LaLibre /

Retour sur la home

Un Belge au secours de Bornéo

La route, qui trace son sillon entre la ville de Sandakan et le village de Batu Puteh, traverse un paysage monotone piqué de milliers de palmiers à huile, reléguant la forêt tropicale aux souvenirs et à l’histoire. La circulation y est souvent mise à mal, ralentie par les dizaines de camions transportant du bois et de l’huile. Dans les années 1990, l’Etat de Sabah et l’ensemble de l’île de Bornéo (où convergent la Malaisie, le sultanat de Brunei et l’Indonésie) étaient encore considérés comme une des zones les plus sauvages de la terre. Aujourd’hui, il reste moins de 10% de forêt vierge à Sabah, le reste étant exploité par l’industrie forestière et les plantations de palmiers à huile.

Arrivés à Batu Puteh, au bord du fleuve Kinabatangan, Peter Bin Asun et Ashraft Yusni chargent, sur un bateau, plusieurs dizaines de kilos de vivres pour nourrir la vingtaine d’occupants du centre de recherche Danau Girang Field Center (DGFC). Trente minutes de navigation suffisent au responsable de la logistique et à l’assistant de recherche pour rejoindre leur base, en pleine forêt tropicale. Le chant des cigales y est assourdissant, l’air chaud particulièrement humide.

KINABATANGAN, Bornéo: Le Dr. Goossens, accompagné d’un doctorant, piste un python pucé. Ce système permet d’obtenir des informations sur l’activité du python à travers la forêt et les plantations de palmiers à huile à proximité. En 2007, le Dr.Goossens a créé une station de recherche « le Danau Girang Field Center » le long de la rivière Kinabatangan qui consiste à étudier comment la faune s’adapte ou pas au paysage fragmenté par les plantations, le 5 mars 2020.

Une initiative belge

Le centre a été créé par Benoît Goossens, un Bruxellois de 53 ans, qui fera de sa passion pour les animaux sauvages sa vie. Après une thèse sur la génétique des marmottes alpines, il part étudier les pandas roux en Chine, puis un espèce endémique d’orangs-outans à Bornéo. Il tombe amoureux de la région et, avec l’aide de l’université de Cardiff et du département de la faune de l’État malais de Sabah, il décide de fonder un centre de recherche dans le sanctuaire du Bas-Kinabatangan, qui souffre de l’implantation massive de palmiers à huile. « Nous cherchons à savoir comment la faune réagit aux destructions de ses habitats, à la déforestation et à l’implantation de palmeraies, comment elle s’adapte à ce type de paysage », explique Benoît Goossens. « Nous suivons donc différentes espèces, leurs déplacements dans les terres pour voir comment elles font face aux fragmentations de l’environnement. »

Dans le bâtiment principal du centre, stagiaires, doctorants, volontaires et chercheurs discutent de leurs observations lors de leurs sorties en forêt. « Tous les matins, nous rejoignons en bateau plusieurs endroits de la forêt qui entoure le fleuve Kinabatangan. Nous plaçons des pièges et des caméras cachées : les pièges pour pucer ou placer un collier GPS sur les animaux et les caméras pour observer les déplacements à travers la forêt et les plantations », explique Miriam N. Kunde, responsable de la conservation des carnivores, tels que l’ours malais, le sanglier à barbe, le chat à tête plate, le chat-léopard ou la panthère nébuleuse.

Collaborer avec les planteurs de palmiers à huile

L’idée derrière ces recherches est également de pouvoir identifier les meilleures solutions pour établir des corridors adaptés aux différentes espèces entre les plantations de palmiers à huile et les surfaces de forêt tropicale restantes afin que les animaux puissent se déplacer, se nourrir et se reproduire. « On examine quelle est la taille des domaines vitaux des différentes espèces, pour donner des conseils sur les meilleurs corridors à établir, la taille des couloirs, le type de terrain, etc. On utilise nos résultats pour essayer d’influencer les décisions gouvernementales lors de la construction de routes ou de ponts. On leur donne les informations pour que l’environnement soit protégé. » Il s’agit aussi de dialoguer avec les propriétaires des plantations de palmiers à huile pour qu’ils tendent vers une production durable et cohabitent en intelligence avec la faune.

