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Jean-Nicolas Perlot,
le Belge qui s’est rué vers l’or californien




Intro

Nous sommes en 1845. Le Belge Jean-Nicolas Perlot, originaire de la province du Luxembourg, décide suite à la mort de son père de se rendre à Paris afin d’améliorer son train de vie. Agé de tout juste 22 ans, il se fait embaucher comme calicot (vendeur de tissus). Les années passant, il perçoit un salaire toujours plus attrayant qui lui permet de vivre confortablement. Son histoire aurait pu en rester là, celle d’un banal vendeur de tissus gagnant plutôt bien sa vie, mais deux événements concomitants le menèrent vers un tout autre destin.

Trois ans après l’arrivée de Perlot à Paris, le peuple français se révolte et obtient l’abdication de Louis-Philippe 1er, roi de l’époque. Une victoire pour les Français, mais dont les conséquences se font surtout sentir dans les commerces qui voient leur chiffre d’affaires fondre. De nombreux employés perdent leur travail. Il devient alors vital pour tous ces gens de trouver un nouveau moyen de gagner de l’argent. Et, pour cela, il leur suffit de tourner les yeux vers l’Ouest. A la même époque, à des milliers de kilomètres de là, en Californie, le capitaine Sutter leur redonna espoir. Le nom de cet homme fut en effet associé à une étrange découverte.

Alors qu’il était en train de construire la nouvelle scierie de son patron, l’un des employés de John Sutter tomba nez à nez avec de grandes quantités d’or. La nouvelle fit le tour des Etats-Unis et ne tarda pas à franchir l’Océan atlantique. « La fièvre de l’or succéda à la fièvre révolutionnaire ou, du moins, lui fit une rude concurrence. Des sociétés se formèrent pour l’exploitation des mines d’or de la Californie. Tous les murs dans Paris étaient couverts de leurs affiches remplies de promesses alléchantes », écrit Jean-Nicolas Perlot. Il n’en fallait pas plus pour que ce Belge décide de devenir l’un des principaux protagonistes de la ruée vers l’or.

CHAPITRE 1

Un long chemin où les cadavres mènent à l'or

C’est avec la société La fortune qu’il embarque sur un bateau à destination de la Californie. Une fois la traversée de six mois terminée, Perlot et ses collègues posent enfin le pied sur le continent américain. Mais, à peine arrivés, ils apprennent que leur société a fait faillite. Rien ne peut toutefois décourager ces hommes rêveurs : ni ce contretemps ni les rumeurs terrifiantes.

« Le bruit courrait qu’on trépassait comme des mouches sur les champs aurifères tandis que les survivants passaient leurs temps à s’entretuer », raconte Perlot.

Avec une dizaine de personnes, le Belge se procure une carte incomplète qui leur permettra malgré tout de les mener vers des terres contenant de l'or. Commence alors leur expédition. « Seuls, nous n’avions pas assez d’argent pour acheter ce dont nous avions besoin mais, ensemble, nous avons réussi. Nous avons donc acheté un âne, des armes et des vivres. Pour réaliser ce capital, nous avons dû vendre chemises et pantalons, et les caleçons surtout, objets de luxe, car un pantalon suffit pour être habillé ». Armée du strict nécessaire, la petite équipe se met en route. « Il fallait parcourir de longues distances à travers un pays désert et sans chemin, à se garer de l’Indien, de l’ours, de la panthère, du chat-tigre, et des serpents de toutes espèces ».

Les principaux dangers consistaient à se faire tuer ou à mourir de faim. Ils ne s’accordent donc que très peu de pauses afin d’arriver à bon port le plus vite possible. Leurs pieds terriblement abîmés par cette marche épuisante les empêchent pourtant parfois de continuer. Le plus dur pour eux, ce n’était pas de traverser les ruisseaux à pied ou de dormir à la belle étoile, mais bien de ne pas savoir quand leur marche se terminerait. A mi-chemin, beaucoup songent à faire demi-tour. L’un d’eux tente même de se suicider.

