À Mykolaïv,
Natasha, une volontaire sous les bombes
Reportage - Virginie Nguyen Hoang - Envoyée spéciale à Mykolaïv
Natasha devant les décombres de l'immeuble à côté de chez elle, le 2 juillet 2022. Elle a déménagé dans un autre appartement, mais continue d'y venir tous les jours pour apporter son soutien et organiser l'aide humanitaire dans son quartier.
© Virginie Nguyen Hoang

Natasha s’affaire : elle aide ses amis de l’organisation chrétienne “The Holy Land Church” à remplir des sacs de nourriture qui seront distribués aux personnes les plus vulnérables de la ville de Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine. La quinquagénaire, qui était comptable pour l’association de cerfs-volistes de la ville, s’est reconvertie en volontaire, responsable de la distribution de l’aide humanitaire de l’organisation “Voïni Dobra” – les guerriers du bien –, active depuis presque un an.

Comme les 250 000 habitants restés vivre à Mykolaïv (sur une population qui en comptait 486 000 avant guerre), Natasha a vécu neuf mois de bombardements quotidiens intensifs et de galères incessantes pour approvisionner la ville en eau.

Ce qui reste, le 4 juillet 2022, de ce bâtiment administratif de la région de Mykolaïv, touché de plein fouet par une frappe russe au mois de mars, faisant 37 morts et 34 blessés.
© Virginie Nguyen Hoang

Un été sans eau et sans chez soi

En ce mois de juin 2022, le coucher de soleil reflète une lumière orangée sur la ville portuaire et industrielle de Mykolaïv. Mais la beauté de l’heure dorée est vite assombrie par les bombardements qui ne cessent de s’abattre sur la ville depuis le mois de mars. En son centre, le bâtiment administratif régional, éventré par une frappe russe qui a tué 37 personnes le 29 mars, n’est qu’un des nombreux vestiges de la ville.

Depuis l’occupation russe de la région voisine de Kherson, Mykolaïv et ses environs se trouvent à l’avant-garde du front sud, servant de verrou à la route vers Odessa. Chaque jour, roquettes et artillerie lourde visent les infrastructures critiques, les champs de blé, les immeubles résidentiels.

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(1) Cet immeuble résidentiel, le 2 juillet 2022, situé au bout de la rue de Natasha, a été touché par un tir de missile russe le 29 juin 2022. Dix personnes sont mortes et quatre blessées.
(2) Le quartier résidentiel où Natasha a son appartement porte, le 2 juillet 2022, les traces des dommages causés par une frappe de missile russe.
© Virginie Nguyen Hoang

Natasha, vêtue d’une robe fleurie, ne lâche pas son téléphone. Entourée de décombres qui obstruent sa rue, elle organise l’acheminement d’aide humanitaire. Il y a trois jours, le 29 juin, une explosion a retenti si fortement que “tout (son) bâtiment a tremblé” et “les fenêtres ont explosé”. Elle venait à peine de se lever: “j’étais abasourdie et effrayée”.

Saine et sauve, mais confuse, elle s’est rendue chez ses voisins, pour voir si tout allait bien, avant de sortir et découvrir que le dernier étage de l’immeuble du coin de sa rue avait été pulvérisé.

Dix de ses voisins sont morts. Heureusement, sa fille Alexandra, 28 ans, et son petit-fils Yevgen, cinq mois, étaient allés passer quelques jours chez sa mère, à la campagne…

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Natasha avec son petit-fils de 5 mois et sa fille Alexandra qui vivaient avec elle, le 6 juillet 2022. Après le bombardement, Alexandra et son mari, Viktor, ont décidé de déménager chez un ami de Mykolaïv.
© Virginie Nguyen Hoang

Natasha habite le quartier depuis les années 70, mais vivre chez elle l’effraie désormais beaucoup trop. Elle a décidé de s’installer quelque temps dans l’appartement d’un ami près du centre-ville. D’autant que, depuis le bombardement de sa rue, Natasha et ses voisins n’ont plus d’électricité ni de gaz.

Une organisation bénévole locale apporte de l'eau potable au quartier de Natasha qui n'a ni eau courante, ni gaz, ni électricité, le 4 juillet 2022.
© Virginie Nguyen Hoang

Quant à l’eau, elle provenait de la région de Kherson avant que les Russes ne l’occupent et détruisent les installations. L’administration de Mykolaïv n’a pas eu d’autre choix que de pomper l’eau de la mer pour alimenter la ville. Imbuvable, mauvaise pour les canalisations, elle n’est utilisable que pour les tâches ménagères. Des points d’eau potable ont dès lors été aménagés un peu partout dans la ville où, dès le matin, des centaines de personnes viennent faire la file, parfois pendant des heures.

L’automne trompeur

En ce mois d’octobre, les Russes se sont lancés dans une campagne de frappes contre les infrastructures énergétiques du pays. L’approche de l’hiver se fait sentir peu à peu dans la ville. La bonne nouvelle, c’est que la contre-offensive ukrainienne dans le sud de la région a éloigné un peu plus les occupants vers la Crimée. Les bombardements se font moins fréquents. Mais l’angoisse continue à étreindre Natasha, qui n’est toujours pas rentrée chez elle. “On avait l’habitude d’entendre des bombardements mais, ces derniers jours, c’est silencieux. C’est tout aussi stressant, comme si c’était le silence avant la tempête…” Qui ne manque pas de s’abattre : le lendemain, une frappe de missiles russes S-300 détruit un immeuble résidentiel, faisant sept morts dont un enfant de 11 ans.

