Chapitre 3


La ruée vers l'or des océans

Les ressources naturelles présentes dans les abysses attisent l’intérêt des industriels. Les scientifiques s’alarment des conséquences pour la biodiversité encore méconnue. Les nodules polymétalliques, en particulier, font l’objet de multiples missions.

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Les nodules polymétalliques qui reposent au fond des océans par 5000 mètres de profondeur recèlent de multiples métaux.

Champ de nodules Crédit : SAGET/IFREMER/WIKI/CC

Le vaisseau Challenger, toutes voiles dehors, navigue sur les océans Atlantique, Pacifique, Indien et Austral de 1872 à 1876. À l’issue d’un voyage de plus de 120 000 kilomètres, le capitaine Ecossais Sir Charles Wyville Thomson aura mené la première campagne océanographique mondiale. Au-delà de fabuleuses découvertes d’espèces sous-marines – des milliers  ! –, les scientifiques à bord remontent des abysses avec des techniques de chalutage et de dragage d’étranges concrétions minérales : des nodules polymétalliques. Ces agrégations qui ressemblent dans leur variété à des galets, des pommes de terre ou des petits brocolis, recèlent des dizaines de métaux dont du manganèse, du cuivre, du cobalt, du fer… En 1960, le chercheur John Mero est le premier à crier à l’eldorado minier. Mais les financements s’épuisent et la technologie ne suit pas. Ces dix dernières années, les récentes découvertes scientifiques et surtout les progrès technologiques ont relancé la course à l’exploration.



Pas encore de permis d’exploitation



L’Autorité Internationale des fonds marins (ISA) qui organise les activités dans les eaux internationales, a mis en place un système de concessions avec des permis d’exploration – pas encore d’exploitation. Ces zones attribuées à des pays ou des entrepreneurs soutenus par leur Etat se situent principalement dans le Pacifique équatorial où on trouve la plus grande concentration de nodules au monde. La zone appelée Clarion-Clipperton contient d’immenses plaines abyssales dont les fonds sont recouverts de nodules entre 4 000 et 5 000 mètres de profondeur.






Jusqu’à présent, l’intérêt commercial de ces minerais était faible étant donné les défis technologiques à relever et les coûts engendrés. Mais aujourd’hui, l’épuisement des ressources minières terrestres associé à une demande grandissante en métaux des pays émergents a ressuscité les appétits. Les enjeux économiques considérables pour l’avenir appellent à la prudence du point de vue environnemental. Ainsi, les études d’impact sur la faune et la flore en vue d’une d’exploitation des ressources se multiplient. Au niveau institutionnel, la Commission européenne planche actuellement sur un projet de “Gouvernance internationale des océans” pour gérer la pêche, les déchets, la préservation des écosystèmes mais aussi réguler l’exploitation des ressources naturelles. Elle finance également d’importantes missions exploratoires se déroulant sur plusieurs années en vue d’améliorer les connaissances. Il est délicat, en effet, de protéger une biodiversité que l’on ne connaît pas.





Evaluer l’impact environnemental



Henri Robert, biologiste à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, que l’on connaît pour avoir effectué un périple en canoë vers Paris puis Bruges à l’occasion de la COP21, a participé à une importante mission pour estimer les impacts écologiques de l’éventuelle exploitation minière des fonds marins. Coordonnée par JPI Oceans, une plateforme européenne, cette campagne initiée le 1er janvier 2015 s’achèvera en 2018. Les scientifiques issus de plusieurs pays livrent leurs conclusions au fur et à mesure.
Dans son bureau de l’Institut, Henri Robert montre des photos du grand navire océanographique allemand Sonne et des robots utilisés pour prélever des poissons et crustacés dans les abysses.

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Le scientifique Henri Robert devant le navire océanographique allemand Sonne.

