Bernie, la vieille idole des jeunes

  • Par :Maria Udrescu

Le Démocrate de 75 ans a redonné goût à la politique à la nouvelle génération, sans séduire la sienne.

J’ai passé beaucoup de temps à essayer d’oublier. Comme après une histoire d’amour dans laquelle on s’investit, mais qui échoue." Kelly, 21 ans, n’a pas fini de faire son deuil après l’échec de Bernie Sanders aux primaires démocrates. "C’était mon héros, la figure du grand-père qui réchauffe les cœurs. Je regardais ses discours et les larmes coulaient sur mes joues tant ses paroles, pleines de gentillesse, me donnaient espoir", nous confie-t-elle par Facebook.

Kelly fait partie de ces millions de jeunes Américains à s’être laissés séduire par le plus âgé des candidats aux primaires. Ils étaient des milliers à acclamer comme une rock star ce personnage aux cheveux mal coiffés lors de ses meetings. La fièvre Bernie a contaminé les réseaux sociaux, avec des hashtags comme #FeeltheBern ou #babesforBernie (les bébés pour Bernie). Le Démocrate a su aller chercher les jeunes là où ils s’expriment le plus. Et surtout "il ne s’est pas limité à cibler ceux qui votent habituellement. Il a frappé à toutes les portes, dans tous les quartiers, pour montrer à ces jeunes, à ces gens qu’ils sont importants",explique Kei Kawashima-Ginsberg, directrice du Center for Information and Research on Civic Learning and Engagement.

Résultat : le sénateur de 75 ans a recueilli jusqu’à 80 % des voix de la jeunesse américaine dans certains Etats. Un phénomène encore jamais vu dans un pays où la nouvelle génération tend à tourner le dos à la politique. Selon Mme Kawashima-Ginsberg, "de plus en plus de jeunes préfèrent des formes alternatives d’engagement politique. Ils prennent part au Black Lives Matter, à la lutte pour l’augmentation du salaire ou pour la cause des immigrés. Ils estiment que le vote n’a pas d’effet sur ces leaders qui ne s’intéressent pas à eux".

"Our revolution"

Paradoxalement, c’est un homme blanc, vieux, un vétéran de la politique qui est venu fracasser ce stéréotype. "Contrairement aux politiciens qui se présentent comme des experts qui vont changer les choses pour eux, Sanders parlait de ‘notre révolution’. Les jeunes se sont vus comme partenaires, dans le changement, dans le futur", pointe Mme Kawashima-Ginsberg.

Le sénateur est aussi, aux yeux de ses électeurs, fidèle à ses idéaux. Il mène depuis toujours un combat contre les interventions militaires, militant contre la guerre au Vietnam dans sa jeunesse et s’opposant à l’invasion de l’Irak en 2003. Il est engagé de longue date dans la lutte contre les inégalités, rêvant de punir les banquiers de Wall Street pour avoir provoqué la crise économique de 2008. Les jeunes, endettés jusqu’au cou pour leurs études, applaudissent à en saigner lorsqu’ils l’entendent exiger la gratuité des études. Ou encore lorsque ce rebelle de la politique américaine ose briser le tabou en criant : "Je suis socialiste".

Si cette affirmation hérisse les poils des Américains ayant vécu la Guerre froide, elle éveille chez les plus jeunes le sentiment d’une société plus juste et équitable."Pendant sa campagne, j’étudiais et je lavais la vaisselle dans un restaurant pour joindre les deux bouts. J’avais un CV du tonnerre, j’avais vécu et travaillé au Japon, et me voilà, humiliée, en train de trimer pour 8,50 dollars de l’heure. Avec Bernie, on aurait pu vivre cette utopie de l’assurance santé universelle et de la gratuité des études", explique Kelly.

Le candidat de l’utopie

"L’utopie", les plus âgés des Américains n’y croient plus, raison pour laquelle Bernie Sanders n’enchante pas sa propre génération. "Les jeunes veulent du changement rapide, radical. Les plus vieux savent à quel point cela est difficile. Aussi, ces derniers sont beaucoup plus fidèles aux partis traditionnels", analyse Mme Kawashima-Ginsberg. Les discours drastiques de Sanders, promettant la lune sans détailler toutes les étapes pour l’atteindre, ont été sa grande faiblesse."J’ai fait des dons pour la campagne de Bernie. Mais, en tant qu’étudiante en relations internationales, j’ai compris qu’il avait peu de notions de diplomatie. J’ai été désillusionnée et j’ai fini par choisir Clinton, une candidate plus réaliste", avoue par exemple Aliza, une Américaine de 25 ans.

"Reste que Bernie Sanders aura réussi à faire inscrire ses priorités sur l’agenda d’ Hillary Clinton", ajoute-t-elle. Aliza et Kelly voteront donc pour l’adversaire de Sanders lors de l’élection présidentielle. Mais beaucoup de jeunes refusent de revenir vers une candidate traditionnelle, alors qu’ils pensaient être sur la voie d’une révolution. "De façon générale, le comportement politique des jeunes est imprévisible, rappelle Mme Kawashima-Ginsberg. Ils ont besoin de sentir qu’il y a quelque chose en jeu dans une élection pour faire 5 heures de file afin de voter. Mais si la seule chose en jeu est que Donald Trump ne gagne pas, c’est beaucoup moins motivant."


  • Par :Maria Udrescu