Abdelkarim Habdel Ahmed est de ceux-là. « J’étais guide de promenades en bateau sur le Kinabatangan », raconte-t-il en sirotant un thé devant sa maison, à quelques kilomètres du centre de recherche. « Puis, j’ai remarqué que l’industrie du palmier à huile était en train d’exploser et pouvait rapporter beaucoup plus d’argent. » C’était il y a une vingtaine d’années. « Alors je me suis lancé. J’ai rasé mes 10 ares de terrain pour planter des palmiers à huile. » Abdelkarim, comme beaucoup d’autres petits propriétaires, se sont jetés dans l’inconnu, sans se soucier des bonnes pratiques de préservation environnementale. « Je n’utilisais que des produits chimiques et autres fertilisants nuisibles à l’environnement. Tout ce qui comptait, c’était le profit », reconnaît-il. « De nos jours, les mentalités changent et nous nous faisons guider par des ONG qui promeuvent les critères de développement durable », comme ceux de la la table ronde pour une huile de palme durable (RSPO)* dont il est aujourd’hui certifié. Abdelkarim Habdel Ahmed se fait aussi conseiller par Hutan, qui travaille notamment sur la cohabitation entre les hommes et la faune sauvage. Cette ONG française « me dit comment réagir si des éléphants s’approchent de ma plantation au risque de tout détruire ».

« Je pense que les entreprises locales de palmiers à huile essaient de s’orienter vers un modèle plus durable et cela consiste en partie à comprendre les espèces qui s’y adaptent. Il faut encourager la coexistence avec la faune et l’adoption de pratiques qui ne lui soient pas toxiques », pense Richard Burger, un doctorant venu étudier les pythons réticulés.

Les efforts de certains propriétaires de plantations rendent en tout cas Benoît Goossens optimiste. « Je crois qu’ils reçoivent bien le message, ils participent à des conférences, ils obtiennent des certifications, certains nous permettent d’utiliser leur site pour nos recherches. » Mais d’autres restent hermétiques, alors que « Sabah a aussi besoin de sa faune pour générer des revenus du tourisme ». « C’est un combat constant », poursuit le Belge. « Il faut toujours être présents, rappeler au gouvernement les bonnes réglementations, les enjeux vitaux. Et, dès qu’il y a changement de gouvernement, il faut tout remettre sur la table… Parfois, je suis un peu sceptique, car certains politiciens ne comprennent pas l’importance de nos objectifs. Les gens ne réalisent pas que nous perdons notre planète, nous perdons nos poumons. ».

KINABATANGAN, Malaisie: des étudiants et des biologistes du Danau Girang Field Centre vivent ensemble dans le centre. Ils partagent leurs repas tous les jours et dorment dans des logements partagés. Situés à environ 30 minutes de bateau du village le plus proche, il est très rare qu'ils sortent du centre pendant leur séjour qui peut varier de quelques semaines à quelques années. Ils se concentrent sur leurs études et recherches sur la conservation et l'adaptation des animaux à leur environnement, le 4 mars 2020.

Arrêter la production ?

Si, pour beaucoup de défenseurs de l’environnement, le boycott de l’huile de palme et l’arrêt de sa production sont les solutions, ce n’est pas pour autant l’avis de Benoît Goossens. « La production d’huile de palme a permis à la Malaisie de se développer. Qui sommes-nous, en Europe ou aux États-Unis, pour critiquer un pays qui essaie de se développer ? On a tous fait ça dans nos pays ! Ce que je pense, c’est qu’il faut travailler avec les planteurs et essayer de trouver des solutions pour que la faune et l’industrie puissent vivre en harmonie », plaide le Dr Goossens.

