La princesse safran

Nom: Diya Kumari
Profession: Princesse et représentante du BJP
Circonscription: Sawai Madhopur, Rajasthan
Age: 42 ans

Drapée dans son sari vert, la Princesse Diya Kumari n’est pas une élue comme les autres. Descendante directe des seigneurs rajpoutes, elle a grandi dans les ors du palais de Jaipur, la ville rose et capitale du Rajasthan, fondée en 1783 par son ancêtre le Maharaja Sawai Jai Sing II. Nouvelle recrue du Barhatiya Janata Party (BJP), le parti vainqueur des dernières élections indiennes, la princesse safran, couleur du BJP, a remporté en décembre dernier le scrutin local à Sawai Madhopur, jadis terrain de chasse de la famille royale. Il reste de cette époque riche en contes de mille et une nuits,  des tigres et une belle forteresse, classée par l’Unesco, ainsi qu’une mentalité féodale qui favorise les candidats de sang bleu, descendants des anciens monarques indiens.

Dans son bureau de Jaipur, la belle Diya Kumari reçoit ses administrés derrière un imposant bureau en chaine massif, qui contraste avec son allure gracile et son visage de poupée, juvénile pour ses 42 ans. La vie à Sawai Madhopur ne pourrait pas être plus éloignée que de la sienne, mais la princesse prend à cœur son rôle de conseillère et d’intermédiaire avec le pouvoir central. Problème de bétail, familiaux ou d’emplois, les requêtes affluent sur son bureau. Elle explique être entrée en politique, sous la bannière du BJP, par frustration avec l’ordre établi. « Il y a une grosse dose de colère en Inde face à l’inefficacité des autorités. Celles-ci ont l’habitude de fermer les yeux sur les problèmes et de faire traîner les choses. C’est malheureusement la façon dont le système fonctionne dans mon pays ».

Alors que son père était proche de Rajiv Gandhi et du Parti du Congrès, la princesse a choisi la rupture avec le passé, comme beaucoup d’Indiens aux dernières élections, en se ralliant au BJP. Pour elle, Narendra Modi, le Premier Ministre de l’Inde qui prête serment ce 26 mai, est la solution aux problèmes du pays. « L’Inde a donné toutes ses chances au parti du Congrès, qui nous dirige depuis 60 ans. Qu’ont-ils fait ? Notre pays n’a pas vraiment avancé, nous ne sommes pas sortis de notre statut d’état du tiers monde». Elle met en avant le développement du Gujarat, l’Etat dirigé par Narendra Modi depuis 2001, qui jouit d’une croissance économique supérieure à la moyenne du pays mais qui a aussi vu se creuser les inégalités sociales. « Le Gujarat est un modèle pour nous, et nous espérons que Narendra Modi l’appliquera à tout le pays. Pendant des années, le Congrès a distribué gratuitement des allocations sans responsabiliser les bénéficiaires. Les programmes sociaux, c’est très bien, mais nous devons surtout créer des emplois, donner une raison d’être à ces personnes plutôt que de leur faire des cadeaux et les décourager à travailler ».

Narendra Modi sera-t-il le leader de toute l’Inde ou seulement des Hindous, comme certains le craignent ? « Ses opposants politiques l’ont fait passer pour un horrible monstre, ce qu’il n’est absolument pas. Il a été dit encore et encore qu’il va exacerber les tensions communautaires. Personne ne parle de tous les affrontements qui ont eu lieu depuis que le parti du Congrès est au pouvoir ». Elle cite notamment les heurts entre Musulmans et hindous à Muzaffarnagar en Uttar Pradesh, en août 2013, qui ont fait 62 morts et des milliers de déplacés. « Pourquoi toujours pointer Modi du doigt ? Il n’y a pas eu d’incident au Gujarat depuis 2002. Est-ce qu’on ne pourrait pas parler d’autre chose? », dit-elle, convaincue.

Avec son physique d’actrice et son aisance naturelle, la Rajkumari (princesse en Sankrit) devrait aller loin. Il se murmure qu’elle pourrait obtenir un poste de ministre au gouvernement du Rajasthan. Un beau parcours pour la fille unique du Maharaja Sawai Bhawani Singh et de la Maharani Padmi Devi, dans un pays qui privilégie la descendance masculine. « Il n’y a rien de mal avec les filles, elles sont aussi capables que les garçons. Les femmes ont une qualité de plus: elles savent remplir plusieurs tâches à la fois ».

Diya Kumari le prouve au quotidien. Elle gère le City palace, en partie ouvert au public, le musée Albert Hall attenant, deux écoles et trois hôtels, ainsi que sa propre fondation en faveur des défavorisés. Elle remplit aussi la fonction de représentation lors des festivités locales. Comme si cela ne suffisait pas, elle cherche à développer sa circonscription de Sawai Madophur, en y attirant de nouveaux investissements dans les technologies propres. « J’ai le sens de responsabilités liés à mon nom, mais je pense aussi qu’il faut évoluer avec son temps», explique-t-elle. Une ouverture qu’elle a aussi appliquée dans ses choix personnels. En 1997, la princesse a provoqué un cataclysme dans la haute société rajpoute, en épousant dans le secret l’homme qu’elle aimait, un employé du palais. De cette union sont nés trois enfants. Accusée de trahir son rang, elle avait alors reçu des menaces de mort. Il en faut plus pour décourager l’héritière, qui tient, dit-on, de la légendaire Gayatri Devi, la dernière Maharani de Jaipur. Sa grand-mère par alliance (son grand père s’est marié trois fois) avait révolutionné le palais en refusant le Purdha, la tradition qui veut que les femmes, après leur mariage, soient confinées aux murs de leur maison. La Maharani avait imposé comme condition à son mariage sa pleine liberté de mouvement. Cette reine de beauté, grande rivale d’Indira Gandhi, était devenue une puissante parlementaire suite à l’Indépendance. Dans les habits du BJP, Diya Kumari est bien partie pour prendre la relève.