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La forêt, c'est notre banque

Dans une plaine longée par la rivière Magoh, trois imposantes cabanes sur pilotis dénotent au coeur de la forêt tropicale. Une fumerolle s’échappe de l’arrière d’une d’elles. À l’intérieur, une femme d’un mètre cinquante tout au plus, les cheveux en bataille, vêtue d’un vieux t-shirt et d’un short, est accroupie devant un grand feu de bois. À coté d’elle, Guman, son mari, taille des flèches pour sa sarbacane. Celina et Guman sont des Penan, un peuple autochtone des hauts plateaux de l’État de Sarawak, dans l’ouest de Bornéo.

À l’origine, les Penan étaient des nomades qui se nourrissaient de chasse, de pêche et de cueillette dans la forêt tropicale. Celina et Guman, parents de six enfants âgés de plus ou moins 9 à 20 ans – ils ne connaissent pas vraiment leurs dates de naissance -, forment l’une des dernières familles penan de la région à s’être sédentarisée. « Nous nous sommes installés ici en 2017. Sans maison construite sur cette terre, l’État de Sarawak considère qu’elle ne nous appartient pas. »

Depuis quelques années, l’industrie de l’huile de palme les menace. Les déforestations opérées par l’industrie du bois avaient déjà fait perdre aux Penan une partie de leur territoire, depuis les années 80, avec une inévitable incidence sur leur mode de vie dépendant de la forêt tropicale. « Nous partons parfois pendant des heures, voire plusieurs jours, pour y chasser, couper du bois ou cueillir des fruits et des plantes médicinales », explique Guman.

Ma, gendre de Guman et entouré de ses beaux-frères, essaie d'attraper un oiseau dans un arbre à l’aide de sa sarbacane, le 2 décembre 2019.

À côté de la cabane de Guman et Celina, où dorment aussi leurs deux plus jeunes fils et leur fille, Baung, Plinton et Gary, se trouvent deux autres maisons sur pilotis. L’une abrite leur aînée Seti, son mari Ma et leur petite-fille Lady. La deuxième héberge leurs deux fils aînés, Flojen et Abu. À 7h du matin, tout le monde est debout. Guman s’apprête à partir chasser le sanglier sauvage, tandis que les garçons partent chercher du sago, l’aliment de base des Penan tiré de la moelle du palmier sagoutier et qui est consommée sous forme de bouillie. Le bois du sagoutier est, lui, utilisé pour faire les flèches. Celina et ses filles, quant à elles, s’occupent du potager, du repas et du tissage des paniers.

Les Penan ont été aidés par Bruno Manser, activiste écologiste suisse disparu en Malaisie en 2000, puis par la fondation qui porte son nom pour défendre leurs droits coutumiers. « Si nous nous apercevons qu’une compagnie d’huile de palme commence à pénétrer sur nos terres, nous prévenons les villages aux alentours et agissons tous ensemble pour faire des barrages et empêcher les bûcherons d’avancer. Le Bruno Manser Fonds et des avocats nous soutiennent, par exemple en signant des lettres d’avocats qui expliquent qu’ils n’ont pas le droit de couper des arbres et pénétrer sur nos terres sans notre permission », explique Guman.

À plusieurs dizaines de kilomètres de chez Guman, un village penan et berawan, une autre communauté autochtone, a réussi à repousser une compagnie d’huile de palme installée (présumé illégalement) aux abords du parc national du Mulu, un site protégé par l’Unesco. En décembre 2018, la société Radiant Lagoon s’apprêtait à abattre 4400 hectares de forêt tropicale intacte, entre les rives du fleuve Tutoh et la frontière avec le sultanat de Brunei, alors que les communautés locales revendiquaient des droits coutumiers autochtones sur ces terres. Après avoir défriché environ 730 hectares, les bulldozers ont été arrêtés par les barrages érigés par les Penan et les Berawan. Depuis lors, le bois, abandonné sur le site, pourrit et l’affaire a été portée devant la justice.

Celina, femme de Guman, transporte un demi tronc de sagoutier pour que ses fils et son mari en retire la sciure. Celle-ci sera alors stockée sous forme de farine et consommée sous forme de bouillie, le 4 décembre 2019.

Avec l’aide de Siman, chef de projet au Bruno Manser Fonds, les Penan du village de Bateu Bungan réalisent des cartes topographiques pour montrer les limites et l’utilisation de leurs terres, et faire valoir leurs droits coutumiers devant les tribunaux.

