qui veulent davantage de partage de souveraineté – c’est-à-dire qui estiment qu’il devrait être possible d’imposer des réformes aux pays qui en ont besoin. On a besoin des deux. Pour mieux coordonner les politiques économiques, il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur une autorité centrale plus forte. Elle serait incarnée par un ministre des Finances de la zone euro, qui serait membre de la Commission européenne, responsable devant le Parlement européen, et veillerait à ce que les Etats membres appliquent ce qui leur a été demandé.

J’ajouterais qu’il faut achever l’Union bancaire, avec le système de garantie des dépôts jusqu’à 100 000 euros, mais aussi un mécanisme de soutien pour le système de résolution bancaire. Il est alimenté par les cotisations des banques, mais il faut être certain que si une crise survenait, par exemple, dans le secteur bancaire italien, alors que ce mécanisme n’est pas encore suffisamment alimenté, il y ait un soutien du MES qui avancerait des fonds au système de résolution.



Et la mutualisation des dettes
publiques des pays de la zone euro ?

Cela viendrait dans un second temps. Je pense qu’il faut le faire, mais il faut tenir compte de la faisabilité politique.



En parlant de faisabilité politique : l’ancien président du Conseil européen, Herman Van Rompuy avait rendu son rapport sur l’approfondissement et le renforcement de la zone euro en 2012; celui de la Commission, Jean-Claude Juncker, en a présenté un en 2015. Or, depuis les premières étapes de l’Union bancaire, le chantier est à l’arrêt. Pourquoi ?

Souvent, en politique, il faut qu’on soit vraiment acculé pour réagir. Et il faut reconnaître que pour le moment, l’Union est confrontée à d’autres crises, à commencer par celle des réfugiés, qui demandent des réponses urgentes. Je peux comprendre qu’au sein du Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement leur donnent la priorité. Mais il ne faudrait pas que ça les dispense de préparer l’avenir et d’achever la construction de l’UEM pour faire face à de futures crises qui se produiront inévitablement. Je ne sens pas encore une volonté politique pour aller dans ce sens. Mon impression est que quel que soit le référendum britannique, il faudra, au lendemain de celui-ci, une initiative franco-allemande pour relancer la construction.



L’économie européenne, et de la zone euro en particulier, connaît une légère reprise, mais la croissance reste molle. Que lui manque-t-il pour redémarrer ?

L’investissement ! La consommation est assez bien soutenue. Les exportations, ça va mieux, mais vu les incertitudes au niveau mondial, ce ne sera pas suffisant pour provoquer une reprise plus forte. Il faut donc mettre le paquet sur l’investissement.



Le Plan Juncker, c’est encore trop timide ?

Ah oui. C’est le moment de relancer l’investissement et il faut commencer par l’investissement public. Le privé hésite encore, en raison des incertitudes, à investir davantage. Le public doit montrer la voie. Le contexte s’y prête, avec beaucoup d’Etats membres qui peuvent emprunter à des taux proches de 0 %.

Mais pour favoriser l’investissement public, il faut pour cela supprimer un certain nombre de freins dans les normes budgétaires et comptables. Le pacte de stabilité ne fait aucune distinction entre les dépenses d’investissement et de fonctionnement – les gouvernements, ont tendance à diminuer les premières. Etablir cette distinction équivaut à en revenir à la règle d’or qui interdit à un Etat d’emprunter pour financer ses dépenses courantes, mais pas pour faire des investissements productifs qui augmentent le potentiel de croissance et généreront des revenus à l’avenir. Du côté allemand, il y a des réticences, parce que l’on pense que les Etats membres vont faire n’importe quoi comme investissements.



C’est arrivé par le passé…

Oui. J’ai proposé un certain nombre de critères pour les investissements, et ceux-ci seraient vérifiés par une instance européenne, pour voir s’ils remplissent bien les critères d’intérêt général, de rentabilité économique, de soutenabilité environnementale. Il faut investir dans les infrastructures, l’innovation et la formation. Dans les économies avancées, la maîtrise des coûts ne suffit pas à maintenir la compétitivité : c’est par l’innovation qu’elle passe. Il faut déplacer la frontière technologique, pour être en pointe dans certains domaines.



Philippe Maystadt, “L’euro en question(s)”, Ed. avant-propos, 192 pp., env.20 €.




LaLibre.be