Cette Europe là...

Une humeur de Gilles Toussaint

Alors c’est vrai, l’Europe a bon dos. Les Etats membres ont vite fait d’oublier ses acquis et ses bienfaits, rejetant hypocritement sur "Bruxelles" - comme on dit - les conséquences de leurs propres lâchetés et incohérences. Cela ne coûte pas cher et peut rapporter gros sur le plan électoral. Si l’on se contente d’une vision à court terme. Il n’empêche, les institutions européennes dans leur ensemble, qui ne sont jamais que le reflet des forces politiques au pouvoir dans ces mêmes Etats membres, ont le chic pour se faire détester de leurs concitoyens avec un art consommé du masochisme.

Cette Europe-là n’a pas vu venir une crise financière historique, ni pu empêcher la crise économique qui en a résulté, et dont la facture est in fine payée au prix fort par la population. Erigé en victime expiatoire, le peuple grec s’est vu infliger "pour son bien" un traitement que de nombreux doctes économistes, de droite comme de gauche, jugent irrationnel et, pour tout dire, cruel. Quand bien même l’ex-classe dirigeante grecque a-t-elle triché. Quand bien même ses errements, une fois connus, ont-ils longtemps bénéficié d’une mansuétude complice des acteurs assis autour de la table de l’Union. Quand bien même d’autres capitales, et non des moindres, sont, elles, curieusement autorisées à se dispenser des règles communes. Deux poids et démesure.

Cette Europe-là, injuste et si peu sociale, a perdu le fil et le sens de son projet, faute de l’avoir jamais clairement (re)défini. Quand tombent les "Leaks", elle fait mine de découvrir des abus dénoncés de longue date. Des dérives fiscales et financières qu’elle a, là encore, longtemps couvertes et qu’elle n’est prête à corriger qu’à la marge, creusant un peu plus le fossé entre l’Europe du haut et celle du bas.



Cette Europe-là, avec un sens du timing qui fait craindre une forme d’autisme, vote une directive renforçant le secret des affaires en plein "Panama papers" , sans avoir jamais estimé utile d’accorder le même niveau de protection aux lanceurs d’alerte.

Cette Europe-là assouplit ses normes antipollution quand éclate un scandale de fraude mouillant des pans entiers de l’industrie automobile.

Cette Europe-là s’obstine à négocier, en position de faiblesse et dans une large opacité, des accords de libre-échange, œuvrant paradoxalement à leur diabolisation.

Cette Europe-là, enfin, tourne le dos, toute honte bue, à ses valeurs humanistes, sacrifiant le droit d’asile sur l’autel d’une crise des réfugiés largement alimentée par son propre aveuglement.



On a beau être profondément europhile, si elle vient à s’effondrer, cette Europe-là, à vrai dire, ne nous manquera pas.




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