Les Indiennes cherchent leur Draupadi

Nom: Mallika Sarabhai
Profession: danseuse, chorégraphe, militante
Age: 59 ans

Le visiteur qui passe le mur d’enceinte de la propriété des Sarabhai à Ahmedabad est salué par une déesse à six bras, œuvre de l’artiste indienne Shilo Shiv Suleman. « I am more than my body », « Je ne suis pas qu’un corps », prévient la divinité.

De mère en fille, les femmes Sarabhai incarnent le féminisme à l’indienne. La doyenne, Mrinalini Sarabhai, née en 1918, est une légende vivante de la danse classique indienne, crédité pour avoir révolutionné le genre au XXème siècle, en y intégrant des thèmes sociaux.

Sa propre mère, Ammu Swaminathan, se battait déjà aux côtés du Mahatma Gandhi pour l’Indépendance de l’Inde et fut l’une des toutes premières parlementaires du pays, participant à la rédaction de la constitution, adoptée en 1950.

Légende: Rare photo de la famille Swaminathan: de gauche à droite (assis),
le père S. Swaminathan, Ammu Swaminathan, et un fils.
Debout, Lakshmi et Mrinalini.

Deux générations plus tard, Mallika Sarabhai poursuit la tradition familiale. Comme la belle Draupadi qu’elle incarnait dans le Mahâbhârata, la pièce de Peter Brook et Jean-Claude Carrière tirée du livre sacré hindou, sa définition du féminisme n’est pas réductrice. « Pour moi, Draupadi est la représentation parfaite de la femme du XXIème siècle, car elle ne croit pas qu’elle doit nier son sexe pour aller de l’avant. Elle a un utérus et elle a un cerveau, elle est fière des deux ». Un message qui, selon la danseuse, est universel. « En interprétant Draupadi, j’ai compris que les femmes partout dans le monde, des big mamas du Bronx aux aborigènes d’Australie, en passant par les étudiantes très chic de la Sorbonne, s’identifiaient à elle et se disaient, ‘c’est le genre de femme que je veux être’».

Que reste-t-il du mythe de Draupadi, vieux de 3000 ans, dans l’Inde moderne, jugée oppressive pour ces femmes? « Dans la philosophie et la religion hindoue, la femme est l’égale de l’homme, contrairement à la religion chrétienne où Dieu a créé Eve à partir de la côte d’Adam. Dans le panthéon hindou, quand les Dieux sont mis en échec par les forces du mal, les déesses apparaissent pour les sauver. Si une femme s’affirme, l’homme indien ne se sent pas castré, comme c’est souvent le cas en Occident. En Inde, une femme est écoutée et respectée dans son foyer mais il est vrai la culture est toujours très patriarcale. Le problème aujourd’hui, c’est que les femmes ont peur de rejeter la société qui leur est imposée et d’en changer les règles ».

Comme sa mère, Mallika Sarabhai utilise l’art pour véhiculer les messages qui lui tiennent à cœur. Pour le 38ème festival international des Arts, en honneur à son père, le physicien Vikram Sarabhai, du 16 au 18 avril à Mumbai, elle a choisi le thème des migrations forcées. « Les déplacements de population mais aussi les pertes de repères personnels », explique-t-elle.


Son discours pour TEDIndia, Dance to change the world

De la scène artistique à la scène politique, il n’y avait qu’un pas que cette femme engagée a franchi concrètement après les émeutes inter-ethniques dans sa ville d’Ahmedabad, au Gujarat, en 2002. Douze ans plus tard, cet épisode sanglant, au cours duquel 2000 Musulmans ont été massacrés, hante la campagne électorale. Et pour cause. Narendra Modi, leader du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP), favori des sondages, est Premier Ministre (chief minister) du Gujarat et aurait, selon ses détracteurs, fermé les yeux sur les pogroms. Pire, il les aurait encouragés à des fins électorales. Une commission nommée par la Cour Suprême l’a blanchi en 2012 « mais celle-ci était corrompue », s’insurge Mme Sarabhai, qui a porté l’affaire devant les tribunaux. « Même si Modi n’est pas directement responsable, il devrait être jugé pour son horrible gestion de l’Etat. Comment pouvez-vous laisser une telle boucherie se produire pendant trois jours ? Il devrait être limogé, car ni lui, ni ses ministres, ni la police n’ont fait leur travail ».

Au mois de janvier, Mallika Sarabhai a annoncé son soutien à l'Aam Aadmi Party, la formation anti-corruption, qui crée des remous dans le paysage politique indien. « Même s’il commet des erreurs, c’est le seul parti qui puisse faire bouger les choses, mais il lui faudra du temps», conçoit-elle. L’Inde, dit-elle, traverse une période difficile, qui voit « la rupture de nos valeurs sociales face au capitalisme. Aujourd’hui, tout tourne autour de l’argent et de la réussite. Ce n’est pas qui nous sommes » déplore la militante.