Travail au noir : entre fléau pour l'économie
et moyen de survie

Par Isabelle Lemaire et Antonin Marsac
Avec le soutien du Fonds pour le journalisme - mars 2021

Qui n'a jamais travaillé au noir de sa vie ? Ne serait-ce qu'une fois, avec un service rendu contre un billet glissé dans la main, ponctuellement quand on est étudiant ou sans emploi, quand les fins de mois sont difficiles ? Cette question, un peu provocante, recouvre toutefois une certaine réalité. La Belgique serait même championne du travail au noir en Europe occidentale. Pour certains Belges et personnes résidant dans notre pays, le travail au noir n’est pas du tout occasionnel. De gré ou de force, c’est leur seule source de revenus tout au long de l'année ou, en tout cas, une part significative. Des indépendants affirment qu’il est impossible de s’en sortir autrement, que le noir fait partie de l’ADN de l’activité entrepreneuriale. On entend d’ailleurs des professeurs de gestion dire en cours aux futurs chefs d’entreprise que le travail au noir est incontournable s’ils veulent éviter la faillite.

Pourtant, le travail non déclaré a non seulement des conséquences sur les recettes de l’État mais aussi sur ceux qui l’exercent. Ils s'exposent à de l’exploitation, des accidents non couverts par une assurance, des sanctions parfois lourdes s'ils se font prendre.

Cette enquête a été réalisée pendant la crise du Covid-19. Nous avons pu constater qu’elle a des conséquences sur le travail au noir, même si elles ne sont pas clairement quantifiables. En raison des fermetures de certains secteurs professionnels, des travailleurs au noir ont dû cesser leurs activités. À l’inverse, il est probable que des travailleurs déclarés, mis au chômage par l’épidémie, se sont tournés vers le noir pour améliorer leurs revenus. Les contrôles de terrain n’ont pas cessé mais ils ont été beaucoup moins nombreux que d’habitude.

Sans jugement ni parti pris, nous sommes allés à la rencontre de travailleurs au noir afin de comprendre pourquoi ils ont choisi cette voie de l’illégalité et de quoi est fait leur quotidien professionnel. De l’autre côté de la barrière, nous avons interrogé ceux qui traquent le travail au noir. Enfin, une personne ayant dénoncé une activité suspecte, au-delà du “simple travail au noir”, raconte la difficulté de se faire entendre de la police pour faire cesser les nuisances qu’elle subit. Un économiste et un fiscaliste nous éclairent également sur la situation.

Avertissement aux lecteurs

Afin de préserver l’anonymat de nos témoins, travailleurs au noir et dénonciateurs, les prénoms ont été modifiés. Les éléments permettant d’identifier ceux qui exercent une activité non déclarée ont été ôtés de leurs récits.

Qui travaille au noir ?

Très peu de secteurs d’activités sont exempts de travail au noir. Celui où la part de travail non déclaré est la plus invariablement importante, c’est l’horeca, avec, sur base des contrôles de terrain, un établissement sur deux en infraction d’année en année.

Tant les salariés que les indépendants, les allocataires sociaux, les sans-papiers et les étudiants travaillent au noir. Ces derniers, si l’on se réfère à un sondage mené par l’agence d’intérim Randstad, travailleraient de plus en plus sans être déclarés : 17% d’entre eux en 2018 contre 13% l’année précédente.

L’Union européenne estime qu’en 2013, 12% de la main-d’œuvre du secteur privé en Belgique n’était pas déclarée. Cela place notre pays en milieu de classement européen. Mais tous les États membres qui font pire sont des pays de l’Est ou du Sud, ce qui fait de la Belgique le champion du travail au noir en Europe occidentale.