© Virginie Nguyen Hoang
Dmytro sirote un petit verre d’alcool. “Avant février 2022, je pensais que Poutine pouvait apporter du bien au pays. J’ai eu tort et, maintenant, je me sens coupable d’avoir pu penser cela.” Presque un an a passé, et le grand-père de 67 ans a survécu à Kharkiv, tant bien que mal, à des mois de frappes russes, avec sa petite-fille de tout juste 11 ans. Diana, une enfant devenue préadolescente sous les bombes.
Si Kharkiv, à une trentaine de kilomètres de la frontière russe, n’a guère été épargnée par les bombardements, l’armée ennemie, arrivée aux portes de la ville, n’a jamais réussi à l’envahir face à une défense ukrainienne efficace. Alors, les troupes russes en ont quotidiennement terrorisé les civils à coups d’artillerie lourde, jusqu’aux contre-offensives de mai et de septembre 2022, qui les repousseront de la région.
Un printemps dans les entrailles du métro
Dmytro et Diana ont dû évacuer d’urgence leur maison de Ruzka Lozova, au nord de Kharkiv, en mars 2022. Pilonné par des tirs de grads, leur village a été capturé par les Russes. Le grand-père et sa petite fille, d'alors 10 ans, ont tout juste eu le temps de s’enfuir, avec quelques affaires et le hamster, grâce à des volontaires qui les ont emmenés jusqu’au centre de Kharkiv. “Je venais à peine de louer un appartement dans le nord de la ville, à Zukhovsky, parce qu’il était plus proche de l’école de Diana. Du coup, on s’y est installés, mais là aussi les bombardements sont devenus intenses. C’était invivable, surtout pour Diana. Un jour, un grad est tombé juste en face du supermarché où l’on était en train de faire nos courses. Diana était terrorisée. On a alors décidé de vivre dans le métro de Kharkiv.” Sous terre, pendant deux mois.
Un jour, un grad est tombé
juste en face du supermarché
où l’on était en train
de faire nos courses.
Dmytro, divorcé depuis 17 ans, vétéran de la guerre d’Afghanistan et ancien mineur dans la région du Donbass, s’occupe de Diana depuis sa naissance. “Son père est inconnu et sa mère, ma fille, ne s’en occupe pas. Elle a eu des soucis d’alcoolisme et de drogue et, maintenant, elle refuse de prendre ses responsabilités, ne serait-ce qu’en aidant financièrement…”, soupire-t-il, dépité. Lui-même a la santé fragile. Il boite et souffre de séquelles d’un AVC.
© Virginie Nguyen Hoang
Surveiller Diana, lorsqu’elle sort de leur wagon de métro, où deux banquettes leur servent de lits, n’est pas une mince affaire. La fillette s’occupe en dessinant, en jouant au foot avec d’autres enfants dans les couloirs de la station, en participant à des activités organisées par les plus grands ou par des ONG. Mais quand il n’y a rien à faire, l’anxiété la dévore, les souvenirs remontent. “Quand je pense à la nuit du bombardement de notre maison… C’était horrible, j’ai couru me réfugier dans un coin, puis on est partis. On a dû laisser mon chat, il a disparu maintenant”, dit-elle de sa petite voix.
Pendant deux mois, Diana n’a pas osé sortir, effrayée par les tirs russes. Il est vrai que la station de métro offre un sentiment de sécurité ; des repas et snacks sont offerts par des organisations locales. Mais l’espace de vie et les conditions sanitaires se révèlent limités.
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L’été, ou l’espoir d’un retour aux beaux jours
Heureusement, les attaques russes se sont faites plus rares. L’armée ukrainienne a réussi à reprendre plusieurs villages au nord et à l’est de la ville, dont Ruzka Lozova, et les autorités de Kharkiv ont décidé de remettre en route le métro. C’était en mai 2022.
Forcés de quitter leur wagon, Dmytro et Diana sont retournés dans l’appartement de Zukhovsky. Un petit deux-pièces, où s’entassent leurs quelques sacs dans le salon. “La municipalité nous a proposé de nous installer dans un campus, mais j’ai préféré revenir dans cet appartement où l'on a quelques affaires en plus. Seulement, le propriétaire demande maintenant 7 000 hrivnyas (177 €) par mois si on reste. Je n’ai pas cet argent, ma pension n’est que de 8 600 hrivnyas (217 €), ça ne suffit pas”, se désespère Dmytro, menacé de se retrouver à la rue s’il ne trouve pas un autre toit dans les trois jours.
