profil








Ezequiel

Deux euros et cinquante centimes par personne ! » Comptable et sans-abri émérite, Ezequiel veille avec rigueur aux finances de la maison. Il encaisse d’abord la monnaie de Patrick pour pouvoir rendre le change à William, indique les payements dans son carnet et range la caisse. C’est elle qui permet d’éviter la pénurie de papier toilette dans la maison et c’est lui qui la maintient à flot.

Une fois la réunion close, il encode ses dépenses hebdomadaires personnelles dans un document Excel. « J’ai un graduat en comptabilité. Avant que le décret de Bologne ne change les règles en 2004, c’était en deux ans », précise modestement l’imposant Portugais. Toujours encadré sur le mur orange vif de sa chambre, ce diplôme compte parmi ses plus grandes fiertés.



Ezequiel est né en 1977, à Lisbonne, de parents Témoins de Jehova. À ses 12 ans, sa famille s’installe dans le Hainaut, « à Ollignies, où il y a l’autoroute A8 qui part vers Tournai », plus exactement. Il est encore jeune quand, en lisant les brochures des Témoins de Jehova, il se rend compte que ce mouvement intervient dans l’éducation des enfants. « On ne souhaitait pas spécialement que je fasse des études supérieures. Un travail à mi-temps et du porte-à-porte, c’était plutôt ça les attentes. Ça signifiait que je restais dépendant de quelqu’un, soit de mes parents soit des Témoins. J’ai visé plus haut que ce qu’on avait prévu pour moi et j’ai trouvé un travail le week-end pour financer mes études. C’était fatiguant, j’avais moins de temps pour étudier, mais j’ai réussi avec 61%. Tout juste », rigole-t-il.



« Je ne pensais pas être malade. J’étais bien le seul. »

Ezequiel ne pense pas que le choix de vie de ses parents soit le seul élément déclencheur de sa schizophrénie, mais bien une cause parmi d’autres. Il est jeune adulte lorsqu’il fait sa première décompensation. « Durant 18 ans, j’ai fait de l’anosognosie, raconte-t-il (incapacité pour un patient de reconnaître la maladie ou la perte de capacité fonctionnelle dont il est atteint, NdlR). C’est-à-dire que moi, je ne pensais pas être malade. J’étais bien le seul, car tout le monde me traitait de schizophrène. » Les remarques quotidiennes poussent le comptable à fuguer au Portugal pour crier qu’il est en bonne santé, avant d’être ramené en Belgique. Toujours décidé à fuir son cercle familial des années plus tard, il vise Liège avec une escale par la capitale. Pourquoi Liège ? C’est loin de ses parents en Belgique francophone, où il doit toutefois rester pour faire valoir ce précieux diplôme.





« À l’époque, il y a aussi un nouveau délire, annonce-t-il. Dans ma tête, je pensais que la nature était la solution aux problèmes de l’humanité, que la civilisation et la pollution rendaient tout le monde malade. Pour moi, il fallait se rapprocher de la nature. » Après trois années à Bruxelles, où la forêt de Soignes lui sert parfois de dortoir, il met le cap sur Liège. À l’asbl Maison Familiale de Grâce-Hollogne, à l’asbl Oxygène en Outremeuse et aux Sans Logis, Ezequiel consigne tout ce qu’il ressent dans des
carnets : « c’est dans ce dernier refuge que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. J’ai rencontré le Docteur Gaule et j’ai décidé d’accepter le traitement que j’avais abandonné. C’est aussi lui qui m’a proposé de venir à l’IHP de Lierneux. »

La barbe rasée au millimètre et les dents remises dans le bon sens, Ezequiel prépare la suite de son histoire. Des nuits passées sur les trottoirs européens, il conserve l’habitude de compter ses sous. « Je ne pars pas en week-end parce que Google Street View me suffit et que le train coûte cher. À vrai dire, pourquoi je dépenserais de l’argent pour rentrer en famille, chez des Témoins de Jehova ? Il y en a qui sonnent à ma porte », lâche-t-il, un sourire en coin. Aujourd’hui, il gère la caisse du restaurant où il est bénévole et s’entretient avec une job coach toutes les deux semaines pour décrocher un emploi. « À l’horizon, je vois un boulot à temps plein, histoire de valoriser mon graduat. Peut-être à la commune, imagine le grand bouclé. Un appartement à Lierneux aussi, car j’aime son calme. » Un enfant ? « J’espère ne pas en avoir.
Je ne pense pas être à la hauteur. J’ai déjà du mal à laver mes propres dents régulièrement »
, se moque-t-il. « Il reste un peu d’efforts à faire au niveau de l’hygiène, mais je vais y arriver. »









Chapitres



Les brigands ardennais

Le tremplin

Rencontres

Ezequiel

J

Izu

Christophe

Karim

Ludo

Réseaux sociaux



Lire les articles de

©LaLibre 2021 - IHP : Instants d’humanité protégés By LaLibre