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En fin de parcours,
les bovins passent du blanc au rouge

Juste avant de rendre leur dernier souffle, les vaches, veaux, bœufs ou autres taureaux sont guidés, à la queue-leu-leu, entre deux barrières. Le premier animal de la file est amené – à coups d'aiguillon électrique s’il le faut – vers le « piège de contention », une sorte de box qui l’empêche de se mouvoir une fois la trappe refermée derrière lui.



bovins

Bonnet bleu enfoncé jusqu’aux sourcils et barbe de quelques jours, Jean-Claude s’empare du pistolet à tige perforante, le place sur la tête de la bête et, d’une froideur marmoréenne, presse la gâchette. Une paroi latérale se soulève et, étourdi, le bovin s’affaisse, pris de spasmes. Quelques secondes plus tard, il a la gorge et les artères carotides tranchées de quatre coups de couteau qui mettent fin à ses jours. Il est alors pendu par une patte, la tête en bas, pour permettre au sang de s’écouler dans des cuves de récolte.



Ca ne me fait plus rien de tuer des bovins. Les gens me prennent pour un fou
Jean-Claude

« Il faut imaginer une croix au milieu des yeux et des cornes et viser juste, sans avoir la main qui tremble », décrit Jean-Claude, 51 ans. « J’ai débuté dans le métier parce qu'il n'y avait plus d'avenir ailleurs. J’avais 17 ans. Vous imaginez donc bien que ça ne me fait plus rien de tuer des bovins. J’en vois passer 100 à 150 par jour. Les gens me prennent pour un fou, ils trouvent ça scandaleux, dégueulasse, mais ils aiment manger cette viande », vitupère ce gaillard bâti comme une armoire à glace. Dans son boulot, Jean-Claude ne regrette qu’un aspect : l’humidité des lieux. « La tâche n'est pas particulièrement physique mais, dans ce froid, les articulations souffrent », grommelle-t-il en scrutant ses paluches.



Dans ce même espace se trouve aussi un « piège » pour la saignée halal et casher. Grâce à un système rotatif, l'animal peut être retourné à 180 degrés puis saigné. Sans anesthésie ou étourdissement, évidemment. A Anderlecht, cette pratique représente 11 pour cent du total des abattages, porcs compris.



Dans ce même espace qui n’a pas non plus pu être photographié se trouve aussi un piège pour la saignée halal et casher

Le travail sur la bête se déroule ensuite à la chaîne. L’animal passe entre les mains d’une vingtaine d’ouvriers qui, à leur apparence, semblent tous traîner derrière eux des années d’expérience. « Beaucoup sont des passionnés qui transmettent un savoir de père en fils ou de collègue en collègue. Il n'y a pas d'intérimaire, ce ne sont que des gens de métier », insiste Jan Van Assche, Quality Manager de la société Abattoir.

Les premiers opérateurs procèdent à l’ablation des pattes et de la tête. « Ici, la vigilance est de mise », indique l’espiègle Younès, l'un des plus jeunes avec ses quatre années au compteur. « Si on est concentré, c'est difficile de se blesser mais le boulot reste dangereux malgré tout. Récemment, j'ai reçu un coup de patte dans la face. La vache était rigide puis un muscle s'est enclenché. Il faut aussi veiller à ce qu’elle ne se décroche pas du rail. Imaginez les dégâts si une telle masse vous tombe dessus… », signale cet homme « polyvalent ». « Je touche à tout, je n’ai pas de place fixe. Mais celle que je préfère, c'est à la maison, à côté de ma femme. »



Si on est concentré, c'est difficile de se blesser mais le boulot reste dangereux malgré tout
Nordine

Alors que la carcasse avance sur le rail, en retrait, Nordin dépiaute une tête de bœuf. Dans une équipe, ce quinquagénaire bedonnant passe difficilement inaperçu. Il faut dire, l'homme a du bagou. Lorsqu’il explique pourquoi il a choisi cette profession il y a 17 ans, Nordin le fait avec fierté et humour. « Je travaillais pour mon frère jusqu’au jour où il a fermé son night-shop. J'ai repéré, grâce à un fascicule dans une antenne sociale, que les bouchers étaient recherchés. Je me suis dit que, dans ce métier, on ne doit pas mourir de faim… »



 Alors que la carcasse avance sur le rail, en retrait, Nordin dépiaute une tête de bœuf

Les années d'expérience permettent à ce robuste gaillard de s'emparer d’imposantes têtes d’une vingtaine de kilos avec une facilité déconcertante. « J'ai appris à me plier pour soulever un poids sans me blesser. Il faut savoir jouer avec son physique lors de la prise et de la manipulation de la tête. » Mais Nordin insiste : le plus important réside dans le mental.

