A Beauvechain,
une révolution verte
en douceur



Reportage par
Gilles Toussaint

|N°4
La Libre.be
Lundi 05.06.2017

Au début, nous avons reçu des appels. Les gens se demandaient pourquoi on laissait ces grandes herbes dans le cimetière. Ils ne comprenaient pas le but.» Au centre de Beauvechain, le visage du petit cimetière qui ceinture l’église se transforme désormais au rythme des saisons. Les bidons de pesticide et d'herbicide ont été rangés au placard pour faire place à des méthodes de gestion plus douces, où les « mauvaises herbes » ont aussi leur place. Du gazon et des fleurs ont désormais colonisé les grises allées de graviers, empiétant parfois sur les tombes... dont l'entretien doit normalement être assuré par les proches des défunts.

Un cimetière vivant

« La mise en place n'a pas été simple. Au début, on s'y est cassé les dents et on en a pris plein la figure » reconnaît Vincent Bulteau, le conseiller environnement et développement durable de cette petite commune brabançonne. Un malentendu né d'une erreur de casting dans le choix… des fleurs qui ont été semées. « On a notamment mis des marguerites et des choses dans ce genre-là. Le problème, c'est qu'elles poussent assez haut et qu'avant d'avoir des fleurs, ce sont surtout des tiges et des hautes herbes qui sont visibles. Cela donnait un peu l'impression que le cimetière était laissé à l'abandon. Aux yeux des gens, c'est comme s'il y avait un non-respect des morts.»



Le tir a depuis lors été corrigé en faisant appel à un mélange de pelouse fleurie spécialement conçu pour les cimetières. « On a trouvé le bon compromis », se réjouit notre guide. « On a des fleurs mellifères plus basses et une herbe qui pousse plus lentement qui ne doit être tondue que toutes les trois semaines. » Du coup, la tonalité des commentaires reçus a elle aussi évolué : « Depuis cette année, on reçoit des félicitations. C'est devenu un cimetière moins triste, un cimetière vivant ». Une vie qui ne s'arrête pas aux espèces végétales. Des abeilles sauvages ont ainsi pris leurs quartiers dans un charmant « hôtel à insectes » en forme de fleur, entièrement réalisé en matériaux de récup' par un membre du personnel communal. Comme quoi la nature est inspirante.

Des nichoirs destinés à différentes espèces d'oiseaux ont également pris place le long des murs de l’église, dont les combles ont été aménagés pour accueillir des chauves-souris. Ce type d'installation est d'ailleurs présent dans d'autres immeubles communaux. « Quand on rénove la toiture d'un bâtiment public, par exemple, ce n'est pas compliqué d'intégrer un aspect qui prenne en compte la biodiversité. Cela ne coûte rien de faire une chiroptière (un abri pour chauves-souris, NdlR) en toiture lors de la rénovation. Même chose pour un nichoir à chouette effraie ou des aménagements pour accueillir une colonie d'hirondelles.»

Dans le hall de la maison communale, un écran vidéo installé sur une petite table permet  au visiteur de se plonger dans l'intimité des nichoirs installés aux alentours. « C'est notre téléréalité », blague Vincent Bulteau, expliquant que ce dispositif permet de faire de la sensibilisation et d'attirer le regard sur les dépliants d'information placés à proximité. Des folders qui ont trait à ces questions environnementales.

Des intérêts partagés

La prise en compte de la préservation de la biodiversité s'inscrit dans un plan d'action transversal à l'échelle de la commune, qui fait de Beauvechain un élève modèle en la matière en Wallonie. « Dans la mesure du possible, on laisse la nature s'exprimer et on fait en fonction d'elle », résume notre interlocuteur. En agissant de la sorte, la commune contribue à multiplier les maillons d'un réseau écologique souvent mis à mal par la fragmentation des habitats naturels en raison de l'urbanisation et l'intensification de l'agriculture.

Une philosophie qui ne vise pas seulement à « faire joli » ou à « sauver les petits oiseaux », mais aussi à protéger la santé des populations (en se passant des produits nocifs ; en préservant les ressources en eau...) et à offrir un cadre de vie épanouissant aux habitants. En gérant les bassins d'orage comme une réserve naturelle, par exemple, « on rend ces sites beaucoup plus attrayants pour le voisinage et on inverse le phénomène Nimby », illustre M. Bulteau.





