Touche pas à mon sari !

Nom: Nirmala Panjabi et Kismati Jaiswar.
Des femmes de Dharavi, le plus grand bidonville d'Inde et d'Asie, cousent des messages contre la violence sur leurs saris.

Crédit: Sneha à Mumbai

La campagne “Touche pas à mon pote” dans les années 80 en France avait changé la mentalité de toute une génération sur le racisme. En Inde, il faudra plus que des slogans, aussi percutants soient-ils, pour améliorer la condition féminine. C’est le constat amer de Nayreen Daruwalla, l’une des directrices de l’ONG Sneha à Mumbai, qui supervise le projet Provoke/Protect, dans le bidonville de Dharavi. « Faire changer les esprits prendra des années et des années. Mais je suis heureuse de constater que les femmes commencent à parler et à réfléchir à la question des violences à leur égard et à leur sécurité. Ce n’est plus un tabou».

Plusieurs femmes de Dharavi, l’un des plus grands bidonvilles du monde planté en plein cœur de Mumbai, ont réussi à briser la loi du silence. Ces Indiennes illettrées ont imaginé des messages contre le viol et les agressions qu’elles ont ensuite cousus sur des saris recyclés.

Nirmala Panjabi a la voix forte et assurée de quelqu’un qui ne se laisse pas impressionner. C’est à force de repousser les intrus qui s’agglutinent autour des auto-rickshaws dans les embouteillages de la mégapole de 20 millions d’habitants que lui est venu l’idée de son logo : « Don’t touch me », « Ne me touche pas ». « Il n’y a pas de fenêtre aux auto-rickshaws, donc n’importe qui peut nous voir ou nous toucher quand le rickshaw est à l’arrêt », explique-t-elle en Hindi. Son amie Kismati Jaiswar a cousu sur le bord de son étoffe plusieurs empreintes de pattes d’ours. Selon une croyance locale, les pattes de l’ours ont le pouvoir magique de repousser le mauvais œil. « J’ai mis des ongles pour montrer que désormais, je suis responsable de ma propre protection », explique cette femme de petite taille. « Avant, j’étais timide », confie-t-elle, « mais depuis que je participe à cet atelier avec d’autres femmes, je me sens forte. Je n’ai plus peur de me déplacer et de me débrouiller seule quoiqu’il arrive ». « Si nous voyons un homme agir de manière déplacée, nous pouvons nous interposer et l’empêcher d’aller plus loin », ajoute Nirmala.

La collection de neuf saris née de cette collaboration est riche en créativité. Par exemple un sari à haute tension sur lequel on peut lire « Courant à 1000 volts », promet une belle décharge électrique à celui qui le touche. Sur un autre vêtement a été appliquée une maison-prison dont la porte est fermée à clé. Son message : « Balatkari Ko Lock Karo, Mahila Ko Nahi”: Enfermez le violeur, pas la femme.

Cette prise de conscience est une véritable révolution en Inde, où la mentalité dominante veut qu’une femme violée l’ait forcément cherché : que faisait-elle dehors à une heure indue, ne tient-elle pas à sa sécurité ? Sa tenue vestimentaire et son attitude ne seraient-elles pas la cause de ses problèmes ? « Il est grand temps de rejeter la faute sur l’auteur du crime et non plus sur la femme. Il faut arrêter de blâmer la victime, en lui disant, tu n’étais pas habillée correctement, tu n’a pas agi correctement, tu as provoqué le viol », fustige Nayreen Daruwalla. Celle-ci constate cependant que les femmes se confient désormais davantage. « Par le passé, elles se plaignaient essentiellement de coups, d’hématomes ou même de fractures suite à des violences physiques. Maintenant, elles sont plus nombreuses à nous parler aussi de violences sexuelles et même psychiques».

Encore très souvent, la honte et le déshonneur d’avoir été violée ou abusée physiquement retombe sur la femme. Dans ces conditions, il est quasiment impossible pour elle de se retourner contre son agresseur ou son époux. La loi de 2005 sur la protection des femmes contre les violences domestiques est censée la protéger, mais les arcanes de la justice sont très difficiles à naviguer pour une femme seule, qui plus est sans le soutien moral de son entourage.

L’ONG Sneha a mis en place un partenariat avec la police de Dharavi, pour amener les agents de l’ordre à mieux comprendre le cheminement des victimes de violences. « Sur 800 femmes qui sont venues nous voir l’année dernière, 50 ont fait une déposition à la police, et seulement 4 ont porté plainte. La plupart de ces plaintes concernaient des cas de pédophilie, ce qui montre la réticence des femmes à parler de leurs propres problèmes », poursuit Nayreen Daruwalla.

L’équipe de Sneha a conscience que ces plaintes ne représentent que le pic de l’iceberg. Selon les autorités indiennes, une femme sur trois souffre de violences en Inde. Seulement 1% des crimes sont rapportés à la police, rapporte le journal médical britannique Lancet, s’appuyant les statistiques du Bureau national de la criminalité.
Face au regard de la société et aux insuffisances du système légal, les Indiennes ont besoin de plus qu’un simple sari pour défendre leurs droits.



Elles ont voté

हां, un “haan” ou oui franc en hindi sort de la bouche de Kimasti: pas de doute, elle prend son devoir de citoyenne au sérieux. “Voter est important pour moi et pour mon quartier. Ensemble, nous pouvons améliorer les choses. Si nous votons pour un représentant, nous pouvons ensuite aller le voir pour lui demander des comptes. Si nous avons besoin d’aide, nous pouvons nous adresser à nos élus. En matière de santé par exemple. Nous n’avons pas les moyens de payer pour les visites chez le docteur et les médicaments. Nous avons besoin de l’aide du gouvernement pour cela”. A Dharavi, qui votait le 24 avril, 50,31% des électrices sont allées voter, contre 49,30% des hommes. Dans les milieux défavorisés ou pauvres, la participation des femmes est souvent supérieure à celle des hommes, car elles sont dépendantes de programmes sociaux en matière d’aide alimentaire, de santé et d’éducation des enfants.