Le tourisme
a la dent durable



Reportage par
Valentine Van Vyve

Photos par
Didier Bauweraerts

|N°6
La Libre.be
Lundi 19.06.2017

Au moment de choisir leurs vacances, de plus en plus de voyageurs se montrent attentifs au respect de l’environnement, de l’économie locale et des relations qu’ils nouent. Portrait d’une famille qui a choisi d’emprunter ces chemins alternatifs.

Dans la ferme de Pierre Rabhi, le réveil sonne à 5 heures du matin. Perdus dans la nature ardèchoise, les bénévoles s’activent : entretien des jardins de ce pionnier de l’agriculture écologique, construction de toilettes sèches, travail du bois, confection d’une marre pour la phytoépuration. Nadège et Benjamin joignent pendant une semaine d’un été anormalement doux l’utile à l’agréable. Ils " mettent les mains dans la terre ", vivent au rythme de la nature, s’adaptent à celui de la communauté, s'organisent en suivant les principes de la gouvernance partagée. Ils se réveillent ensuite pendant quelques jours au pied des Pyrénées, partageant la vie d’un couple qui y a installé son havre de paix. Leurs journées, ils les passent à crapahuter, avalant les dénivelés. " Cette manière de se loger, via le Airb&B, et d’occuper nos journées font qu’on ne laisse aucune trace ", souligne Nadège.

CHIFFRE

Selon l’ONU, investir 0,1% à 0,2% du PIB mondial entre 2010 et 2050 dans un tourisme respectueux de l'environnement pourrait stimuler la croissance économique, conduire à la réduction de la pauvreté et la création d'emplois, tout en assurant des bénéfices environnementaux importants.

Vacances ? " Disons qu’on est rentrés plus fatigués qu’en partant ", admet, le sourire en coin, Benjamin, avant de s’exclamer: " Mais quel enrichissement ! " En plus d’améliorer leurs connaissances de l’environnement, du fonctionnement des cultures, ce sont les " connexions, les liens, les rencontres extrêmement riches, les partages qui ouvrent les possibles " qui restent leurs souvenirs les plus vivants. Ceux-là mêmes qui en ont fait un voyage que l’on pourrait qualifier de durable.

Mais qu'est-ce qu'un " tourisme durable " ? La définition est assez vaste. Ce tourisme-là excelle dans trois dimensions : au niveau économique, il s’attache à soutenir l’économie locale, à la rendre viable, solide et résiliente ; au niveau social, il augmente les connaissances, crée des réseaux, respecte la santé et participe à la réduction des inégalités et à l’inclusion de tous -par le travail, l’emploi, la formation, l’accessibilité. Enfin, au niveau environnemental, cette manière d’envisager le tourisme veille à la préservation de la biodiversité, à la protection, à la valorisation et au bon usage des ressources, dans les transports, les loisirs et l’hébergement notamment.




Un canyon rempli de déchets, la claque !

La conscience écologique du couple a été éveillée dès le plus jeune âge. Benjamin passait son enfance sur le voilier familial. Ces " moments privilégiés " lui donnent alors " le goût du voyage et du respect de la nature, du milieu dans lequel on est, de soi-même et des autres ", analyse-t-il vingt ans plus tard. Nadège, apprenait au même âge comment faire un compost et le fonctionnement de l’énergie solaire.

Quelques années plus tard, les deux trentenaires embarquent sur un bateau au large du Mexique. " On nous a emmenés voir un canyon. C’était une marre de plastiques et de déchets ", se souviennent-ils, expliquant avoir alors " reçu une énorme claque ! ", tant par le choc causé par l’importance de la pollution que par leur sentiment d’impuissance. Cette plage sur laquelle ils s'activent pour sauver des tortues naines – dans le cadre du Service Volontaire International (SVI) ­ doit être quotidiennement nettoyée. Cette expérience de bénévolat, en les plongeant au coeur d’un enjeu local, leur ouvre les yeux sur l’impact de chaque geste. " C’est l’effet papillon ", analyse Nadège. " On se dit alors que l'on partage tous la même planète ! "

Un appétit de rencontres

Bien loin du tourisme et des structures hôtelières de masse qu’ils fuient systématiquement, il s’immergent dans un village local où les habitants ont peu de moyens. Ils y apprécient la confiance, l’esprit de collaboration, les relations d’égal à égal, la simplicité de la vie, l’absence de distanciation que peut créer l’argent.



" Wwoofing " sur la côté ouest de l’Australie ; promenades dans les vertes étendues d’Irlande où le souffle du vent devient musique ; découverte en train des contrées immaculées de la Norvège ; en bus des routes du Mexique ; à vélo dans les rizières du Laos ; immergés dans la culture du " hyggelig " danois ; la Thaïlande chez l’habitant et l’Ecosse en auberge de jeunesse…

« Au retour, il y a à la fois cette prise de
conscience de la chance du confort
que l’on a mais aussi la remise en
question de nos propres besoins.»