« Pourquoi m’empêcher de mettre fin à mes souffrances ?! Je ne peux ni aller en avant ni retourner sur mes pas. Alors, ou vous me tuez, ou vous me laissez me tuer. Cela vaudra mieux que de m’abandonner ici ».

Au bout de 17 jours de marche, ils arrivent néanmoins à Mariposa, région réputée riche en or où sont déjà présents des centaines de chercheurs d’or. Les nouveaux arrivants sont alors accueillis par des pancartes qui ne laissent rien présager de bon. « Prière d’enterrer vos morts si vous êtes des hommes civilisés ». Ce n’est qu’à ce moment qu’ils comprennent que les centaines de monticules de terre devant lesquels ils sont passés pour venir jusque là étaient en réalité des tombes de mineurs qui n’avaient pas pu se nourrir à cause de l’hiver très rude. Mais qu’importe, leurs rêves étaient maintenant à portée de main.

CHAPITRE 2

La vie misérable des chercheurs d’or

N’ayant pas assez d’argent pour acheter les outils leur permettant de chercher l’or, ils décident de commencer par travailler pour des mineurs expérimentés. Leur style de vie est assez rudimentaire : ils dorment sous une tente, à même le sol, mangent toujours les mêmes aliments cuisinés directement sur la terre. Ils travaillent toute la journée pour gagner l’équivalent de cinq dollars. Ils sont payés pour se rendre sur un placer (lieu où un cours d’eau a déposé de l’or) et laver la terre grâce à un long tom qui sépare l’or des autres déchets. Cette technique fatigante nécessite cependant beaucoup d’eau ; autrement dit, lorsqu’il ne pleut pas assez ou qu’il pleut trop, travailler est impossible.

Au bout de deux mois, l’équipe de départ décide de se mettre à son compte. Mais, une fois de plus, c’est la désillusion : ils gagnent trois fois moins que lorsqu’ils étaient au service d’un patron. A force de persévérance, Perlot parvient à repérer plus facilement les terres aurifères et à gagner de 15 à 25 dollars par jour. Toutefois, comme le climat l’empêche de travailler tous les jours, les jours de travail servent à financer les jours de pause, ce qui fait qu’il est presque impossible d’économiser quoi que ce soit.

A cause des mauvaises conditions de vie, la fièvre frappe très souvent les mineurs qui doivent alors dépenser leur précieux or en médicaments. Ceux qui n’en ont pas les moyens meurent. Lors des hivers rudes, les vivres viennent très souvent à manquer. Marchand de viande devient alors un métier plus lucratif que chercheur d’or. A l’été, il fait parfois tellement chaud que les mineurs ne peuvent travailler que quelques heures par jour. Sans compter que la chaleur rend également difficile la conservation de la viande qui finit par les rendre malade.

Malgré tout, Perlot vit bien. Il s’est construit une petite maison en bois avec un toit en toile. Son lit est également fait de toile clouée sur un cadran en bois. Cela fait des années qu’il ne se coupe plus ni les cheveux, ni la barbe, ni les ongles. A tel point que, lorsqu’il rencontre d’autres Belges sur le camp, il les entend déclarer qu’il ne peut pas être Belge vu qu’« il n’y a pas de sauvages comme ça en Belgique ».

CHAPITRE 3

Le tomahawk s’oppose au fusil

Des « sauvages », ils en ont tous côtoyé au cours de leur carrière de chercheur d’or. Les Indiens, considérés par tous comme des animaux dangereux, vivaient en effet à proximité des « visages pâles ». Beaucoup d’Indiens ont ainsi été chassés des terres aurifères afin que les Blancs puissent piller les richesses de leur sol. Pour empêcher tout conflit, le nouveau gouvernement américain avait même décidé de les parquer dans des réserves. La conquête de l’Ouest a à ce titre eu des conséquences néfastes sur les Amérindiens dont la population a considérablement diminué.

Lorsqu’un beau jour, les Indiens volèrent et tuèrent des mineurs, ils furent déclarés « hors la loi ».

