Reportage par
Gilles Toussaint
Vidéo par
Johanna Pierre
Photos par
Johanna De Tessières
|N°8
La Libre.be
Samedi 01.07.2017
Inauguré ce vendredi, le projet-pilote « Home For Less » entend démontrer qu'il est possible de sortir les SDF de la rue en créant des habitats légers dans des bâtiments inoccupés de la capitale.
La plainte lancinante de la scie circulaire couvre à peine les claquements secs de la cloueuse pneumatique. A quatre jours de l'inauguration officielle du projet « Home For Less », c'est le rush final au 32 boulevard de l'Yser.
On fore, on peint, on raccorde, on ajuste… L'excitation est palpable aux quatre coins de ce plateau de 300 m², situé au 4e étage d'un bâtiment de l'Armée du Salut. Pour rejoindre celui-ci, il faut d'abord passer sous un porche, traverser une cour intérieure, avant de s'enfiler les huit volées de marches qui se trouvent au bout d'un entrepôt. A l'arrivée, l'espace disponible est lumineux, mais à première vue peu propice au logement…
« C'est tout le défi », sourit Ariane Diercikx, la directrice de l'association L’Îlot qui est à l'origine de ce projet. La crise du logement touche tous les Bruxellois, mais pour les personnes sans-abri, c'est encore plus compliqué, poursuit-elle. Alors que celles-ci représentent « la population la plus précarisée parmi les précaires, elles ne sont pas du tout prioritaires dans les dispositifs d'aide au logement ». Au contraire, le fait de ne pas disposer d'un lieu de résidence fixe, réduit un peu plus leurs chances d'y accéder. Un constat qui n'est pas neuf.
Plutôt que de rester passifs, les responsables de l'association (et le secteur de l'aide aux plus démunis de manière générale) préfèrent se montrer créatifs et proposer des solutions nouvelles pour ce public particulier. Quitte à essayer de forcer des portes jusqu'ici fermées. « A Bruxelles, on recense aujourd'hui 15 000 à 30 000 logements inoccupés, alors que dans le même temps 44 000 personnes sont sur des listes d'attente et que 3 500 personnes sont sans-abri. C'est juste fou », s'indigne Mme Dierickx. « Cela nous a convaincus qu'en agissant sur les deux volets, il n'est pas utopique de sortir ces personnes de la rue. »
En décembre dernier, l'idée a donc germé : n'est-il pas envisageable, avec des moyens constructifs simples, d'installer des petits modules de logement dans des bâtiments a priori non habitables ? Pour démontrer la faisabilité de cette option, L’Îlot s'est tourné vers la Faculté d'architecture La Cambre Horta (ULB) et le collectif Baya, un groupe de jeunes architectes qui promeut l'autoconstruction d'habitats légers. Celui-ci s'est notamment fait connaître en construisant en un jour une cuisine collective dans la jungle de Calais.
« Tout le monde s'est montré emballé et les choses se sont décidées très vite. Quand nous nous sommes lancés, nous n'avions même pas une idée du lieu qui pourrait accueillir ce projet pilote. On a appris par hasard que l'Armée du Salut disposait de bâtiments vides qu'elle avait l'espoir de transformer un jour en logements, sans en avoir les moyens pour l'instant. Nous les avons contactés et ils ont répondu favorablement », se réjouit Ariane Dierickx.
Créée en 1960, L’ASBL L'îlot mène activement « un travail de terrain pour essayer de développer de multiples solutions contre le sans-abrisme », explique sa directrice Ariane Diercikx. « Cela va de l'hébergement temporaire, à l'apport des soins de première nécessité (offrir des repas, la possibilité de prendre une douche, de laver son linge…) , en passant par une aide pour résoudre les problèmes administratifs, de santé ou de surendettement. Nous organisons un accompagnement psycho-social réalisé par des équipes pluridisciplinaires. L'objectif est de faire du sur-mesure afin de permettre à ces personnes de reconstruire un projet de vie dans des conditions dignes.»
Face aux difficultés pour trouver des logements à ce public spécifique dans la région-capitale, l'association a mis sur pied une cellule spécialement dédiée à cette question il y a trois ans. Baptisée « Capteur et Créateur de Logements », cette équipe œuvre notamment à convaincre des propriétaires privés de mettre leur bien en gestion auprès des Agences immobilières sociales (AIS), en y incluant une option d'accès pour les sans-abri. Elle travaille également à la réalisation de projets immobiliers spécifiquement dédiés à cette fin en partenariat avec des investisseurs privés ou publics. Avec le projet « Home For Less », la réaffectation de bâtiments inoccupés pour y installer des habitats légers constitue désormais un troisième axe de travail.
Du côté des étudiants de l'ULB, l'enthousiasme est aussi au rendez-vous. « Nous avons inscrit le projet dans le cadre de notre atelier 'Architecture construite' dont la philosophie est de réaliser des projets qui répondent aux besoins de la société civile. Les étudiants avaient le choix entre dix ateliers qui se déroulent de février à juin et c'est celui qui a rencontré le plus de succès. Nous avons reçu plus d'une centaine de candidatures pour une quarantaine de places disponibles », souligne le Pr Denis Delpire. Une soixantaine de ces apprentis-architectes ont finalement pris part à l'aventure, en s'engageant à s'impliquer pour atteindre un résultat complet pour ce vendredi 30 juin. Mission accomplie !
« Les premières semaines, nous nous sommes d'abord livrés à un exercice de spatialisation », commente de son côté Bastien Dullier, membre du collectif Baya qui accompagne les étudiants dans leur travail de terrain. « Chaque groupe a développé un plan d'ensemble et nous avons décidé de n'occuper que la moitié de l'espace disponible. Un jury interne a ensuite sélectionné quatre projets pilotes faisant appel à quatre techniques de construction différentes.»
