PATERSON

  • Réalisateur: Jim Jarmusch
  • Acteurs:: Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward,...
  • Origine: USA
  • Genres: Drame
  • Année de production: 2016
  • Date de sortie: prochainement
  • Synopsis: Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes - de William Carlos Williams à Allan Ginsberg aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

Donnez-lui la Palme, de grâce

Fernand Denis

"Paterson" est film magnifique, ma-gni-fique, MA-GNI-FIQUE. Car c'est un film chimique, chi-mique, CHI-MIQUE. Il faudrait être un poète pour faire un beau papier car ce n'est pas un film qui se raconte, s'analyse, se contextualise. C'est un film qui agit et réagit, un film qu'on sent, un film avec un cœur qui bat, lentement.

Paterson est un chauffeur de bus, il se réveille sans réveil, tous les matins à 6h10. Il dépose un baiser délicat sur l'épaule de sa femme. Parfois elle ouvre un œil et dit alors invariablement qu'elle vient de faire un rêve formidable. Qu'ils avaient deux petits enfants, des jumeaux ou qu'il était sur un éléphant argenté dans la Perse antique. Dis comme cela, c'est un peu gnangnan.

Reprenons, regardons la situation autrement, de l'angle de leur bouledogue anglais qui ne perd jamais Godshifteh Farahani de vue. Tout chez elle ensorcelle la caméra : sa voix, ses sourcils, sa peau cuivrée, ses yeux noirs, ses dents blanches – elle est très noir et blanc – et ses beaux cheveux dont ces connards de mollahs iraniens voulaient priver la terre entière.

Damned, ça déraille, c'est pas du tout dans le ton. Il n'y a pas de violence à Paterson (le nom de la ville et du personnage, c'est dingue non). Il n'y a pas de drame dans le film. Enfin si, un carnet de notes réduit à l'état de confetti par un chien et c'est déchirant (pas fait exprès). Hors de ce climax, le film est calme, tranquille, monotone. Paterson se lève tous les jours à la même heure, commence un poème avant de conduire le même bus 23, mange son sandwich et termine son poème dans le même parc, promène son chien le long du même circuit, prend une bière au même bar avant de découvrir un peu inquiet la nouveauté que sa femme a préparé pour dîner.

A part cela , il ne se passe rien. Ces deux-là vivent d'amour et de cupcakes. Dans le bus de Paterson non plus, il ne se passe rien que de normal, des conversations. Pas d'accident, pas d’incident – juste une panne électrique une fois – mais ce bus embarque les spectateurs qui veulent se rendre au-delà de l'horizon de la monotonie. Un endroit doux, affectueux, poétique ; sacré défi au cinéma.

La poésie de Jarmusch n'est pas intimidante, elle est simple comme le dessin d'un enfant qui ne dessinerait plus, juste le petit déplacement d'un bic qui permet de voir ce qui était caché. La vie prend un autre rythme, ce qui était banal se met à vibrer.

Il faut de sacrés bons acteurs pour enclencher la réaction chimique, pour faire passer. A commencer par Adam Driver qui s'imposait sur seul nom dans le rôle d'un chauffeur de bus. On prend plaisir à les regarder, à écouter leur petite musique, celle du patron du bar est irrésistible, on comprend que Paterson vienne boire une bière tous les soirs. Ce sont des passeurs, des passeurs d'émotions, de rires, de fou rire même avec juste un chou de Bruxelles. Des passeurs d'envies. D'un film comique d'Abbot et Costello, d'un livre d'Emily Dickinson (qui a inspiré le dernier Terrence Davis) , d'un poème de William Carlos Williams à lire de préférence dans le texte car "lire un poème traduit, c'est comme prendre une douche avec un imperméable".

C'est pour vivre des moments comme cela qu'on va au cinéma.