MERCENAIRE

  • Réalisateur: Sacha Wolff
  • Acteurs:: Toki Pilioko, Iliana Zabeth,...
  • Origine: France
  • Genres: Drame
  • Année de production: 2016
  • Date de sortie: prochainement
  • Synopsis: Soane, jeune Wallisien, brave l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole. Livré à lui-même à l’autre bout du monde, son odyssée le conduit à devenir un homme dans un univers qui n’offre pas de réussite sans compromission.

Les forçats du rugby

Alain Lorfèvre

Ce n'est pas la dramaturgie, somme tout relativement classique et même un brin prévisible, qui fait la force de Mercenaire. Mais le premier long métrage du Français Sacha Wolff se distingue par sa toile de fond, qui lui donne une épaisseur, une carrure, à la mesure de celle de son héros principal.

Soane est un jeune Wallisien, un insulaire de Nouvelle-Calédonie, qui pratique le rugby. Un chasseur de tête, Abraham, lui apporte une proposition d'un club français. Malgré l'opposition de son père, Soane veut accepter. Non seulement parce que les perspectives d'avenir à Noumea sont inexistantes, mais aussi parce que son géniteur est un homme cruel et violent. Renié par ce dernier, Soane embarque pour la métropole, sans espoir de retour.

A l'arrivé, Soane jaugé comme une banal bête de somme par le président de club, qui estime qu'il ne fait pas le poids. A la rue, le jeune homme échoue chez un autre rugbymen Wallisien, qui a réussi sa carrière à Agen. La solidarité joue et ce dernier lui trouve une place dans un club de division inférieure. La paie est maigre - 400 euros - et doit se compléter de job de sécurité dans une boîte de nuit locale. Mais, malgré les préjugés et les difficultés, Soane trouve petit à petit sa place dans la communauté hétéroclite des tricards du rugby.

Les histoires d'impétrant cherchant autant la gloire que l'affirmation d'eux-mêmes, on connaît. Sacha Wolff va même jusqu'à conserver le corollaire fréquent de la dette qui place le héros en indélicatesse avec un parrain dangereux. Mais la conclusion du film n'ira pas chercher la victoire sur le terrain, façon hollywoodienne. L'accomplissement du héros sera autre.

Malgré ces conventions, donc, Mercenaire captive et convertit l'essai. Tous les éléments constitutifs du film jouent en équipe. L'univers du rugby, peu vu au cinéma, est parfaitement traité par le réalisateur. Sans sombrer de la didactisme vulgarisateur, il parvient à rendre palpable ce monde spécifique. En situant l'action - de façon crédible - dans un club de seconde zone, Sacha Wolff élargit la réflexion à cette réalité du sport, plus commune que celle des stars : toute discipline a ses prolétaires, ses forçats, qui tout en devant assumer un entraînement intensif et refaire leur preuve chaque week-end, peinent à nouer les deux bouts et constituent une masse laborieuse qui fait le sale boulot tout en étant aisément jetables. Les (dures) réalités financières des petits clubs sont aussi évoquées, avec contrats relous, où chacun essaie de faire son beurre sur les dos des joueurs - "entraîne-le un peu, revends-le et prends tes dix pour cent..."

Partant, on peut sans exagération trouver derrière le sujet premier du film un autre, si crucial, totalement d'actualité : le trafic des jeunes espoirs étrangers. Les affaires sont aussi rondement menées pour le ballon oval que pour l'autre. Constat qui débouche aussi sur la question de l'immigration. A priori choisie par la métropole - on mise sur les forces de la nature, jeunes espoirs potentiels comme on miserait sur des cerveaux - celle-ci peut vite devenir encombrante et considérée comme envahissante si le numéro tiré n'est pas le jack-pot escompté.

La question de l'argent n'est pas éludé et son traitement frontal se fait sans angélisme : Soane réclamera son dû, sans fausse honte, acceptant de jouer avec les règles de ses exploiteurs - Merci patron-style... C'est bien vu de la part du réalisateur, car totalement crédible.

Et par le biais de la Nouvelle-Calédonie, le réalisateur pose aussi la question de l'identité de ses enfants de la France malgré eux, qui n'appartiennent plus à leur terre d'origine mais ne sont pas plus considérés à cent pour cent français. Avec un Wallisien, et cette communauté "invisible", Sacha Wolff s'affranchit des questions plus crispantes liées aux enfants issus du Maghreb, mais n'en aborde pas moins une réalité similaire.

On risquerait le film à thèses - et elles sont bien plurielles ici. Mais l'auteur assume pleinement sa dramaturgie et les codes inhérents au genre qui lui sert de matrice, le film d'initiation. On s'attache aisément à la figure de Soane, portée par un bluffant novice, Toki Pilioko. Avec les autres Wallisiens du film, il apporte une réel authenticité au propos, et rate rarement son coup. Comme son personnage, le comédien grandit et s'affirme de scène en scène : Soane débute le film les yeux baissés, il les termine défiant le ciel. Il est devenu un homme et, avec lui, Sacha Wolff est devenu un réalisateur de fiction.