Sur la chaîne, le bovin poursuit son parcours. Les quatre pattes solidement fixées à l’aide de crochets, il se voit arracher la peau du cou aux jarrets. Méticuleusement, à l’aide d’une lame d’une vingtaine de centimètres, deux ouvriers sectionnent les parties susceptibles d'être abîmées par l' « arracheur ». Cette machine retire le cuir par traction et l'enroule autour d'un cylindre, comme un fil à coudre autour d'une bobine. Traitées au sel et stockées dans des réfrigérateurs, les peaux seront livrées à des tanneries.

Sur la chaîne, le bovin poursuit son parcours. Les quatre pattes solidement fixées à l’aide de crochets, il se voit désormais arracher la peau sur toute la longueur

A l’aide d’une scie scirculaire, l’opérateur suivant entaille la bête au niveau du sternum. Le tablier et les bottes maculés de sang, l'ouvrier s'empare d'un jet d'eau pour décrasser son attirail. Dans le même temps, l’un de ses collègues extirpe les abats et les dépose sur un tapis roulant pour les envoyer chez le tripier.

L’animal arrive alors chez le robuste et adroit Koen. Il s’empare d’une scie électrique et, partant du postérieur, fend le bovin le long de la colonne vertébrale. En à peine trente secondes, la carcasse est séparée en deux parties symétriques. Le tout, sans avoir l’air de s’éreinter. Il faut dire, le geste demande de la précision mais, grâce à l’aide robotique, il ne requiert pas une force excessive. Koen termine l’opération en aspirant la moelle épinière, interdite à la consommation.

Le dégraissage peut désormais commencer. Munis de rasoirs circulaires, des ouvriers retirent les excédents de graisse. Petit à petit, la couleur blanche cède du terrain au rouge de la chair. La tâche requiert une certaine attention puisque la quantité de matière à enlever aura une influence sur la maturation de la viande envisagée par le grossiste.

Bovins decoupe 1
Bovins decoupe 2

Hormis les abatteurs, d'autres professionnels sont amenés à se faufiler entre les carcasses : les vétérinaires. Ils sont quelques-uns, chargés par l’Afsca, à vérifier que les conditions d’hygiène sont conformes, que les bêtes ne sont pas malades ou que l’aspect ne présente aucun doute. Pour s’assurer de l'absence de contamination bactérienne, ils prélèvent également des échantillons pour ensuite les analyser en laboratoire. « Il y a constamment un vétérinaire sur le site », assure Paul Thielemans, porte-parole de la société Abattoir.



Il y a constamment un vétérinaire sur le site
Paul Thielemans, porte-parole

Une fois dégraissés, les bovins redescendent au rez-de-chaussée pour être pesés. Trois opérateurs se démènent tant bien que mal pour mouvoir les restes d’un taureau pendus à un crochet. La balance indique que l'ensemble des deux morceaux atteint 1009 kilos. « Vivant, il devait faire presque deux tonnes », s’exclame l’un d’eux, bonnet vissé jusqu'aux oreilles. Après la pesée, la bête est estampillée et se voit accoler une étiquette. Y figurent le numéro d'identification de l’animal, sa date de naissance ou le nom de son grossiste.



Une fois dégraissée, les bêtes redescendent au rez-de-chaussée pour être pesées

La carcasse ira en rejoindre douze autres qui patientent déjà dans un frigo. Elle y passera une trentaine d'heures afin d’atteindre les sept degrés libérateurs. « Tant qu’elle n’est pas descendue à cette température, elle ne peut quitter les lieux », indique Jan Van Assche.

Certains particuliers ou grossistes repartiront avec les morceaux tels quels. Les autres carcasses seront découpées dans les ateliers mis en location sur le site et revendues directement dans la halle alimentaire.


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