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Un policier observe une opération de sauvetage à Mykolaïv, le 13 octobre 2022. Dans la nuit, deux missiles russes S-300 ont touché cet immeuble résidentiel, tuant sept personnes, dont un garçon de 11 ans.
© Virginie Nguyen Hoang

Toujours aussi active, Natasha se rend tous les jours à son centre de volontaires. Dans la pièce principale, des vêtements d’hiver s’accumulent, prêts à la distribution, ainsi que des médicaments et produits pour les nouveau-nés. Natasha et son association ont divers partenaires dans la ville ; ils se partagent les dons et s’entraident pour les distribuer. “Les organisations comme les nôtres sont plus proches des gens. Quand on demande de l’aide à l’administration de la ville, c’est un long processus bureaucratique sans lien humain…”

Un dimanche du mois d’octobre, Natasha s’accorde enfin un jour de repos pour rendre visite à sa fille, qui a déménagé dans un petit appartement de la banlieue d’Odessa. Dans la grande ville portuaire, la vie semble normale : les magasins et restaurants sont ouverts, tandis que des promeneurs profitent des rayons de soleil le long de la mer Noire. “Lorsqu’on est arrivés à Odessa, on a été choqués de voir à quel point la ville était vivante. Rien à voir avec Mykolaïv”, explique Alexandra. La jeune femme et son mari ont décidé de partir le 31 juillet dernier. Une salve de missiles russes venait de s’abattre dans la nuit : “41 en une nuit, c’en était trop, il fallait bouger”. Son mari, Viktor, ingénieur électricien, cherche du travail, pendant qu’Alexandra étudie l’orthodontie en ligne, tout en s’occupant de Yevgen, qui a maintenant 8 mois. Son petit-fils, Natasha ne le quittera pas d’une semelle de toute l’après-midi.

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(1) Natasha rend visite, le 15 octobre 2022, à sa fille qui vit à Odessa avec sa famille depuis fin juillet.
(2) Alexandra, la fille de Natasha, et son mari Viktor lisent une histoire à leur fils, Yevgen, le 15 octobre 2022. Fin juillet, les bombardements à Mykolaïv sont devenus trop intenses, ils ont décidé de déménager.
(3) Natasha s’amuse avec son petit-fils, Yevgen, âgé de 8 mois, le 15 octobre 2022.
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Une nouvelle année pour penser au futur

Natasha rend visite à sa mère de l'autre côté de la ville, le 14 octobre 2022. Elle ne veut pas venir vivre avec elle : c’est trop loin de son centre de volontaires.
© Virginie Nguyen Hoang

L’étau se desserre un peu sur Mykolaïv. Depuis qu’ils se sont retirés de Kherson le 11 novembre 2022, après neuf mois d’occupation, et repliés sur la rive gauche du Dniepr, les Russes se trouvent à plus de 50 km de Mykolaïv. Les bombardements se font plus rares, malgré la menace des drones iraniens Shahed, régulièrement interceptés par la défense antiaérienne ukrainienne. Natasha continue sans relâche son travail de volontaire, contactant diverses organisations internationales pour acheminer nourriture et médicaments qu’elle distribue essentiellement aux personnes les plus vulnérables. Selon les autorités locales, plus de 80 % des habitants restés vivre dans la ville se retrouvent sans travail : un grand nombre d’usines ont été endommagées par les frappes russes, et beaucoup d’employés ont été forcés d’arrêter leur activité.

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(1) Natasha emballe des sacs de nourriture qu'elle distribuera dans toute la ville de Mykolaïv, le 28 janvier 2023.
(2) Natasha embarque des cartons du Programme alimentaire mondial d'une autre organisation bénévole avec laquelle elle collabore, afin de les distribuer dans la ville, le 27 janvier 2023.
(3) Natasha ferme la porte de son centre de volontaires, le 26 janvier 2023. Bénévole depuis près d'un an, elle songe maintenant à ouvrir sa propre entreprise, mais elle ne sait pas encore quoi ni quand.
© Virginie Nguyen Hoang

Natasha s’est résolue, fin janvier, à réintégrer son appartement. Elle n’y est plus seule : elle a récupéré le chat de sa fille et sa mère l’a rejointe pour l’hiver. “Elle habite seule dans une maison de l’autre côté de la ville, il fait beaucoup trop froid pour rester là.” Les coupures d’électricité rythment les journées, et l’eau du robinet provient toujours de la mer – la station de pompage prendra du temps à être réparée. Tout comme l’immeuble frappé au mois de juin dans la rue de Natasha. Si les décombres ont été débarrassés de la voie, le bâtiment, lui, n’a pas bougé…

“Tout le monde attend un financement de l’administration pour commencer la reconstruction et les réparations de nos appartements, mais on ne sait pas quand cela arrivera”, déplore Natasha. Dans son petit chez elle, les fenêtres sont toujours au même point ; des planches en bois attendent dans le couloir pour remplacer les bâches en plastique qui font office de vitres.

Alors que la ville reprend petit à petit vie, la quinquagénaire commence à penser à son avenir. “Cela fait presque un an que je travaille bénévolement. Je réfléchis à ouvrir mon propre business. Je ne sais pas encore quoi, mais j’aimerais pouvoir offrir plus de cadeaux à Yevgen.” Sur son téléphone, elle montre les dernières vidéos du bambin. Il vient de fêter ses un an.

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Natasha passe, le 27 janvier 2023, devant le bâtiment bombardé en juin dernier.
© Virginie Nguyen Hoang
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*La Crimée a été illégalement annexée par la Russie en 2014.