Baptême du feu culinaire


Que manger en Inde, pays d’origine de la route des épices? Et comment s’y prendre? Je me souviens de ma première expérience dans un restaurant de Delhi, près de Connaught Place. Recommandé par un guide local, l’établissement était bondé de familles indiennes qui attendaient leur tour sur le trottoir. Pour ma première expérience en public, j’avais volontairement fait simple en commandant un « dosa », une crêpe à base de farine de pois chiche, de lentille et de riz, qui ressemble fort à ses cousines bretonnes, en plus grand.

Je sentais les regards compatissants des convives : craquera-t-elle en utilisant ses couverts ? Heureusement, la pâte fine et croustillante du « dosa » se détache facilement avec les doigts et n’est pas brûlante comme celle des « pooris », la version élaborée du chapati, sorte de beignets frits et soufflés qui se dégustent pour les occasions spéciales.

J’avais tant bien que mal détaché des morceaux de mon « dosa », m’en servant comme de petites barquettes pour recueillir la préparation de pomme de terre et d’oignons qui l’accompagnait, et tâché malgré tout d’apprécier ce moment de grande solitude au beau milieu des familles nombreuses.

Le test d’un repas chez l’habitant, assis en tailleur sur un « charpai », un lit en bois dont le sommier est un tissage de cordes, est venu plus tard, dans un village du Rajasthan. Plusieurs mets sont présentés dans de petits récipients en fer-blanc, sorte de ramequins, disposés sur un plateau rond du même métal.

Ici, pas de becs de gaz, la cuisine est faite au feu, sur un petit foyer à même le sol, autour duquel s’affairent les femmes, penchées des heures durant dans un nuage de fumée qui leur noircit le visage. Dans les campagnes, le chapati, simple galette de farine de blé et d’eau, sert de base au repas, que l’on trempe dans un curry, le nom générique qui décrit toutes les variations de plats mijotés à base d’épices. Chez les végétariens, le Dahl, pour l’apport protéiné, va toujours de pair avec le curry. Il est préparé à base de légumes secs, lentilles, de pois, de pois chiches, que l’on retrouve sous toutes leurs formes dans les cuisines indiennes. Ces légumineuses sont cuites à feu doux avec des épices fraichement pillés (feuilles de curry ou carry, cumin, curcuma, piment rouge notamment).

Au début, je me servais du chapati comme d’un couvert, plié entre le pouce, l’index et le majeur, pour récolter la nourriture et la porter à ma bouche. Mais alors, que faire quand le riz remplace le chapati, comme dans les cuisines du sud ? « Vos doigts sont vos couverts», m’indique une championne du savoir vivre indien. Se lécher les doigts est donc permis ? « Absolument ! » m’encourage-t-elle. Comme un point d’eau n’est jamais très loin pour se laver ensuite les mains, il n’y a vraiment pas de quoi se gêner !

En Inde, le « fait maison » garde toute son importance, comme le montre de manière romantique le film Lunchbox. La disponibilité des légumes et fruits le long des routes et sur les nombreux marchés permet d’acheter facilement des aliments frais tous les jours. Cela veut dire aussi beaucoup de temps passé aux fourneaux pour la femme indienne, qu’elle prépare les repas pour sa famille ou comme domestique. Passer la porte de la cuisine, c’est goûter à son quotidien.