Palestine

Faire exploser les talents,
les barrières et la colère

Hall omnisports de Ramallah, en Cisjordanie. Dans une société patriarcale où la gent féminine est globalement tenue d'adopter des attitudes et comportements mesurés, le football permet de faire sortir ses émotions sans réserve. Davantage encore dans le contexte de l’occupation israélienne. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA

Textes Valentine Van Vyve
Photographies Johanna de Tessières/Collectif HUMA
envoyées spéciales à Ramallah

En Cisjordanie (Palestine), le football a longtemps été une réalité inconcevable pour les filles et les femmes. Claudie Salameh et Raja Hamdan sont pourtant parvenues à obtenir l’assentiment de leur communauté. En jouant et en entraînant, elles ouvrent la voie à une génération de joueuses en devenir.



Claudie Salameh fait les cent pas le long de la ligne de touche. Elle donne des consignes, applaudit, lève les bras au ciel. À quelques mètres d’elle, Raja Hamdan croise les bras sur sa poitrine puis se tient la tête et grimace. La Friends’ school, coachée par Claudie, vient de remporter le match et passe au tour suivant du tournoi organisé pour une dizaine d’équipes d’adolescentes de Ramallah et de ses environs. « Je veux que vous vous amusiez. Jouer ne doit pas être contraignant ! », dit Claudie à la fin de la rencontre. « Je crois en elles. C’est pour cela que je suis exigeante. » Enfant de la balle, dans laquelle elle frappait avec son frère étant petite, elle a décidé de revenir faire quelques extras dans le coaching, en plus de son emploi dans l’entreprise familiale d’import.

"Avant ma génération, il n'y avait rien. Les gens ne se doutaient pas que les filles pouvaient jouer au foot, jusqu'à ce qu'une première équipe soit créée à Bethléem, puis dans les écoles", se souvient Claudie Salameh. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA
Aujourd’hui, Claudie veut « participer au développement de ces jeunes joueuses » et leur offrir ce dont elle n’a pas bénéficié. « On parviendra à l’égalité des genres grâce à toutes ces petites choses que l’on additionne. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA
Les joueuses de la Friends’ school entraînées par Claudie attendent de montrer sur le terrain. Ce jour-là, elles repartiront avec la médaille d’or. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA
La coach Raja Hamdan, encourage son équipe lors du tournoi. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA

Dans le camp adverse, Raja n’a jamais joué que dans les rues de Deir Jarir, à quelques kilomètres de Ramallah. À l’école ou dans un club, c’était « impossible ». « Bien évidemment, j’étais la seule fille. Mais je n’étais pas impressionnée. J’étais même fière. Et puis, je suis forte ! » La coach de l’équipe de Rabeha Teyyab montre ses biceps et se marre à l’évocation de ce souvenir.

L’assentiment de la communauté

Car elle en a parcouru du chemin, depuis lors, entraînant avec elle une cinquantaine de fillettes palestiniennes. Elle ne se doutait pas qu’en ouvrant des plages horaires pour les filles sur le petit terrain qui jouxte la mosquée, elle susciterait un tel d’enthousiasme. Raja est d’autant plus surprise que les habitants de la communauté ont d’emblée soutenu son initiative – « tout au plus y a-t-il eu deux ou trois réactions négatives ». « Qui l’eût cru, dans une société réputée conservatrice, dans un village d’éleveurs et d’agriculteurs ? », s’étonne-t-elle encore trois ans plus tard. Sa mère, Najia, opine du chef.


« On a l’idée préconçue que les femmes ne peuvent pas jouer au foot.
Mais les gens n’y sont pas fondamentalement opposés non plus,
car il n’y a pas de raison fondée à cela. »

Najia

Selon Claudie, toutefois, « sans le soutien de la famille, c’est impossible d’aller loin car elle te défend contre la société ». Devenue à 28 ans le visage du football palestinien, elle a essuyé les critiques et les insultes. « On m’a traitée de tous les noms dans la presse lorsque je suis devenue une personnalité publique », se souvient l’ancienne joueuse de l’équipe nationale. Le soutien de son père et de leaders moraux lui ont finalement permis de « casser les barrières mentales ».

Aujourd’hui, l’idée que les filles jouent au foot commence à être globalement acceptée. « Si une femme peut aller dans un café et fumer la chicha, pourquoi lui interdire de jouer au football ?! »

Prendre le contrôle

En Cisjordanie comme dans la bande de Gaza, la pratique du football par les filles combat une double source de limitation des libertés : celle qu’impose aux filles la société ; celle inhérente à l’occupation israélienne. Alors que « la vie quotidienne est marquée par les check points et les entraves à la liberté de mouvement », le football est une « échappatoire », estime Claudie. Dans le brouhaha d’une salle omnisports de Ramallah, elle ajoute que le football, c’est aussi un moyen de « tout lâcher » et de « faire exploser la colère ». Raja abonde dans ce sens.

