Femme libérée

Nom: Aditi Thirani
Profession:artiste, interprète de voix off
Age: 26 ans
Circonscription: Mumbai

Une rupture la veille des noces n’est pas franchement le scénario rêvé à « Bollywood », qui parie plus souvent sur les « happy end » romantiques. Quand l’héroïne éconduite de « Queen » s’envole seule pour sa lune de miel en Europe, le film fait réfléchir toute la jeunesse indienne. Il y aurait donc une vie en dehors du mariage?

Aditi Thirani a vu le film deux fois tant le personnage en quête d’émancipation de « Rani » lui ressemble. Comme l’héroïne de « Queen », Adi de son surnom est issue d’une famille conservatrice. Comme elle, elle a goûté à l’indépendance au cours d’un périple en Europe. «C’est l’histoire d’une fille qui voyage, grandit, et comprend qu’elle peut se débrouiller seule. En Inde, il est très difficile d’évoluer car tout le monde a la même idée fixe : qu’il faut se marier, avoir des enfants, les envoyer à l’école, puis les marier à leur tour. Si vous arrivez à 30 ans sans être marié, on vous regarde de travers. J’ai 26 ans, et mes parents sont très inquiets pour moi. Mais je ne vois pas pourquoi cette pression devrait interférer avec mes plans. On n’a qu’une vie. Je veux savoir si je peux être comédienne. Je veux voyager».

Artiste-interprète de voix off, elle a trouvé sa liberté à Mumbaï, la capitale du « Bollywood » où elle travaille tout en prenant des cours de théâtre. « Je veux pouvoir assister à une représentation ou aller à la séance de minuit au cinéma sans avoir droit à un couvre-feu. Chez mes parents, je dois rentrer à 10 heures du soir. Mon dernier petit-ami a essayé de m’imposer la même règle. Il jouait au père. Ca n’a pas marché. La même chose dans « Queen », le fiancé ne veut pas que sa copine aille en boîte de nuit ou qu’elle travaille. A la fin du film, elle le remercie de l’avoir plaquée, car elle se sent enfin libre de faire ses choix».

Sortie le 7 mars, cette comédie-dramatique connaît un grand succès en Inde, en remettant en question la longue tradition qui veut que les filles soient maintenues sous cloche depuis leur plus jeune âge. « On vous dit, ne sortez pas le soir, mais personne ne fait en sorte que les rues soient plus sûres. Ce n’est pas une priorité car le père est censé être là pour protéger ses filles, puis leur frère, puis leur petit ami, puis leur mari, puis leur fils. Personne ne leur dit qu’elles peuvent se défendre seules et n’apprend aux garçons à respecter leur liberté. Quel genre de système impose à une personne de se limiter tandis qu’une autre est libre de faire ce qui lui chante ?».

A cet égard, Mumbai, cosmopolite et culturelle, plus vivante aussi le soir que New Delhi, lui permet de vivre comme elle l’entend. « Bien sûr, il y a des cas de viols aussi ici, mais je peux être dans la rue à 2 ou 3 heures du matin, et il y a toujours du monde. Je refuse de vivre avec la peur au ventre car cela tuerait ma vie sociale», poursuit-elle.

Voyager seule dans son pays est une autre histoire. « Les gens se disent, ‘oh la pauvre, personne n’a voulu l’accompagner’ et les hommes y voient une opportunité. Je suis très sociable, mais si je me déplace seule, je dois mettre un masque de la fille dure sur mon visage pour ne donner envie à personne de m’approcher». Pour assouvir ses envies d’escapades, elle s’adresse à F5escapes , une agence de voyages conçue uniquement pour les femmes, un secteur en plein développement en Inde.


Pour changer les mentalités, les femmes doivent « sortir de leur zone de confort », suggère-t-elle. « On ne peut pas seulement blâmer les hommes car c’est toute la société qui participe à faire de la femme un objet ». Quand elle était petite par exemple, il était un fait acquis que les filles devaient jouer à la poupée pendant que les garçons jouaient au cricket. Les mentalités ont évolué depuis, puisqu’il existe en Inde des équipes de cricket et de foot féminines.

Elle ne pense pas que l’élection de femmes en politique soit la solution, « car une fois qu’elles sont au pouvoir, elles doivent se comporter en homme pour y rester ». Elle fustige la corruption des élites et une presse tout sauf indépendante. Comme beaucoup de jeunes, Aditi Thirani donnera sa voix à l’Aam Aadmi Party, le « parti de l’homme ordinaire » qui se présente comme l’alternative aux deux grands partis traditionnels indiens, le Congrès et le BJP. « Il est très difficile de ne pas être dégoutée par la politique et de connaitre la vérité au milieu de tous ces mensonges, mais je veux leur donner une chance et expérimenter quelque chose de nouveau, même si je ne leur fais pas entièrement confiance». En politique comme dans la vie sociale, les horizons en Inde sont souvent bouchés.