Ludo

C’est mon père qui m’a donné ma première bière, dégaine Ludo. J’avais 13 ans. Tu vois ? Déjà là, c’est compliqué. C’est difficile à porter. » Originaire du quartier Saint-Léonard, à Liège, Ludovic a presque terminé des études de cuisine. Quatre ans après sa première canette, il emménage avec une femme de 29 ans, également alcoolique. Il la quitte pour une autre qui, finalement, le poignarde. Ludo passe ensuite onze mois sur le trottoir. « Donc voilà mes péripéties », conclut l’homme à l’aspect éraillé, visiblement habitué aux anamnèses.

Une fois ce condensé de vie déchargé sur la table basse, il s’attarde sur les efforts effectués depuis le jour où il a demandé de l’aide. C’est d’abord six cures, sans succès probant. Lors des sorties autorisées le week-end, ce Liégeois curieusement supporter d’Anderlecht revoit ses potes, refuse les premières bouteilles tendues puis en décapsule une, à chaque fois.

« Le problème, c’était en partie le centre-ville. Même dans les boulangeries, on propose des bières. Il fallait que je m’éloigne », expire Ludo. Réfugié chez sa sœur à l’approche de la quarantaine, il décide de se rendre au Centre Hospitalier Régional de la Citadelle et, en arrivant, demande à aller à Lierneux.

« L’hôpital du village m’a aidé. J’y ai appris beaucoup de choses sur moi », estime Ludo, qui, une année plus tard, candidate pour obtenir une chambre à l’IHP, quatre-cents mètres plus bas. À la mi-juin 2020, entre deux confinements, il découvre l’habitation protégée. Le moment est particulier. Il est le seul à ne pas avoir de télévision dans sa chambre et passe beaucoup de temps dans le salon avec du foot et des DVDs à trier pour s’occuper.

Lorsque la situation épidémiologique se décante, il rencontre véritablement ses colocataires et participe aux différentes activités. Il y a aussi le linge, le nettoyage, la cuisine et les courses. Pour gérer son budget, il a besoin de l’aide de Marie-Charlotte, l’assistante sociale. « Aller au magasin, c’est comme ma vie : c’est compliqué et facile à la fois, constate Ludo. Faire les courses, c’est relativement simple, mais éviter les rayons avec de l’alcool, c’est plus difficile. J’ai parfois des envies. Et si je m’envoyais trois bières dans la tronche et puis on n’en parle plus ? Mais non, parce qu’on va en parler. Parce que j’ai un projet de vie. Parce que Marie-Charlotte me soutient. Parce que je vois mon amoureuse ce week-end. Parce que ma sœur est enceinte et que je vais devenir parrain. C’est beaucoup d’émotions. Ça me chamboule et ça me motive à la fois. J’ai promis à Marie-Charlotte que si je merdais, je lui dirais la vérité. » Le cas échéant, tenir sa parole serait pourtant risquer de tout perdre : son lit, le soutien de ses proches, sa confiance en lui, un filleul et les années à venir.

Ce jeudi 26 novembre, il allume une sempiternelle cigarette dans le fumoir. La journée a été compliquée. Les yeux rougis et la tête compressée par un masque trop petit, il est arrivé en retard dans la cuisine d’« À Bas Mont ». Il s’en veut. « J’en avais marre de faire la vaisselle, marre de tout, brondit-il nerveusement. J’ai envoyé des SMS pour m’excuser. On me demande une prestation et je n’ai pas été à la hauteur. Je me lance petit à petit dans la vie réelle. J’ai envie d’avancer mais ce n’est pas tout le temps facile. » Là, il n’attend qu’une chose : être le lendemain soir pour voir sa copine. De la tendresse, de l’affection : ça le rebooste. « Au départ, je me disais que c’était un an ici, juste une transition. Ce sera peut-être deux ou trois, je ne sais pas, admet-il. Mais après, j’ai envie de terminer mes études pour devenir commis de cuisine et de prendre un appartement près de chez elle. C’est près de chez ma sœur aussi. Pour le moment, je suis trop faible. Je n’ai pas envie de partir en sucette. »