Ukau Lupung, chef du village de Bateu Bungan, était à la tête de cette action sur le terrain contre Radiant Lagoon. Les Penan du Mulu ne vivent plus comme Guman et sa famille. Totalement sédentarisés, ils vivent principalement de l’activité touristique du parc national. Ils sont guides, pilotes de bateau ou vendeurs des objets artisanaux. Leurs enfants vont à l’école et rêvent d’un avenir loin de la forêt. Pour Ukau, la conservation de la forêt primaire autour du parc se révèle néanmoins cruciale pour garantir un minimum de subsistance à travers la chasse, le rotin ou les plantes médicinales. « Nos revenus proviennent principalement de la vente d’objet artisanaux à base de rotin. Si les compagnies de palmiers à huile rasent la forêt, nous ne pourrons plus en fabriquer. » Les Penan se considèrent également comme les gardiens de la forêt primaire et voient comme un devoir de la protéger.

Pour Ukau comme pour Guman, le combat est encore long. « Je continuerai à préserver nos terres jusqu’à la fin de ma vie. Pas pour moi, mais pour les générations futures. Ceux qui vivent en ville ont la banque, les supermarchés. Nous, notre banque, c’est la forêt. »

Guman et Abo retirent la sciure d'un sagoutier tandis que Flojen fait une pause. Après leur travail, Celina mélange la sciure avec de l'eau avant de le piétinner. Le liquide qui résultera de ses efforts deviendra de la farine après séchage, le 4 décembre 2019.

Flojen Guman pêche dans la rivière Megoh près de son village. La pêche est l'une des sources d'alimentation des Penans. Préserver la forêt tropicale de l'exploitation forestière et des plantations de palmiers à huile est également un moyen d'éviter la pollution de la rivière polluée par les produits chimiques et fertilisants qui empoisonnent et tuent également les poissons, le 16 février 2020.

BATEU BUNGAN, Malaisie: en décembre 2018, la société malaisienne d'huile de palme Radiant Lagoon a commencé à couper une zone de 4400 hectares de forêt tropicale naturelle intacte entre les rives du fleuve Tutoh et la frontière de Brunei près du Gunung Mulu National Park, site protégé par l'UNESCO. Les défrichements ont eu lieu sur des terres sur lesquelles les communautés autochtones locales Berawan / Tering et Penan revendiquent des droits coutumiers autochtones. Après avoir défriché environ 730 hectares, les activités ont été arrêtées après que les communautés Penan et Berawan aient érigé des barrages dans la forêt contre les bulldozers de l'entreprise. Depuis lors, le bois a été abandonné et pourris sur le site, le 12 février 2020.

BATEU BUNGAN, Malaisie: Busak, l'épouse d'Ukau, est en train de coudre un panier qu'elle vendra au marché de l'artisanat. Avec Ukau, chef de village, ils ont toujours vécu dans la région de Mulu où ils ont également élevé leurs 6 enfants. Le matériau que Busak utilise pour coudre ce panier provient des arbres de la forêt tropicale entourant le parc national de Mulu. Si les plantations de palmiers à huile abattent toute la zone, Busak et d'autres femmes des communautés ne pourront pas fabriquer des paniers et d'autres objets artisanaux. C'est pourquoi Busak a participé aux manifestations et blocus contre les compagnies de palmier à huile, le 13 février 2020.

LONG DA'AUN, Malaisie: Ma coupe un sanglier en morceaux pour le dîner pendant qu'Abo affûte le couteau et Flojen maintient le gibier. Les plus jeunes ne font qu'observer les aînés, le 5 décembre 2019.

TOKONG TUBANG, Malaisie: Construction d'une maison faisant blocus à la jonction vers le village de Long Tevenga. Ce blocus est le résultat d'années de bataille contre les sociétés d'exploitation forestière et d'huile de palme désireuses de couper les arbres de ce qui reste de la forêt primaire du Sarawak. Cette forêt est également l'habitat et la source de nourriture du peuple Penan. En construisant cette maison et avec l'aide du Fonds Bruno Manser et de ses avocats, Peng et les autres Penan de son village ont réussi à bloquer une route de bûcherons. Le 18 février 2020.

Greetings, Traveler!

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Chapitre 2

Un Belge au secours de Bornéo