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CHAPITRE 1

Bruxelles,
au centre du trafic

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● En Belgique, la lutte contre le trafic d'ivoire n'est plus une priorité depuis 2014.
● Les douanes se concentrent sur les stupéfiants et l'évasion fiscale.
● Or l'ivoire en provenance du Cameroun transite par la Belgique et finance des groupes armés, voire terroristes, dont Boko Haram.

Exposées dans une galerie des douanes à l'aéroport de Zaventem, sculptures en ivoire et défenses d'éléphants témoignent d'un trafic en recrudescence. Se toisent des hankos, des pipes, des baguettes, des boucles d'oreille, des pendentifs, des bracelets, des pointes d'ivoire et des statuettes dissimulées dans des fétiches en bois.
« Bruxelles a été une plaque tournante du commerce d'ivoire entre 1989 et 1992, indique Isabelle Grégoire, attachée Cites. Il est donc fréquent de trouver des objets en ivoire sur le marché belge. »

En 2013, toutefois, l'organisme a observé une nouvelle hausse du trafic à Zaventem et à Bierset Liège Airport (grand « hub » pour les colis TNT). De nombreuses saisies ont été réalisées dans les colis, le fret aérien ou dans les bagages de voyageurs de nationalité chinoise travaillant en Afrique. Le poids total de ces objets saisis s’élèverait entre 150 et 200 kgs par an.

A l'échelle mondiale, le trafic a doublé depuis 2007. Il a triplé depuis 1998. Signe de l'implication croissante de réseaux criminels organisés, les saisies d'ivoire supérieures à 100 kilos n'ont cessé de progresser : elles ont été multipliées par trois depuis 2006

Il s'agit principalement d'ivoire brut (ou semi-travaillé) en transit vers les manufactures asiatiques (87% étaient destinés au Vietnam et à la Chine). Une partie devait également être envoyée au Sablon à Bruxelles, au Liban, aux Etats-Unis, en Israël, en Australie et en Suisse.

« Avec l'ouverture d'une nouvelle ligne vers la Chine en 2010 par la compagnie Hainan Air, Zaventem est à nouveau devenu un point de transit important pour des personnes en provenance d'Afrique », reconnaît Isabelle Grégoire. Air France et Brussels Airlines assurent également la liaison entre les principaux aéroports du Cameroun et l'Asie.

En Belgique, 95 % des contrôles spécifiques sur l’ivoire sont réalisés à Bruxelles. Or, depuis 2014, les douanes de l’aéroport de Zaventem ont “diminué les inspections”, concède Pol Meuleneire, enquêteur du GAD (Group Anti Drugs). Deux saisies ont été réalisées en 2014 (quatre, en 2015 !). “Ces recherches ne font plus partie des priorités. Toutes les équipes sont mobilisées sur le trafic de stupéfiants et l’évasion fiscale. Depuis trois ans, nous n’avons donc plus saisi d’ivoire en provenance du Cameroun mais nous savons que des quantités importantes d’ivoire en provenance de ce pays atterrissent ou transitent par la Belgique sans que nous les trouvions et même si elles transitent également par la France.”

Par ailleurs, la Born Free Foundation estime que seulement 10% du trafic mondial fait l'objet d'une saisie.

La voie maritime

L’ivoire brut braconné en Afrique ne transite pas nécessairement par l’Europe ou par voie aérienne et - jusqu'en 2010 tout du moins -, la Cites répertorie moins d’une centaine de saisies par an en Belgique. La voie maritime, en revanche, est devenue le principal moyen de transport de l'Afrique vers l'Asie.

Gilles Etoga, assistant technique à la Conservation au WWF-Cameroun
Gille Etoga, du WWF Cameroun.

« Le port de Douala est un véritable entrepôt pour toute la sous-région Afrique Centrale », indique Tom Milliken, chez TRAFIC. En effet, les ports maritimes d’Afrique Centrale et de l'Est (du Kenya et de Tanzanie) sont devenus les principaux points de sortie des envois illégaux à destination de l’Asie. « L'ivoire passe dans les cargaisons issues de l'industrie minière et forestière. C'est pour cette raison que dès qu'une compagnie chinoise est implantée, elle est liée de près ou de loin au trafic, indique Gille Etoga, du WWF Cameroun. L'arrivée massive des Chinois sur les gros chantiers, correspond à une augmentation significative du trafic d'ivoire au Cameroun. Ces deux événements sont liés. »

Depuis Douala, les défenses sont envoyées à Taïwan (via le Cap de Bonne espérance) – dans des cargaisons de charbon, de pierre, d'ail, de noix, d'équipements ménagers, dans des troncs d'arbre – non seulement pour alimenter le marché chinois mais également philippin. D'autres filières écoulent également l'ivoire illégal en Asie, sous le couvert de faux certificats Cites. « Il y a plein de Chinois à Ngaoundéré, au Nord. Et encore plus dans la capitale. Leur containers ne sont jamais contrôlés », indique un garde-chasse.