D’autant que, « si l’on arrête la production d’huile de palme, on devra la remplacer par une autre culture. Cela veut dire encore plus de déforestation ! Car les gens ne vont pas cesser de cuisiner avec l’huile de palme, d’utiliser du shampoing ou de manger du Nutella ! Mais on ne peut pas certifier des plantations qui abattent encore des arbres, c’est scandaleux ! Il faut s’assurer que la forêt ne soit plus coupée et que des corridors soient aménagés pour que les animaux puissent traverser les plantations sans se faire tirer dessus », estime le chercheur belge, pour qui l’existence d’initiatives locales, la présence d’ONG et l’existence de son centre de recherche se révèlent indispensables. « Sans nos interventions, cette région aurait été un gâchis. »

La préservation de la faune et de la flore n’est pas le seul indicateur d’une production durable, il y a aussi le bien-être des ouvriers des plantations ainsi que le respect des droits des autochtones. (Voir Chap 1)

KINABATANGAN, Bornéo: Richard Burger, l'un des doctorants du « Danau Girang Field Center », étudie l'adaptation des pythons dans le paysage fragmenté du sanctuaire du Kinabatangan. Avec l'aide de ses collègues et d'autres étudiants, il examine un python qu'il a attrapé la veille et l'étiquette pour étudier ses mouvements dans la jungle et les plantations de palmiers à huile. Ses recherches serviront à conseiller le « Sabah Wildlife Department » et les agriculteurs afin d’adapter la culture du palmiers à huile pour nuire un minimum à la faune, le 4 mars 2020.

Sensibiliser les consommateurs

Pour Benoît Goossens, tout comme ses collègues et collaborateurs, la seule solution aux problèmes environnementaux et sociaux réside dans la production d’huile de palme durable. Mais l’offre doit aussi pouvoir répondre à une demande. L’Union européenne est le deuxième importateur et troisième consommateur mondial d’huile de palme, derrière l’Indonésie et l’Inde.

Le consommateur, de plus en plus sensibilisé, apporte dans ce contexte une pierre à l’édifice. Dans les supermarchés, il est encore difficile de savoir d’où provient l’huile de palme consommée. Si certaines marques commencent à indiquer « huile de palme durable » sur leurs étiquettes, beaucoup d’autres préfèrent ne pas le mentionner, car de nombreux consommateurs boycottent les produits contenant de l’huile de palme, au profit de produit n’en contenant pas du tout.

Il n’en reste pas moins que plusieurs grosses entreprises et fédérations de l’industrie alimentaire belges telles que FEVIA (Fédération de l’Industrie alimentaire) ou Aigremont par exemple, ont décidé d’aller de l’avant, en créant une alliance pour l’huile de palme responsable, la « Belgian Alliance on Sustainable Palm Oil » (BASP). Les membres signataires de la charte de l’alliance s’engagent volontairement à n’utiliser sur le marché belge que des produits certifiés RSPO. , si bien qu’en 2015, la BASP annonçait que l’objectif d’utiliser 100% d’huile de palme certifiée durable était atteint en Belgique.

Plusieurs bémols sont cependant à relever. Toutes les grandes marques alimentaires ne sont pas membres de l’alliance. Pas plus que la fédération de commerces et services Comeos, qui regroupe les grandes chaînes de distribution, et que l’industrie des agrocarburants.

De surcroît, les membres de la BASP ne tiennent pas totalement leurs engagements, relève Béatrice Wédeux, chargée des politiques forestières au WWF Belgique. « Nous avons constaté que certains signataires de la charte de la BASP ne sont pas du tout en ligne avec leurs promesses. » En janvier dernier, le Fonds mondial pour la nature a publié un rapport sur les engagements de 173 entreprises internationales en faveur d’une huile de palme « zéro déforestation » et donc plus responsable. Ces entreprises sont notées, entre autres, sur la traçabilité de leur huile de palme, la promotion des petits producteurs et leur participation à la certification RSPO. Onze entreprises belges, dont certaines sont membres de la BASP, figurent dans ce baromètre; aucune dans le top du classement. Vandemoortele figure à la 20e place, Lotus à la 24e, tandis que les autres comme Puratos, Wouters ou les boulangeries La Lorraine se situent dans les dernières places.

Plus d'infos.