Chacun de ces voyages a nourri leur insatiable appétit de nature et de rencontres. Le tourisme durable, à leurs yeux, c’est décélérer et prendre le temps. C’est s’imprégner d’un lieu en allant à la rencontre de l’autre et de sa culture, en évitant l’entre soi – " même si c’est un effort pour quelqu’un de réservé comme moi ", précise Benjamin. C’est sortir des logiques mercantiles et de la société de loisirs en se contentant de peu –ce qui " réduit considérablement les coûts ". C’est respecter l’autre et son environnement. " Ce que l’on retient, c’est la rencontre, l’environnement, c’est d'avoir appris quelque chose. Ce sont des voyages de vie d’où on revient plus riche. Ils ont a un impact humain : on revient avec une approche différente du pays, des gens, même si les contacts sont brefs malgré tout. "

C’est au contact de l’autre que l’on apprend sur soi-même, pensent ces mordus de voyages. Nadège voit dans le développement de ce tourisme, dit alternatif, " la recherche de sens et de connexions, le souhait d’authenticité de la génération Y ". Au-delà de leurs propres aspirations, les jeunes parents ont mis le désir de la transmission au cœur de leurs projets. Leur fille de deux ans les accompagne désormais sur les routes, au prix de quelques adaptations. " Sa présence donne un autre sens aux voyages. Ils la feront grandir, lui donneront des repères fortement ancrés. "

Voyager. Et après ?

En amont, les voyages. En aval, les projets, implications, initiatives quotidiennes qu’ils développent dans leur commune. Une sensibilité particulière pour la culture du lien social, l’écologie et la consommation responsable qui devient à son tour le fil rouge de leurs activités touristiques.



Ces expériences les ont forgés à tel point que les gestes qu’ils posent aujourd’hui pour plus de durabilité sont devenus une priorité.  On ne pourrait plus faire autrement , commentent-ils d’une même voix. Ils sont convaincus que " la manière de voyager peut tout à fait s’inscrire dans la continuité du quotidien " et ont un sentiment de " cohérence ", soutient celle qui est chargée de communication dans une PME responsable de la certification de produits Bio.

" Je me sens coupable de ne pas vivre à 100% selon mes convictions, glisse quant à lui Benjamin. Je transporte du lourd, j’ai donc une grosse voiture. Notre train de vie n’est pas neutre non plus ". Mais pour compenser son impact environnemental, le couple brabançon fait attention à la manière dont il consomme, se déplace, s’implique dans les initiatives durables locales, se penche activement sur les synergies à mettre en place et parraine des projets favorisant la biodiversité.

Vivre en cohérence avec soi-même

Dans ce jardin brabançon, sous le soleil de ce début d’été, Cerise arrose les fraisiers alors que sa mère récolte deux paires d’œufs dans le poulailler. Le compost en nourrira les locataires et servira d’engrais aux plantations que pollinisent les abeilles pour lesquelles un abri a été construit sur la palissade du jardin. " On a rentabilisé l’espace pour subvenir à certains de nos besoins alimentaires ", explique Nadège, tout en se promenant entre les fraisiers, plants de rhubarbe, courgettes et autres fruitiers. " On pourrait nous traiter de naïfs, penser que l’on vit dans un monde de ‘Bisounours’. Mais nos choix, tant au quotidien que dans les voyages, reflètent notre manière d’envisager le monde sans prétendre fondamentalement le changer. C’est notre manière de se sentir faire partie d’une commune humanité, notre humble contribution dans cette période de transition. "


Tourisme durable en Wallonie : suivez le guide !


Cliquez ici pour plus d'info

Jusqu’à l’an dernier, aucun guide ne répertoriait l’offre touristique durable en Région Wallonne. Un non-sens, pour le professeur Hadelin de Beer et les étudiants de la Haute école Robert Schuman de Libramont, membres de la seule section consacrée à ce type de tourisme dans l’enseignement francophone de Belgique. Ils ont fait le pari non seulement de référencer les initiatives durables présentes sur le territoire - 82 lieux d’hébergements, de restauration et de loisirs - mais aussi d’en évaluer pour chacun la durabilité sociale, économique et environnementale. Chaque initiative est jugée à l’aune des critères suivants : eau, énergie, déchets, nature, éco-gestes, connaissances, inclusion, réseau, label, santé et transports.

Actuellement, on recense 30 lieux d’hébergement labellisés " Clé Verte ". Aucun chiffre n’existe cependant sur leur fréquentation. " L’offre existe mais elle est méconnue. Il est important de la rendre visible afin de faire croître la demande ", souligne le Pr de Beer. Une demande venue principalement des pays scandinaves et ayant poussé les opérateurs, souvent déjà sensibles à la problématique, à s’y adapter. Les avantages dépassent la simple motivation touristique, ils sont aussi économiques : mieux isoler, réutiliser l’eau de pluie, utiliser des toilettes sèches ou une ventilation double flux, entretenir un jardin avec de la biodiversité, installer des panneaux solaires ne sont que quelques exemples écologiques générant des économies financières.

Ce guide démontre, si besoin en était, qu’il " n’est pas nécessaire de courir à l’autre bout du monde -ce qui est d’autant moins durable car source de rejet de polluants- pour consommer du tourisme que l’on qualifie de vert ". Les acteurs du tourisme wallon " apportent déjà aujourd’hui une contribution, à l’heure ou l’humanité est appelée à fonctionner différemment pour assurer un avenir aux générations futures ", commentent les auteurs du guide.



<

Suivez-nous sur facebook







L’équipe




Gilles Toussaint

Responsable de rubrique

Valentine Van Vyve

Journaliste La Libre Belgique

Lire les articles "INSPIRE"

©Lalibre.be 2017 - INSPIRE