“C’est normal qu’on en arrive là. Beaucoup de gens ne savent pas vivre autrement”

Louise, garde-malade

Louise est garde-malade, à domicile. Elle s’occupe de plusieurs types de malades, dont certains en soins palliatifs, c’est-à-dire en fin de vie. Une activité pour le moins étonnante vers laquelle elle s’est dirigée grâce au bouche-à-oreille, les personnes ayant entendu parler des soins qu’elle livre et de son attention. Elle travaille en “privé”, dit-elle, refusant de qualifier son activité de travail au noir.

“À la base, je suis infirmière. Je suis arrivée à l’âge de la pension mais je n’arrive pas à vivre avec ce que j’ai”, explique-t-elle.

“Un peu avant d’entrer en pension, sachant que j’allais devoir payer plus que je ne faisais rentrer d’argent, je m’étais dit qu’il fallait que je trouve quelque-chose. Comme j’adore mon métier, je voulais rester dans le médical. J’ai trouvé une piste en soins à domicile car ils sont beaucoup en recherche de personnes, en particulier avec une formation d’infirmière car il faut pouvoir déceler les problèmes de la personne suivie et agir correctement. J’ai d’abord commencé de mon côté, avec des personnes souffrant de démence, de sénilité ou d’alzheimer, puis j’ai continué en passant via un organisme composé de médecins et d’infirmières dans lequel ils établissent une liste de personnes à qui téléphoner en cas de besoin”, détaille-t-elle.

Toutes les personnes de la liste dont elle parle exercent au noir. “Ils privilégient des infirmières ou des aides-soignantes mais il y en a qui ne le sont pas. Même comme cela, on est beaucoup trop peu”, ajoute-t-elle.

Pour Louise, ce travail représente un apport indispensable à sa petite pension. Elle adapte ses tarifs selon les moyens des personnes qui font appel à ses services, selon les kilomètres qu’elle doit parcourir et si elle peut se permettre de dormir ou non, en rapport aux besoins de la personne prise en charge. Cela peut donc varier d’une cinquantaine d’euros à quatre-vingt euros par nuit. “Ce qui n’est pas énorme pour une nuit complète, éveillée. Parfois je ne dors pas une minute, quand la personne doit se lever, appelle toutes les heures. Tu en es responsable de toute façon” ajoute l’ex-infirmière.

“Ma vie est bouleversée, je ne vois plus mes amis comme avant. Là, avec le coronavirus, il n’y a pas de sorties, de restos, de concerts, donc je l’accepte pour le moment. Mais je limiterai un peu lorsqu’on ne sera plus en confinement”, dit-elle tout de même. Si elle a commencé son activité avant la crise, elle constate que la demande est désormais encore plus forte. Au-delà du potentiel nombre de malades plus élevé dû à la crise, c’est le fait que les familles préfèrent sortir les personnes âgées hors des homes pour s’en occuper à domicile qui accentue la demande.

Un conseil de son médecin

C’est la médecin de Louise qui lui a suggéré l’idée de faire de l’intérim dans ce domaine. Du fait de son passé professionnel et de son statut “BIM” (“bénéficiaire d’intervention majorée”) lié à ses petits revenus.

“Elle m’a parlé d’interim pour pensionnés. Mais là, si je gagnais 500 euros, on allait me retenir environ 300 euros en taxes. Dans ce cas, je préfère travailler pour un peu moins mais au noir”, concède-t-elle.

Elle estime que si elle avait une pension correcte, elle ne le ferait pas. “Ou alors dans les règles parce que j’en aurais envie. Car j’aime mon métier. Mais là... je ne peux pas”, affirme-t-elle.

“Parfois on n’a rien pendant un mois et demi et parfois on a trop de demandes à la fois. Je dois faire des choix. On est une douzaine sur la zone mais depuis la crise, on renvoie beaucoup de gens mourir chez eux, ils y sont mieux. Les aides familiales travaillent en semaine mais il n’y a personne les week-ends. On est un peu les bouche-trous”, explique-t-elle.

Elle reconnaît que le choix des soins à domicile, en particulier pour les soins palliatifs, peut étonner. Que c’est dur. Mais elle ne regrette pas. “Je me sens une mission quelque part, celle d’aider. Je sais que je fais du bien aux gens. Je suis un peu le trait d’union entre les médecins, le patient, la famille, les amis. Je côtoie tout le monde. J’aime ce rôle-là et j’aime soulager, soigner les gens”, glisse-t-elle. Si elle redoute les contrôles, elle se sent dans son droit et ne se sent pas coupable. Selon elle, familles et médecins la soutiendraient de toute façon en cas de problème.

Enfin, si le schéma classique du travail ne fonctionne pas, sans passer par le noir, pour elle, c’est simplement que les taxes ne sont pas assez bien réparties selon les niveaux de revenus.

“Bien sûr qu’il y en a qui le font pour se faire de l’argent sans en avoir vraiment besoin. Même chez les garde-malades. Mais on nous ponctionne beaucoup trop par rapport à ce qu’on gagne en Belgique. C’est normal qu’on en arrive là. Beaucoup de gens ne savent pas vivre autrement. Je pense qu’il y a énormément de personnes qui travaillent au noir sans qu’on le sache. Et cela dans tous les métiers”, dit-elle. “Mon métier, c’est une vocation. Depuis que je suis petite je voulais le faire. Même sans parler travail, aider les gens et les conseiller, même au niveau psychologique, c’est ce que j’aime faire”, lâche-t-elle, avant de conclure l’entretien.