La phase de mise en œuvre à proprement parler a alors pu débuter. Quatre modules de 14 à 28 m² ont ainsi été assemblés autour d'un espace cuisine et d'un salon communs. « Chaque module est lui-même conçu comme un lieu de vie individuel. Il comporte une salle de bain et des toilettes, un coin pour dormir et un petit espace salon-salle à manger », précise Denis Delpire, tandis qu'une étudiante termine d'appliquer une couche de peinture sur une cloison.
En Région bruxelloise, on recense aujourd'hui officiellement
15 000 logements inoccupés. Un chiffre auquel s'ajoutent, selon les estimations, au moins 15 000 autres bâtiments dans un état de délabrement avancé. Dans le même temps, quelque 44 000 personnes sont sur des listes d'attente pour l'obtention d'un logement social.
Deux approches différentes ont été retenues : un système de « boîtes » que l'on peut facilement installer dans de vastes espaces vides comme des halls industriels ; et un système où l'on s'appuie sur les structures existantes en refermant les cloisons là où cela s'avère nécessaire. « Cette formule sera sans doute plus adaptée aux bâtiments où l'on dispose de peu de hauteur », note M. Delpire.
Le cahier des charges à respecter n'était pas simple: des espaces fonctionnels et modulables, rapides à monter et à démonter - « un peu comme des Legos » -, reproductibles partout et... pas trop coûteux. « Nous arrivons à un budget de 4000 à 5000 euros par module. C'est vrai que pour ces prototypes la main-d’œuvre est gratuite, mais je pense qu'il est possible de rester dans cette fourchette en industrialisant le processus de construction », estime encore l'enseignant. Avant de se lancer dans la conception, les étudiants-bâtisseurs ont, en outre, rencontré d'anciens SDF ainsi que des travailleurs sociaux, afin de bien comprendre les besoins de ces locataires particuliers. Car on ne passe pas de la rue à son « chez soi » sur un claquement de doigts. « Les premiers jours, il arrive que certains continuent à dormir par terre dans leur logement ou préfèrent passer la nuit dehors avec leurs copains », explique la directrice de L’Îlot. « Ces rencontres nous ont permis de nous rendre compte que disposer d'une cuisine, par exemple, est moins vital pour eux que d'avoir leurs propres sanitaires », complète Denis Delpire.
Si les projets obtiennent le feu vert des pompiers et de l'urbanisme, ces logements accueilleront dans les prochains mois quatre sans-abri. Le loyer sera gratuit, mais ils devront s'acquitter des charges auprès de l'Armée du Salut. « Nous allons identifier des personnes qui ont un revenu régulier, aussi bas soit-il, et qui sont prêtes à entrer en logement. Elles devront aussi accepter le principe d'un accompagnement à domicile car c'est la clef du succès pour que ces gens se maintiennent dans leur habitation. Ils passeront une convention avec le propriétaire, mais nous serons là comme facilitateur pour les aider dans diverses démarches ou en cas de problèmes éventuels », insiste Ariane Dierickx.
Les mois à venir permettront donc de confronter la viabilité du concept à la réalité. Et aux étudiants de l'ULB de corriger et de peaufiner leurs réalisations. Deux d'entre elles seront retenues au bout du compte. L’Îlot pourra alors se mettre à la recherche de partenaires susceptibles de faire passer le projet à une phase d'industrialisation. « Notre espoir est de collaborer avec des entreprises de formation par le travail et du secteur de l'économie sociale pour arriver à baisser les coûts de production, en faisant notamment appel à des matériaux recyclés.» De leur côté les pouvoirs publics bruxellois ont marqué leur intérêt pour la démarche, par la voix de la ministre du Logement Céline Fremault. C'est déjà un premier pas.
En voiture, on appellerait cela un angle mort. Situé au croisement entre la rue Vandermaelen et le quai des Charbonnages, à Molenbeek-Saint-Jean, un petit morceau de terrain à l'abandon s'est peu à peu transformé en chancre urbain. Mais cela devrait bientôt changer.
La commune a en effet accepté de mettre cette parcelle à disposition des promoteurs d'un projet qui permettra d'offrir un logement décent à trois personnes vivant actuellement dans la rue. Portée par l'ASBL Archi Human, en partenariat avec Housing First et la Fondation Roi Baudouin, cette initiative a pour objectif de construire un petit immeuble de quatre étages qui accueillera un studio pour un étudiant et trois logements d'une trentaine de mètres carrés. Mariant bois et métal, il sera conçu suivant les principes de construction durable chers à l'architecte Luc Schuiten. La cage de l'escalier extérieur et la toiture seront végétalisées, l'eau de pluie sera récupérée et les matériaux utilisés seront les plus locaux et écologiques possibles. L'association, qui a déjà bénéficié d'un coup de pouce de 30 000 euros de la Banque KBC, organisera une soirée de récolte de fonds à la fin de l'année afin de compléter le financement nécessaire à la concrétisation du projet, espérée pour fin 2019.
Tout comme « Home For Less », celui-ci pourrait être l'avant-garde d'une série d'initiatives similaires qui s'inscrivent dans la dynamique de la campagne « 400 Toits » lancée il y a quelques semaines par une série d'acteurs du secteur de l'aide aux personnes précarisées.
Gilles Toussaint
Responsable de rubrique
Valentine Van Vyve
Journaliste La Libre Belgique
Christel Lerebourg
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