Henri Robert Sonne Crédit : Henri Robert

“Lors d’une expérience de perturbation expérimentale initiée dans les années 80 au sud des iles Galápagos, une petite surface du fond marin a été ratissée pour évaluer au fil du temps l’impact d’une potentielle exploitation des nodules et la vitesse de recolonisation des organismes marins. En 2015, lorsque nous sommes retournés voir si la vie était revenue après plusieurs décennies, c’est comme si les traces avaient été effectuées hier tellement le fond était abîmé. Les processus de recolonisation sont lents”. Pour récolter les nodules, “les industriels imaginent une sorte de moissonneuse-batteuse sous-marine qui va absorber les nodules au fur et à mesure de son passage, évidemment beaucoup de sédiments et de boue seront aussi absorbés, explique le scientifique. La première couche du fond où se développe toute une vie très particulière et adaptée à cet environnement extrême sera complètement détruite puis une fois les nodules récupérés, les sédiments et la boue seront rejetés dans la mer. Cela créera un immense nuage qui n’a rien à faire là. En se redéposant, il va asphyxier d’autres zones qui n’étaient même pas affectées par l’exploitation”. Cette manière de ramasser les nodules impliquerait des dégâts considérables pour la faune et la flore, sans parler des nodules eux-mêmes qui mettent des milliers d’années à se former. Les industriels imaginent également un autre type de machine “ressemblant à une araignée géante qui pourrait collecter les nodules un à un” ce qui causerait moins de dommages. “Pour l’instant, on est dans une phase de développement, souligne Henri Robert. L’exploitation des nodules en tant que telle et la technique pour séparer les différents métaux ne sont pas encore réellement au point”.





UK Seabed Resources a obtenu une concession dans le Pacifique pour explorer les fonds sous-marins et cartographier les champs de nodules. Dans cette vidéo, ils imaginent comment les exploiter.

Mise en place de zones protégées


Institutions internationales, exploitants industriels et scientifiques doivent donc œuvrer de concert pour parvenir à une solution d’exploitation raisonnable qui préserve la biodiversité (ou pas d’exploitation du tout). D’ores et déjà, l’Autorité internationale des fonds marins a mis en place plusieurs zones protégées dans le Pacifique. “Dans ces aires “d’intérêt écologique particulier”, il ne peut y avoir de mission d’exploitation, elles sont prévues pour servir de source de recolonisation aux espèces sur les surfaces voisines potentiellement exploitées à l’avenir, précise le biologiste. Mais une bonne gestion sera nécessaire car si la distance qui les sépare des zones d’exploitation ou si la répartition n’est pas bien pensée du point de vue de la conservation, cela ne servira à rien.”

Profession : Chasseur de nodules

Lucien Halleux recherche les champs de minerais dans le Pacifique.


Ces dernières années, la course à l’exploration sous-marine s’intensifie. L’Autorité Internationale des fonds marins a délivré des dizaines de permis d’exploration, notamment dans la zone Clarion-Clipperton, au cœur du Pacifique. La société GSR s’est vu attribuer une concession jusqu’en 2028 avec le support de la Belgique et en partenariat avec d’autres sociétés belges dont G-Tec, fondée par Lucien Halleux et spécialisée dans la prospection géologique et géophysique. “Si l’exploration aboutit et est positive du point de vue de la cartographie et des études environnementales, explique Lucien Halleux, alors le concessionnaire a la priorité pour l’exploitation”.
Les métaux contenus dans les nodules sont aujourd’hui cruciaux dans la composition de nouveaux matériaux et la demande s’accentue avec les nouvelles technologies. “Ces métaux sont importants pour améliorer la légèreté ou la résistance à l’usure, pour les éoliennes par exemple”, précise l’entrepreneur.




UK Seabed Resources a obtenu une concession dans le Pacifique pour explorer les fonds sous-marins et cartographier les champs de nodules. Dans cette vidéo, ils imaginent comment les exploiter.

Imaginer un système d’exploitation


Cartographier les champs de nodules par presque 5 000 mètres de fond s’apparente à une chasse au trésor menée avec des techniques de pointe. La société G-Tec a couvert la totalité de ses concessions avec une technique de cartographie générale et s’attache désormais à prospecter en détail avec des drones sous-marins. “On regarde où sont les escarpements, les sommets, les failles, où sont les champs de nodules, précise Lucien Halleux. On parle souvent de plaines abyssales mais les fonds sous-marins sont loin d’être monotones, le relief est accidenté, comme en Ardenne ou en Normandie”.

Si la délimitation des champs de nodules se révèle assez “facile car ils sont visibles”, les études environnementales demandent un travail considérable. “Nous faisons l’inventaire de l’état environnemental des lieux. Ces domaines sont peu connus, il y a beaucoup de découvertes sur le plan biologique”.

Mieux connaître les écosystèmes des abysses permettra d’imaginer un système d’exploitation le plus respectueux possible de l’environnement. Lucien Halleux explique : “Dans les années 60, les techniques étaient rudimentaires avec un impact environnemental sévère. Aujourd’hui, on s’oriente vers des techniques de ramassage avec des engins présents sur le fond qui collecteraient de manière sélective en essayant de perturber le moins possible les sédiments des grands fonds sur lesquels reposent des nodules”.





Comment une compagnie canadienne imagine exploiter les ressources des grandes profondeurs.

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