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Portrait Hamida Djandoubi

10 septembre 1977

La dernière fois que la France a guillotiné un homme

Hamida Djandoubi

Le jour n’est pas encore levé sur Marseille. Au cœur de la célèbre prison des Baumettes, le grincement des grilles succède aux murmures des prisonniers enfermés dans leurs cellules. Dans quelques minutes, il y aura un homme de moins entre ces murs. Et voilà qu’il apparaît. Encadré par ses gardiens, Hamida Djandoubi arrive. Démarche saccadée (il a perdu une jambe dans un accident quelques années plus tôt et porte une prothèse), silence pesant du condamné à mort.

Quelques mois plus tôt, ce Tunisien de 28 ans a été reconnu coupable du meurtre d’Isabelle Bousquet. En juillet 1974, il a kidnappé cette jeune femme, sa maîtresse, l’a torturée avant de l’étrangler sauvagement. Au terme de son procès face à la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, Hamida a été condamné à la peine capitale par le jury.

> Hamida Djandoubi dans le couloir de la mort.

En ce 10 septembre 1977, celui que le procureur général décrivait comme « une âme démoniaque » semble calme. C’est en tout cas ce que racontera Monique Mabelly, juge d’instruction témoin de la scène, dans un récit publié plus de 35 ans après les faits (à lire en intégralité en cliquant ici). « Il est jeune. Les cheveux très noirs, bien coiffés. Le visage est assez beau, des traits réguliers, mais le teint livide, et des cernes sous les yeux. Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute. C'est plutôt un beau garçon », écrit la juge d’instruction.


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Le « beau garçon » a droit à tous les égards du condamné. On lui propose une cigarette, puis un verre de rhum. Il vit chaque gorgée et chaque bouffée comme la dernière. « Les instants qui lui restent à vivre dureront tant que durera cette cigarette. […] Il a compris que sa vie s'arrêterait quand il aurait fini de boire », raconte Mme Mabelly. Comme un enfant « qui use de tous les moyens pour retarder l’heure d’aller au lit », Hamida demande une deuxième cigarette. Le goût de la première ne lui a pas plu. Trop tard, sa demande est refusée. Le bourreau et ses assistants s’impatientent. Le prisonnier reçoit l’ordre de baisser la tête. On lui coupe le col de sa chemise bleue d’un coup de ciseaux pour préparer la nuque à accueillir la lame de la guillotine.

Le reste, c’est un bruit et une couleur. La chute du couperet, puis « du sang, beaucoup de sang, du sang très rouge », selon Monique Mabelly. « En une seconde, une vie a été tranchée. L'homme qui parlait, moins d'une minute plus tôt, n'est plus qu'un pyjama bleu dans un panier. »

L’instant est macabre et historique à la fois. Le 10 septembre 1977, à 4h40 du matin précisément, la France vient de mettre la peine de mort à exécution pour la dernière fois de son histoire. Le 9 octobre 1981, la sentence suprême est définitivement retirée du droit français. Le projet, qui figurait parmi les « 110 propositions » du président François Mitterrand fraîchement élu, s'imposa difficilement dans les esprits. Il fallut toute la force de Robert Badinter, ministre de la Justice du gouvernement Mauroy, pour obtenir l'abolition malgré des débats houleux à l'Assemblée nationale et une opinion publique favorable à plus de 60% au maintien de la peine de mort.







Dans la France de 1981, c’est la fin d’un long combat entamé au XIXe siècle déjà par Victor Hugo dans son « Dernier jour d’un condamné » et alimenté par les « Réflexions sur la guillotine » d’Albert Camus qui voyait la peine capitale comme « le plus prémédité des meurtres, auquel aucun forfait de criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé. »

Entre 1977 et 1981, plusieurs criminels seront bien condamnés à mort en France, mais la peine ne sera plus jamais appliquée.

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« Après l'élection de François Mitterrand, il y a eu encore trois nouvelles condamnations à mort jusqu'en juin 1981. Les jurés étaient en faveur de la peine capitale, mais ils savaient que Mitterrand gracierait les condamnés, d'où cet emballement. »
(Robert Badinter dans « Le Monde » du 9 octobre 2013.)

La France sera le 35e pays à abolir la peine de mort. La Belgique suivra en 1996. Chez nous, le dernier condamné à mort s’appelle Stephan Peigneux. Le « tueur machiavélique de Tongres » comme le décrivait « Le Soir » dans son édition du 25 mars 1995 était accusé d’avoir tué sa femme sur fond de fraude à l’assurance vie.

En 2012, Stephan Peigneux avait profité d’un congé pénitentiaire pour s’envoler vers le Brésil. Il a finalement été extradé vers la Belgique au début du mois de mai 2015.

> Robert Badinter

L’impossible
retour en arrière

En France et en Belgique comme ailleurs, le retour en arrière n’est pas une option. Le rétablissement de la peine capitale demanderait de mettre en route un fastidieux processus législatif aux conséquences énormes. Car plusieurs traités internationaux s’opposent à la peine capitale. Exemple parmi d’autres : les pays membres de l’Union européenne ont adopté en 2000 une charte des droits fondamentaux qui précise bien que « nul ne sera condamné à mort ou exécuté ».

Cela n’empêche pas certains partis d’inscrire le retour de la peine capitale dans leur programme. C’est le cas du Front national de Marine Le Pen qui entend bien laisser aux Français le choix entre « rétablissement de la peine de mort ou instauration de la réclusion criminelle à perpétuité » :

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« L’alternative entre ces deux possibilités pour renforcer notre arsenal pénal sera proposée aux Français par référendum. La réclusion à perpétuité aurait un caractère définitif et irréversible, le criminel se trouverait sans possibilité de sortir un jour de prison. »
(Programme du Front national, chapitre « Sécurité »)

Mais voilà, « pour qu'une [révision constitutionnelle pour rétablir la peine de mort] soit envisageable, il faudrait que chaque Chambre se prononce en sa faveur », note Robert Badinter. « Et à supposer qu'on obtienne ensuite cette révision constitutionnelle par référendum, encore faudrait-il que la France quitte l'Union européenne et dénonce ses engagements internationaux. C'est inimaginable pour une démocratie européenne qui se proclame la patrie des droits de l'homme. »

Références

- MABELLY M., « C’est à ce moment qu’il commence à réaliser que c’est fini », dans Le Monde du 9 octobre 2013.
- TRUONG N., « Robert Badinter : “Comme la torture hier, la peine de mort est vouée à disparaître” », dans Le Monde du 9 octobre 2013.
- KOESTLER A. et CAMUS A., « Réflexions sur la peine capitale », Calmann-Lévy, Paris, 1957, 286 pp.
- « La carte du monde où sévit encore la peine de mort (INFOGRAPHIE) », LaLibre.be, mis en ligne le 30 avril 2015.
- « Robert Badinter : “J’ai l’honneur de demander l’abolition de la peine de mort en France” », archive INA publiée sur YouTube le 13 juin 2012.
- « La sécurité, première des libertés », programme du Front national français.

Crédits

- Reporters/Rue des Archives

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