« Il était permis à tout le monde de tuer les Indiens que l’on rencontrait n’importe où à Mariposa. La seule condition était de les enterrer et de faire savoir au shérif combien on en avait tués », se souvient Perlot. Pourtant, le Belge noua de forts liens d’amitié avec cette population. Même si la peur était toujours présente des deux côtés, Perlot offrait régulièrement de la nourriture aux Indiens. Il finit même par apprendre les rudiments de leur langue et par aller visiter leur camp. Etant donné que quelques Indiens parvenaient à récolter beaucoup d’or dans leurs propres terres, Perlot et un groupe d’amis leur demandèrent de pouvoir orpailler avec eux. Une sorte de relation de confiance s’était installée. Perlot parvint même à convaincre de nombreux mineurs d’aller aider les Indiens empêtrés dans une guerre de clans. « Quiconque pouvait en tuer un n’y manquait pas. Mais, maintenant que nous les connaissions mieux, nous les jugions plus favorablement. C’était faute de se comprendre que nous avions échangé des coups de tomahawk et de fusil ».

Il finit en effet par s’habituer à cette culture si différente où tous les hommes et les femmes vivaient nus. A force de persuasion, il réussit même à les convaincre de porter une chemise longue ou un pantalon. Pour l’époque, Perlot a donc porté un regard très lucide sur cette population chamboulée par l’arrivée des Occidentaux.

CHAPITRE 4

Californie, terre de changements

Cela faisait maintenant sept ans que Perlot travaillait comme chercheur d’or. Toutefois, les sociétés capitalistes commençaient à arriver équipées de machines industrielles qui faisaient concurrence aux mineurs amateurs. « Pour faire fortune dans le secteur de l’or, il fallait maintenant acheter des actions dans ces sociétés », explique Perlot qui, déçu, décida d’arrêter ses activités.

En continuant à visiter la Californie, il assista à la transformation du paysage. « Ainsi changeait le monde sauvage. Les trois tentes originelles avaient presque donné naissance à une ville ». Les chemins en terre avaient fait place à des routes empierrées, les petites auberges à d’immenses hôtels, les huttes à des maisons en brique. Des cafés-billards et des maisons de jeux encourageaient les mineurs à dépenser plus et à travailler moins.

En continuant à visiter la Californie, il assista à la transformation du paysage. « Ainsi changeait le monde sauvage. Les trois tentes originelles avaient presque donné naissance à une ville ». Les chemins en terre avaient fait place à des routes empierrées, les petites auberges à d’immenses hôtels, les huttes à des maisons en brique. Des cafés-billards et des maisons de jeux encourageaient les mineurs à dépenser plus et à travailler moins.

Afin de continuer à gagner de l’argent, il devint bucheron, un métier qui avait le vent en poupe puisqu’il fallait des hommes pour abattre la forêt qui empêchait l’extension de la nouvelle ville de Portland. Après s’être rendu compte que ce métier n’était pas fait pour lui, il opta pour jardinier. Chaque maison nouvellement construite avait en effet besoin d’être égayée par quelques plantes et un potager. Comme il était le seul en ville, il dut rapidement engager d’autres hommes pour faire face à la demande. Il gagnait alors beaucoup plus d’argent qu’en étant chercheur d’or.

Mais tout l’argent engrangé ne parvenait pas à combler le manque de sa famille. Après avoir appris dans une lettre que sa mère était morte, il décida de rentrer quelques temps en Belgique. C’est là qu’il rencontra celle qui deviendrait sa femme, Victorine. « Puisque j’étais devenu un étranger, le mariage ne pouvait pas se faire en Belgique », raconte Perlot. Cela tombait bien puisqu’il comptait rentrer au plus vite à Portland. C’est durant la traversée par bateau que les deux Belges se marièrent.

Une fois de retour aux Etats-Unis, il laissa tomber son métier de jardinier. Avec l’argent qu’il avait réussi à économiser, il acheta plusieurs terrains à bas prix qu’il revendit plus cher aux nouveaux arrivants. Lorsque tous les terrains furent occupés, Perlot se rendit compte « qu’il n’était plus assez jeune pour embrasser une nouvelle carrière, mais pas assez vieux pour rester oisif ». A 47 ans, il rentra donc en Belgique pour de bon. Durant trente ans et jusqu’à son dernier souffle, il n’eut de cesse de raconter son incroyable aventure à ses deux filles, mais sans jamais évoquer avec précision le montant de sa fortune finale.