« Ce baromètre démontre que les engagements volontaires des entreprises belges en faveur d’une utilisation d’huile de palme 100 % durable ne fonctionnent pas. » Selon Béatrive Wédeux, la solution idéale passe par la loi. « Pour l’instant, il n’existe aucune législation en Belgique pour l’importation d’huile de palme durable. Il faut que cela change et qu’on s’aligne sur les directives européennes en la matière. Il faut aussi plus de coopération avec les pays producteurs. On ne peut pas juste leur dire : ‘nous voulons de l’huile de palme durable sans déforestation, débrouillez-vous !’ Il faut soutenir cette transition, soit financièrement, soit via des projets sur le terrain ».

On en revient alors à l’État de Sabah notamment. Là où travaille inlassablement Benoît Goossens et son équipe.

KINABATANGAN, Malaisie: Richard Burger, doctorant au DGFC, remonte vers la jetée après avoir suivi un python pucé dans la jungle. Ce système fonctionne avec une balise satellite pour obtenir des informations sur les modèles d'activité, l'utilisation de l'habitat, le domaine vital et la distance de dispersion de la faune. En le trouvant, il notera où le python s'est déplacé depuis la dernière fois qu'il l'a vu, le 5 mars 2020.

KINABATANGAN, Malaisie: Lors de ses recherches en 2001, le Dr Benoît Goossens est tombé par hasard sur trois bâtiments vides et une tour de guet dans la plaine du Kinabatangan. Cinq ans plus tard, les installations étaient toujours vides et s'effondraient. Il pensa alors à faire revivre le lieu en mettant en place un centre de recherche et de formation appelé aujourd'hui Danau Girang Field Center, le 5 mars 2020.

KINABATANGAN, Malaisie: des étudiants et des biologistes du Danau Girang Field Center se rendent chaque matin pour vérifier les pièges à civette qu'ils ont placés dans la jungle. Ils aimeraient attraper une civette afin d'y attacher un GPS et étudier ses mouvements dans le paysage fragmenté du Kinabatangan, le 4 mars 2020.

KINABATANGAN, Malaisie: Richard Burger, un doctorant de l'Université de Cardiff, étudie l'adaptation des pythons dans le paysage fragmenté du Kinabatangan. Il les suit à l'aide d'un système qui fonctionne avec une puce satellite afin d'obtenir des informations sur les modèles d'activité, l'utilisation de l'habitat, le domaine vital, et la distance de dispersion, le 5 mars 2020.

KINABATANGAN, Malaisie: L'un des doctorants du Danau Girang Field Center, Richard Burger, étudie l'adaptation des pythons dans le paysage fragmenté du Kinabatangan. Avec l'aide de ses collègues et d'autres étudiants, il examine un python qu'il a attrapé la veille et l'étiquette pour étudier ses mouvements dans la jungle et les plantations de palmiers à huile, le 4 mars 2020.

KINABATANGAN, Malaysia: Dr.Macarena Gonzalez, vétérinaire du Danau Girang Field Center , aide les étudiants à examiner un python attrapé la veille. Elle regarde si le python est en bonne santé et s'il faut retirer beaucoup de parasites, le 4 mars 2020.

KINABATANGAN, Bornéo: Richard Burger, l'un des doctorants du « Danau Girang Field Center », étudie l'adaptation des pythons dans le paysage fragmenté du sanctuaire du Kinabatangan. Avec l'aide de ses collègues et d'autres étudiants, il examine un python qu'il a attrapé la veille et l'étiquette pour étudier ses mouvements dans la jungle et les plantations de palmiers à huile. Ses recherches serviront à conseiller le « Sabah Wildlife Department » et les agriculteurs afin d’adapter la culture du palmiers à huile pour nuire un minimum à la faune, le 4 mars 2020.





CHIFFRE

40 kg
Consommation belge


La Belgique est deuxième pays plus gros consommateur d’huile de palme d’Europe, derrière les Pays-Bas : un Belge en consomme en moyenne 40 kg par an, notamment via les agrocarburants nécessaires au fonctionnement de nos voitures.


Chapitre 3

Reforestation, conservation et le durable