« Il donne un sentiment de liberté, permet de prendre le contrôle de sa vie, de ses décisions, de ses mouvements. On est au pouvoir. On a des droits. On se sent normales. »
Raja Hamdan
1 - Lors du tournoi interscolaire organisé à Ramallah pour les filles de 13 à 17 ans, l’équipe coachée par Raja, Rabeha Teyyab, remporte son quart de finale aux penalties. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA
2 - « Au départ, mon père n’était pas d’accord. Mais il a changé d’avis parce qu’il a vu que je savais jouer », raconte Leila, joueuse de Bira, en prémices de son match. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA
3 - Raja Hamdan reprend le volant de sa Mini noire après le tournoi interscolaire organisé à Ramallah. Les check points installés par l’armée israélienne sur la route vers Deir Jarir font partie de son quotidien. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA

Le paysage vallonné de la Palestine s’étend sous les pieds de Leila et Majdoleen, joueuses de l’équipe de Bira. Nombreuses sont celles qui n’ont jamais foulé un autre sol que celui de cette étroite bande de terre. Le football a par contre permis aux deux adolescentes de voyager, de « voir autre chose et donner une autre image de la Palestine à l’étranger ». « Nos armes, ce sont nos compétences. Les miennes me permettent de montrer qui nous sommes. C’est ma responsabilité », insiste Claudie.

Leila et Majdoleen jouent pour l’équipe U17 de Palestine, à Ramallah. Cela leur a donné l’opportunité de sortir de Cisjordanie et de « voir autre chose », comme peu d’autres filles de leur âge en ont l’occasion. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA

Des femmes fortes

Les deux coachs se sont donné pour responsabilité de transmettre ce qu’elles ont appris seules, ou presque. « Ma plus grande motivation est de donner aux filles ce que je n’ai pas eu : une opportunité de jouer, un cadre bienveillant qui leur permette de progresser et de développer leur personnalité », résume Raja depuis le salon de la maison familiale de Deir Jarir. Selon elle, le football enrichit leur personnalité, les rend autonomes, respectueuses de l’autre et capables de gérer la pression, entre autres.

« Le football apporte bien plus que des capacités techniques et physiques.
Il crée des liens solides d’amitié, rend les filles plus fortes dans une société
où cela n’est pas toujours accepté. »

Claudie Salameh

« La majorité des hommes ne veut pas que les filles soient fortes. Moi, c’est ce que je veux les aider à devenir ! », ajoute Raja. C’est avec ces mots qu’elle interpelle son père, tout juste rentré de la mosquée. Sous les regards de ses deux petites filles, Khairi l’assure : « Elles auront toutes accès au sport dans cette famille. »

Raja et son pére Khairi dans la maison familiale. © Johanna de Tessières/Collectif HUMA

Depuis le pas de la porte, le regard de Raja se pose sur le Mont Al Assour, point culminant de la Cisjordanie. « Je souhaite que les filles que j’entraîne reprennent un jour le flambeau et poursuivent ce que j’ai entamé. »




Les championnes de Gaza

Reportage Virginie Nguyen Hoang / Collectif HUMA

Dans la bande de Gaza, les femmes ne pratiquent généralement pas le football. Au début de l'année 2019 pourtant, sous la pression de quelques familles membres, le Champions Club de Gaza City a décidé de créer une équipe féminine. Désormais, Nour et ses coéquipières s'entraînent deux fois par semaine dans ce "lieu sécurisé et à l'abri des regards".

© Virginie Nguyen Hoang / Collectif HUMA

L'équipe féminine de football du club familial "Champions", à Gaza, compte plus de 15 joueuses de 8 à 18 ans. Son objectif, au-delà de l’aspect physique, est de renforcer la confiance et le leadership des jeunes filles. L’inscription, payante, reste ouverte à toutes celles qui souhaitent jouer, et non pas uniquement aux membres du club familial. Mais la pratique du football est gratuite pour les joueuses les plus talentueuses qui n'ont pas les moyens financiers.

"Le ministère des Sports ne nous donne aucun subside, sans compter qu’avec le blocus, il est très difficile d’organiser des matches à l’extérieur. Pour le moment, nous ne jouons pas vraiment de matches contre d’autres équipes, mais nous rêvons de pouvoir, dans quelques années, représenter la Palestine dans un tournoi international", confie Mohamed Al Ashram, coach de l’équipe féminine.

"Ici, on se sent libres! On peut jouer au football sans avoir peur que quelqu'un nous juge, dise que le sport n'est pas pour les femmes ou, pire, nous ramène chez nos parents pour leur dire que ce n'est pas acceptable. Notre société n'accepte pas que des filles jouent au football dans la rue. C'est pareil pour tout autre sport dès qu'on atteint l'âge de 13 ans », explique Nour. « Ce n'est pas facile de changer les mentalités. J'espère qu'un jour on réussira à jouer en dehors des murs du Champions Club."

© Virginie Nguyen Hoang / Collectif HUMA

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