Interview




« N’importe qui peut trouver de l’or en dix minutes en Belgique »

Bruno Van Eerdenbrugh, orpailleur et coauteur du livre "Chercheur d'or en Belgique, les miettes des miettes" nous explique qu’il n’y a pas qu’aux Etats-Unis qu’il est possible de trouver ce précieux métal. La Belgique, elle aussi, vaut son pesant d’or.


La Belgique a-t-elle connu une ruée vers l’or ?

Il y a en effet eu deux périodes où l’attrait pour l’or belge s’est fait plus présent. La première date de 2500 ans. A l’époque, les Celtes ont trouvé chez nous plusieurs kilos d’or. Nous pouvons l’affirmer avec certitude étant donné que des tertres (monticules de terre) ont été retrouvés aux abords des ruisseaux.

La seconde a eu lieu vers la fin du XIXème siècle. En 1875, Julius Jung trouve de l’or dans l’est de la Belgique, dans l’ancienne Prusse. Il croit avoir trouvé un filon et achète plusieurs concessions. Mais il se rend rapidement compte qu’il ne fera pas fortune. Il va donc tout faire pour revendre les terrains qu’il a achetés et qui ne lui rapporteront rien. Il va se servir des médias, en se mettant à écrire des articles dans les journaux, pour faire croire à une ruée vers l’or en Belgique. Mais, en réalité, il n’y a qu’une dizaine de personnes qui sont venues ponctuellement orpailler sur les terres belges.

Notre pays est-il une mine d’or ?

N’importe qui peut trouver de l’or en dix minutes mais, bien évidemment, il est impossible d’en vivre. Il ne reste que les miettes laissées par ceux qui sont passés avant nous. Pour vous donner un ordre d’idée, il faut 5000 paillettes pour faire un gramme d’or qui pourra être revendu à trente euros au cours actuel. Durant les bonnes journées, je peux trouver 100 ou 200 paillettes mais il m’arrive fréquemment de n’en trouver qu’une ou deux.

Dans quelle région faut-il chercher ?

Actuellement, il n’y a qu’en Ardenne qu’on peut encore trouver de l’or. Celui-ci est profondément enfoui. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on cherche généralement près des ruisseaux puisque les cours d’eau ont déjà creusé le sol et nous ont facilité la tâche. Mais on peut aussi en trouver dans des taupinières puisque les taupes, en creusant, font remonter des paillettes d’or. Attention toutefois, avant de se mettre en quête d’or, il faut toujours s’assurer de disposer de toutes les autorisations nécessaires, de la part de la commune ou du propriétaire du terrain.

Chez nous, il n’y a pas beaucoup de chercheurs d’or mais dans d’autres pays c’est très différent…

Il y a ceux qui disposent de gros moyens pour rechercher l’or à échelle industrielle. C’est le genre de personnes que l’on peut voir à l’œuvre au Canada dans l’émission « Chercheurs d’or » sur National Geographic Channel. Ils parviennent à vivre de cette activité parce que ce sont des entreprises qui peuvent compenser les pertes. Mais il ne faut pas oublier ceux qui exercent toujours cette activité de manière artisanale, en Afrique ou en Amérique du sud. Ces personnes sont très souvent exploitées alors qu’elles passent leur journée à chercher de l’or dans des conditions très dures. Beaucoup ne réalisent pas toujours d’où vient l’or de la bague qu’ils ont au doigt…

Source



PERLOT Jean-Nicolas, Vie et Aventures d’un enfant de l’Ardenne, Editions Duculot, Gembloux, 1974.

Photos : Reporters, Bruno Van Eerdenbrugh et Musée de Saint-Vith Zwischen Venn und Schneifel

L'histoire de l'Amérique, épisode 3 : la conquête de l'ouest

Entretien avec Bruno Van Eerdenbrugh, réalisé le 31 mars.

L’équipe

Jessica Flament

Journaliste

Pauline Oger

Chef de projet

Dorian de Meeûs

Rédacteur en chef

Raphaël Batista

Designer

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