La galère a duré une semaine, jusqu’à ce qu’ils tombent sur un autre petit appartement, à Shevchenkivky cette fois. “Au début, j’avais peur de m’installer ici”, explique Diana. “On est juste à côté d’un jardin d’enfants, on sait très bien que les Russes visent les écoles…”
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La plupart des amis de Diana ayant quitté la région, Dmytro tente de l’occuper pendant l’été en l’amenant au parc. Comme un semblant de vie normale. Elle se baigne dans la fontaine avec d’autres enfants. “J’ai toujours peur, mais je sais que cette guerre se terminera à un moment donné, donc je me force à aller dehors, il le faut !”, affirme-t-elle. Autour d’eux, les gens pique-niquent, s’achètent des glaces, se rafraîchissent, comme si la guerre n’était qu’une vieille histoire. Début septembre 2022, une contre-offensive ukrainienne d’envergure dans toute la région de Kharkiv repousse, en plus, les Russes jusqu’à leur frontière.
Un automne à la bougie
Mais les tirs à longue portée visant les infrastructures n’épargnent pas le quartier du grand-père et de sa petite-fille. Régulièrement ils se retrouvent sans eau ni électricité pendant plusieurs jours dans leur petit appartement qui, depuis l’automne, abrite également un rat et un perroquet. Dmytro s’éclaire à l’aide de “bougies” qu’il confectionne avec de la paraffine et de l’huile de tournesol, et fait monter la température du foyer en allumant le réchaud de la cuisine.
Il paraît qu’il y a
encore des mines,
je ne veux pas y emmener Diana,
c’est dangereux.
Son village est libéré, mais difficile de se rendre sur place pour “voir ce qui reste de (sa) maison”. “Il paraît qu’il y a encore des mines, je ne veux pas y emmener Diana, c’est dangereux et puis cela coûte cher de prendre un taxi jusque-là”, regrette Dmytro. “Il faudrait que j’aie des photos des dommages, pour espérer recevoir une compensation.” En attendant, il reçoit 5 000 hrivnyas (126 €) par mois pour lui et Diana, en tant que personnes déplacées.
Lorsqu’il y a du courant, la petite peut désormais suivre des cours en ligne dans sa chambre éclairée de lanternes multicolores qui brillent grâce à une batterie rechargeable. Pour une enfant de 10 ans, ce n’est évidemment pas pareil que d’aller à l’école. “Je m’ennuie à ces cours, je ne vois pas mes amis. Je n’en ai plus vraiment de toute façon…”, lâche-t-elle, arrivée aux portes de l’adolescence. Malgré tout, depuis le mois d’août, elle s’entraîne trois à quatre fois par semaine au rollerblade. Son coach, Dmitriy, gérait douze écoles de patinage dans le pays avant la guerre. Aujourd’hui, il offre bénévolement des cours aux enfants de son quartier, “pour leur changer les idées”. “Diana nous a vus dans la rue et nous a demandé si elle pouvait essayer. Elle avait peur au début, mais elle a été motivée par sa nouvelle amie, Katia.”
© Virginie Nguyen Hoang
Dmytro observe les enfants s’amuser. Il se livre. “Vous savez, j’ai fait face à la mort à plusieurs reprises dans ma vie. Je pense que le destin a voulu que je reste en vie pour prendre soin de Diana. J’ai combattu en Afghanistan pendant huit ans, où j’ai été capturé par les combattants afghans pendant un mois et demi. Ils m’ont torturé, battu, j’ai cru mourir. Ensuite, j’ai travaillé dans les mines, où je me suis retrouvé à deux reprises coincé sous terre suite à un éboulement. Quand les bombardements ont commencé près de la maison, je n’ai pensé qu’à une seule chose : évacuer au plus vite. Dix minutes plus tard, on n’aurait peut-être plus été là. Pour moi, maintenant, les Russes sont pareils aux talibans.”
© Virginie Nguyen Hoang
Hiver 2023, 11 ans et l’adolescence qui pointe
L’Ukraine est entrée dans l’hiver et, ce 9 janvier 2023, Diana fête ses 11 ans avec six de ses amies rencontrées dans le quartier. La guerre ne les a pas lâchées. Le lendemain de son anniversaire, un tir russe atterrit dans un entrepôt de feux d’artifice non loin de chez elle. Elle nous appelle : “Vous allez bien ?”
© Virginie Nguyen Hoang
“Je regardais des vidéos sur mon ordinateur, puis il y a eu cet énorme bruit d’explosion et toutes les fenêtres ont tremblé, j’ai couru vers le corridor pour me protéger”, explique-t-elle quand on la retrouve le lendemain. “Mais, maintenant, je n’ai plus autant peur qu’avant. Les sirènes qui retentissent, c’est devenu normal…” La préado qu’elle est devenue invitera à nouveau ses amies chez elle.
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