Chapitre II


L’entomophagie

Le « Western District » déborde d’apothicaireries et d’herboristeries. Centre politique et économique de Hong Kong, le quartier situé au Nord-Ouest de la péninsule abrite parmi les plus nombreux gratte-ciels de la Région (1300 à Hong Kong contre 716 à New York).

En tout lieu, les vitrines regorgent de plantes, de racines et de décoctions particulièrement chères. Le Yarsagumba, vers momifié réputé aphrodisiaque, peut valoir 16000 HKD les 37 grammes (unité standard utilisée par les apothicaires). Soit environ 1800 euros.

Photo: Alexandre Lefebvre

Des échoppes, émane un fumet d’ormeau séché. Nids d’oiseaux, intestins de poissons, concombres de mer, hippocampes, pénis de cerfs, bois de cervidés, ailerons de requins, pattes de biches, cigales… La pharmacopée chinoise repose aussi sur des organes d’espèces en voie d’extinction (bile d’ours, moustaches et os de tigres).

- "Do you have insects ?", demande Nikolaas Viaene, éleveur belge de grillons et co-fondateur de « Little Food ».

- "Màt yæ ä ?" ("Quoi?"), répond le commerçant.

Le Gouvernement prône une politique de bilinguisme mais le cantonais reste la langue utilisée par la majorité des Hong-Kongais.

Tony Leung, lui, cause anglais. Et le fait savoir.

"Ici, vous trouverez surtout des insectes aux vertus médicinales, interpelle le passant. Moi, c’est ma mère et ma grand-mère qui m’ont tout appris. C’est vrai qu’on utilise des insectes comme des cafards séchés contre la toux par exemple. on ne les consomme pas comme une friandise. Si vous voulez trouver des insectes à manger comme un snack, il faut aller dans des restaurants spécialisés."

Coléoptères (scarabées), lépidoptères (papillons, chenilles et chrysalides), orthoptères (sauterelles et criquets), termites, … 1900 espèces d’insectes ont été répertoriées. « Dans la réalité, il y en a bien plus que ça », assure Nikolaas Viaene. Certains spécimens sont consommés régulièrement par - au moins - deux milliards d’êtres humains.

Dans les pays européens, sauterelles et criquets atterrissent rarement dans l'assiette. Mais le miellat, qui provient d’excréments de pucerons, est très prisé en Grande-Bretagne. Les larves de la mouche du fromage servent également à l’affinage du Casu marzu. Ajoutons enfin, qu’à son insu, l’homme consomme 500 grammes d’insectes par an (dans les fruits, les confitures, le pain).

« La Belgique est très en pointe dans ce domaine, poursuit Nikolaas Viaene. Avant même que l’Union européenne ne légifère, l’Agence fédéral pour la sécurité alimentaire avait déjà pris les devants. Elle a aujourd’hui autorisé la mise sur le marché de 10 espèces* ».

Amuse-bouche branché des apéros urbains, le grillon concerne une clientèle « de niche », reconnaît toutefois Nikolaas Viaene. « On doit diminuer le prix, sinon, ça restera une friandise de luxe. Et pour ça, on doit diminuer nos coûts de production et apprendre davantage même si on a déjà beaucoup appris en quatre ans. On fait encore tout manuellement : on enlève même les pattes à la main et on les utilise ensuite pour faire de la farine que l’on envoie un peu partout pour des tests. On en fait notamment des barres protéinées pour les sportifs, des cupcakes à Paris ou des hamburgers à Bruxelles. C’est ça aussi l’économie circulaire. »

*grillon domestique, criquet migrateur africain, ver de farine géant, ver de farine, ver Buffalo, chenille de la fausse teigne, criquet pèlerin d’Amérique, grillon à ailes courtes, chenille de la petite fausse teigne et chenille du bombyx.



Testez vos connaissances en entomophagie


« Consommer des insectes comme en-cas ne fait pas partie des habitudes des Hong-Kongais et c’est ce qui est intéressant pour quelqu’un comme moi. Car il existe quand même des restaurants qui les cuisinent et donc, des gens qui les consomment. Or notre plus grand défi, en Belgique, c’est justement de dépasser le côté fun de la pratique pour que l’insecte devienne un condiment à part entière de l’alimentation. »

A Hong Kong, les insectes restent une spécialité importée du Yunnan (province du Sud-Ouest de la Chine).





13h30, à San Po Kong, dans le très industriel district de New Kowloon. Le restaurant d’Amy Wong ne désemplit pas. « Ça goûte les frites », plaisante Nikolaas Viaene, un verre de soie coincé entre deux baguettes. Cigales, criquets, vers de bambou, abeilles, larves de guêpes sont frits, salés, poivrés, dégustés. L’idée, explique Amy Wong (originaire du Yunnan), lui vient de son mari. « Nous avons appris à manger des insectes surtout parce que nous étions pauvres et manquions de protéines. »





« Les insectes peuvent aussi nourrir le bétail, reprend Nikolaas Viaene. Ça peut diminuer la pression sur les terres agricoles mondiales qui sont justement utilisées pour nourrir les porcs par exemple et donc réduire notre dépendance à l’égard du soja importé du Brésil avec lequel on a beaucoup de problèmes actuellement. »

En Belgique, « Little food » produit un peu moins de 100 kilos de grillons par mois (l’équivalent de 1500 flacons) sur à peine, 35 mètres carrés. « La production d’insectes demande très peu d’espace. C’est le principal avantage et c’est pourquoi il s’agit d’un maillon essentiel de l’agriculture urbaine. »