Bénin

Pour les Gazelles,
c'est aussi "le moment
de briller"

Bélassé Tchari compte parmi les premières mamans du village de Gouandé avoir encouragé sa fille dans son envie de faire du foot : “Beaucoup m’ont demandé comment je pouvais la laisser jouer mais je n’ai jamais voulu empêcher Virginie de faire quelque chose qui va dans le sens de son propre développement.” © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Textes Laure Derenne / Collectif HUMA
Photographies Olivier Papegnies / Collectif HUMA
Envoyés spéciaux au Bénin

Filles, femmes, mères, épouses mais aussi et surtout étudiantes, footballeuses et leadeuses. Si les Béninoises n’ont pas encore accès aux championnats internationaux, le slogan de la Coupe du monde résonne jusque dans leur pays.

Adèle Avocévou, 27 ans, enseigne les sciences, les maths et l’anglais dans une école secondaire près de Cotonou (Bénin). Un poste qu’elle doit à sa passion du foot, selon les mots de son recruteur. « Je sais que tu es tenace et au point, physiquement. C’est un travail intellectuel mais tu dois aussi être dynamique. » La jeune femme sourit : « C’est un avantage qu’on me donne souvent. Même quand je vais dans un lieu, sans rien dire, on m’aborde pour me demander d’où vient mon allure sportive. J’explique avec fierté que je suis footballeuse. C’est ce que j’ai de plus précieux au monde : j’ai tout eu par le foot.»

Adèle aime raconter qu’elle est née une balle au pied. A l’école, elle jouait avec les garçons. Quand ses coéquipiers ou les mamans du village lui disaient d’aller voir ailleurs, elle ne se laissait pas faire.

« J’aime le foot et je sais y jouer,
pas question qu’on me chasse du terrain ! »

Adèle

Adèle cultive son endurance et sa technique, en suivant chaque matin un programme d’entraînement qu’elle s’est elle-même concocté au fil des années. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Aujourd’hui, la jeune femme évolue dans l’une des meilleures équipes féminines béninoises : les Black Stones. Forte, technique et très rapide, elle s’illustre à différents postes : ailière, milieu ou avant-centre.

L’équipe des Black Stones a participé à plusieurs tentatives avortées de lancer un championnat national féminin. Depuis plusieurs années, les effets d’annonce se succèdent et n’aboutissent pas au rêve escompté de constituer de véritables équipes de première division. La joueuse regrette le manque d’un réel circuit de compétition. « Quand on voit d’autres filles jouer et avoir des opportunités, ça donne envie de progresser. » Malgré sa détermination et sa motivation sans faille, Adèle doit aussi admettre qu’elle a surtout vu des générations de footballeuses prometteuses tomber dans l’oubli. Ses jeunes élèves - à qui elle aime transmettre sa passion entre deux cours -  ne manquent pas de lui rappeler que les choses n’évoluent pas bien vite : « Grande sœur, on vous voit jouer depuis qu’on vous connaît mais vous n’êtes partie nulle part. Ne nous demandez pas d’apprendre à jouer comme vous. »

1- L’équipe adverse de Hêvié se concerte sur quelques tactiques avant le match qui les opposera aux Black Stones. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
2- Adèle se souvient d’avoir souvent été choisie en dernier par les capitaines des équipes de garçons qu’elle intégrait enfant. Aujourd'hui, elle leade l'équipe féminine des Black Stones. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
3 - Sur la bordure du terrain, pas délimitée clairement, une joueuse des Black Stones atterrit dans le public en voulant reprendre la balle. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Le programme Impact’Elle : du foot pour booster l’avenir des filles

Le souhait de voir émerger un championnat féminin est partagé par Paul Sabi Boum, directeur des programmes de l’ONG Plan International, dans le nord du Bénin : « Qu’on puisse voir les filles jouer comme les garçons, être encouragées, passer à la télé ! » Convaincu du potentiel du sport pour faire progresser leur place dans la société, l’homme gère le programme “Impact’Elle”. Un programme qui a créé 16 équipes de foot dans des communautés rurales.

Réveil matinal. Les Gazelles de Gouandé viennent de camper ensemble. Elles courent s’entraîner une dernière fois avant la rencontre amicale de l’équipe de Dassari, prévue en fin d’après-midi.
© Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Comme par exemple dans l’Atacora, où l’équipe des Gazelles de Gouandé est née en 2017, sous l’impulsion de l’animateur sportif, Dominique Kouago. C’est en côtoyant de brillantes étudiantes à l’Université de Parakou que l’homme a pris conscience des inégalités auxquelles faisaient face les adolescentes de son village. A l’école secondaire de Gouandé, 209 filles sont inscrites en premier cycle, aux côtés de 328 garçons. Au second cycle, elles ne sont plus que 24 pour 132 garçons. Vues comme de futures épouses et mères, les filles auraient davantage besoin d’apprendre à cuisiner que d’obtenir un diplôme. Aux yeux de certains parents, trop éclairer l’esprit d’une fille serait même risqué : il ne faudrait pas qu’elle remette trop en question l’éducation de ses parents. Enfin, dans un contexte où les questions affectives et sexuelles sont rarement abordées en famille, la fréquentation d’une école mixte entraîne des risques particuliers : celui de se faire harceler sur le chemin de l’école ou en classe et celui d’être « enceintée » précocement.