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Les destructions de tonnes d’ivoire auxquelles procède la Belgique sont souvent spectaculaires. Elles resteront toutefois inutiles tant que la Belgique ne suspend pas la délivrance de certificat Cites de réexportation d’ivoire brut (à l’image de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne). Récemment, elle s’apprêtait même à écouler sur le marché international des défenses d’ivoire importées de France, malgré une interdiction d’exportation prise par le ministère français de l’Écologie – et immédiatement applicable. Pour contourner la décision de la France, Cannes Enchères (spécialisé dans la vente d’ivoire depuis la Côte d’Azur) avait pris contact avec l’officine belge “Art on the move”. La demi-tonne d’ivoire brute devait être transférée en Belgique sous couvert de certificat intra-communautaires, autorisé par la France (!), puis exportée vers la Chine grâce à des permis d’exportation délivrés par les autorités belges. Un plan d’action doit être discuté au niveau européen en juin mais il ne réglera pas la problématique des certificats intracommunautaires.

Au Cameroun, l'éléphant pourrait bientôt disparaître

En seulement dix ans, le nombre connu d'éléphants braconnés en Afrique a doublé. Depuis l'existence de bases de données sur le commerce illégal d'ivoire, les quantités d'ivoire saisies n'ont jamais été aussi importantes qu'au cours des quatre dernières années.

« Il est probable que les éléphants d'Afrique, dont les effectifs ont récemment été évalués à 500000, soient désormais en déclin sur tout le continent », indique un rapport du ministère français de l'Ecologie. Le taux de braconnage (7,4%) est désormais supérieur au taux de renouvellement de l'espèce (5 à 6%). « Si la tendance se poursuit, l'animal disparaîtra de plusieurs pays d'ici dix ans. »
Le Nord de l'Afrique Centrale a perdu 76% de ses éléphants en l'espace de vingt ans. Au Cameroun, la population était estimée à 27600 individus en 1997. Elle a chuté à 17250 têtes en 2002, puis à 15400 en 2006. A présent, le pays présidé par Paul Biya ne posséderait plus que 4500 pachydermes (1500 de savane, 3000 de forêt). Et il s'agit d'une estimation particulièrement optimiste.

« Dans l'Est et le Sud, les estimations officielles sont loin de la réalité, elles sont même plutôt optimistes. Il est plus facile d'évaluer l'ampleur du braconnage dans le Nord, majoritairement composé de prairies, que dans cette région, où la densité de la végétation nous empêche de trouver les carcasses. » Roger Fotso, directeur de la « Wildlife Conservation Society » (WCS) au Cameroun

La demande chinoise dope le braconnage



La contrebande d'espèces sauvages est devenue l'activité criminelle la plus lucrative au monde, après la drogue, la fausse monnaie et la traite des êtres humains. Liée aux dépenses de consommation des ménages en Chine (principal débouché de l'ivoire africain), la proportion d’éléphants tués de manière illégale se traduit par une augmentation constante du prix de l’ivoire. Évalué à 150 dollars en 2002, le kilo s'écoule désormais pour la modique somme de 3000 dollars sur le marché asiatique.

Or un pachyderme peut pourvoir dix kilos d'ivoire (soit 30000 dollars). Les éléphants d'Afrique auraient par conséquent rapporté plus de trois milliards de dollars entre 2011 et 2013.

La chine, qui bénéficie d'avantages douaniers et fiscaux considérables au Cameroun, est déjà implantée dans le pays grâce à la construction de nombreuses infrastructures : le palais des sports de Yaoundé, trois barrages hydroélectriques en construction, le port en eau profonde de Kribi, des voies urbaines modernes, 1500 logements sociaux, le canal du Mfoundi, une implantation de la fibre optique sur 3200 km et la réalisation imminente de l’autoroute Yaoundé-Douala. La coopération Sino-camerounaise a également permis la construction du barrage hydro-électrique de Lagdo près de Garoua dans le Nord, de l'hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso à Yaoundé, ainsi que les hôpitaux de Mbalmayo et de Guider.


En 1997, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de cent millions de dollars américain. En 2010, ce chiffre a été porté à un milliard de dollars.

Source vidéo : Youtube - Last Days

2016 - Dossier L’ivoire de Boko Haram