À son retour au village, Dominique Kouago a constitué l’équipe des Gazelles, avec l’appui de l’école de Gouandé et de l’ONG Plan International : « Je ne suis pas un grand expert, ni du ballon, ni du coaching, mais je vois en ces filles la capacité. Elles peuvent aller très loin, je le sais ». Le programme comprend des sessions sportives mais également des moments de partage et de sensibilisation. L’objectif est de les aider à développer leur ambition et à surmonter les obstacles qui pèsent trop souvent sur leur avenir.

Observé avec méfiance pendant plusieurs mois, Dominique a d’abord dû convaincre les familles de sa bonne foi. Les filles ont fait le reste : elles ont accumulé les bons résultats, sur le terrain comme à l’école.

1 - Virginie, sur le chantier d’un oncle qui creuse la terre pour faire des briques. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
2 - Comme les champions qu’elle admire, Yvette se donne à fond. Le sport, juste après l’école, lui permet de se libérer l’esprit et de se concentrer d’autant mieux sur ses apprentissages. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
3 - Après son entraînement à l’aube, Yvette s’est dépêchée d’aller à la messe dominicale. Elle a juste eu le temps d’enfiler une jupe au-dessus de son short. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Antoinette, 14 ans, fait partie des Gazelles depuis ses débuts. Pour elle, le foot est une manière de faire place nette, dans son corps et dans son esprit. « Avant, je tombais souvent malade » confie-t-elle. « Maintenant, j’ai beaucoup plus de souffle et je n’ai plus jamais mal à la tête. Grâce au foot, je sors toutes les saletés de mon corps. » Autre avantage, selon l’adolescente : « Quand je reviens du sport après l’école, j’ai l’esprit moins encombré. Je prends mes cahiers, je bûche et ça rentre plus vite. » Antoinette adore les sciences, une matière rarement choisie par les filles : « Dans cette option, nous ne sommes que 5 pour 37 garçons. Beaucoup nous tournent le dos et essaient de nous décourager. » Mais la jeune élève n’est pas du genre à se laisser intimider. Elle rêve de devenir journaliste ou avocate.

1 - Premier pas sur la terre du village de Gouandé pour cette joueuse de Dassari. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
2 - Les Gazelles de Gouandé regardent un match opposant les garçons de leur école à leurs professeurs. Elles viennent d’assister à une occasion manquée des élèves. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
3 - Les deux attaquantes de pointe des Gazelles de Gouandé font face à « Béton », la gardienne de l’équipe de Dassari. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

Quand les mamans suivent le mouvement

Marie Issifou s’est battue pour que ses deux filles puissent aller à l’école, malgré des conditions de vie difficiles. Suite au décès de son époux, Marie a quitté sa belle-famille, craignant qu’un mariage précoce soit décidé pour ses enfants. Retournée auprès de sa propre mère, dans le village de Cobly, Marie est devenue aide-ménagère auprès d’autres familles, ce qui lui permettait tout juste de nourrir ses filles et de leur payer quelques cahiers. « Jusqu’au collège, elles allaient à l’école sans chaussures, ça me faisait mal mais je ne pouvais rien faire », déplore-t-elle.

Chaque jour, la maman solo accompagnait ses filles à l’école, pour qu’il ne leur arrive rien en chemin. Son aînée, Adeline, a aujourd’hui 20 ans. Elle a obtenu son bac sans difficulté et poursuit aujourd’hui des études de droit, à l’Université de Parakou. Marie est très fière de ce parcours qui déjoue les pronostics traditionnels.

« Je tenais à ce que mes filles aillent à l’école. Les gens disent souvent que les filles ne sont pas fortes, qu’elles ne peuvent rien faire, qu’une femme ne peut pas travailler, ni devenir ministre ou présidente. On ne les laisse pas évoluer. Ça me révolte ! »
Marie Issifou

Marie Issifou a créé une association de mamans et participe à de nombreuses sensibilisations sur l’importance de la scolarisation des filles. Ses conseils d’éducation et ses encouragements trouvent écho auprès de nombreux jeunes, familles ou éducateurs.

Si Adeline est aujourd’hui reconnue aux yeux de tous comme « l’étoile de Cobly », c’est non seulement pour son brillant parcours à l’école mais aussi parce qu’elle a fait partie des premières joueuses de foot de son village. Faisant fi des commentaires, Adeline a développé sa passion du jeu et a entraîné d’autres filles à s’intéresser au foot. Quelques années plus tard, en 2017, sa maman s’est elle aussi lancée dans l’aventure. A l’occasion d’un 8 mars – journée internationale des droits des femmes – Marie a invité d’autres mères de son âge à constituer leur propre équipe de foot. Depuis, elles se réunissent chaque samedi, pour s’entraîner.

© Olivier Papegnies / Collectif HUMA
1 - Judith et Clémence, lors d’une séance d’entraînement. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
2 - Eclat de rire général. L’une des mamans de Cobly est malencontreusement tombée en voulant s’accrocher au goal, un peu trop instable. Judith l’aide à se relever. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA
3 - Séance de tirs au but lors d’un entraînement, sous les yeux d’un enfant qui grandira avec l’idée que les mamans aussi font du foot. © Olivier Papegnies / Collectif HUMA

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