Comme le montre le cas du cimetière, mettre en oeuvre ces beaux principes n'est pourtant pas toujours aisé. Beauvechain, qui en est déjà à la troisième charte de son Plan communal de développement de la nature (PCDN) en un peu moins de 25 ans, veille donc à prendre régulièrement le pouls de ses administrés sur leurs attentes. Une série de tables rondes sur ces thématiques ont ainsi récemment été organisées. « Cela permet de relancer la dynamique. Bien communiquer vers la population est vraiment un challenge sur lequel nous devons continuer à travailler.»

C'est joli, une « mauvaise  herbe »

Car sur le terrain, la motivation du changement de certaines pratiques ne va pas toujours de soi pour les habitants. L'apparition de quelques herbes folles sur les trottoirs ou entre les pavés de la place peut apparaître comme de la négligence. «  Il faut savoir écouter les critiques et expliquer », insiste Vincent Bulteau. Expliquer, par exemple, que quelques pissenlits peuvent être utiles et ne sont pas forcément gênants. Petit à petit, ce qui était jugé indésirable peut apparaître beau. L'aïl des ours trouve alors naturellement sa place au pied d'un massif d'hortensias et les ouvriers communaux apprennent à ne plus arracher cette orchidée sauvage qui pousse au pied des jeunes tilleuls près de l'église.




« Il faut savoir écouter les critiques
et bien communiquer vers les citoyens »






Pour les équipes communales, ces changements demandent aussi adaptation et expérimentation. L'abandon complet de l'usage des produits phytosanitaires dans la commune en 2014, avec cinq ans d'avance sur la réglementation wallonne, a par exemple entraîné quelques tâtonnements. « Pour le désherbage, il n'y a aucune alternative qui soit la panacée. Il faut utiliser un peu tous les outils : la brosse, le brûleur… Et faire des compromis », explique Vincent Bulteau. Trouver une tondeuse « pas trop puissante » et répondant aux nécessités induites par le nouveau mode de gestion du cimetière a également demandé certaines recherches. Mais au final, le changement s'avère économiquement intéressant puisque la machine est meilleur marché que les équipements traditionnels et la fréquence des tontes réduite. Une réduction du temps nécessaire à l'entretien également constatée pour d'autres espaces verts.

A proximité de la maison d'accueil pour enfants, un parking en dolomie « semi-filtrant » est harmonieusement intégré à un verger conservatoire composé de variétés anciennes haute tige et à une pelouse fleurie. Outre l'aspect esthétique, l'ensemble permet à la pluie de pénétrer le sol et à la végétation de trouver sa place, tout en freinant les ruissellements vers la rivière Nethen en contrebas. « Ici, le maraudage est obligatoire », sourit Vincent Bulteau, expliquant qu'en goûtant les fruits de ce verger, certaines personnes peuvent avoir envie de les replanter. "Après des travaux d'assainissement, nous avons également entamé le réempoissonnement de la rivière avec des chabots, des goujons des chevennes et des truites", ajoute encore notre homme.   

Une implication collective

Cette volonté de faire participer la population à cette dynamique trouve écho parmi les citoyens, se réjouit-il. Les apiculteurs locaux notamment, qui ont installé une miellerie didactique dans un local communal polyvalent et qui ont pour projet de favoriser le développement de l'abeille noire locale. Ou encore ce retraité passionné d'horticulture grâce à qui la commune va pouvoir replanter de la « prunes des burettes », une variété quasiment disparue que l'on trouvait autrefois dans un petit hameau de Beauvechain. Le succès rencontré par certaines activités comme le « concours de dessin nature », organisé tous les deux ans, les journées de balade thématiques ou encore les séances de baguage d'oiseaux sont autant de signes encourageants.

Le moment est venu de mettre un terme à notre visite et... nous n'avons pourtant encore rien vu, ou presque.  « Là, on est resté aux alentours la maison communale, mais je peux vous montrer plein d'autres choses. Au total nous avons mis 41 mesures en oeuvre », explique Vincent Bulteau, intarissable sur le sujet.  Impliquée dans différentes opérations de protection de la biodiversité mise sur pied par la Région wallonne, la commune peut bénéficier des aides intéressantes associées à celles-ci. « Une partie de mon boulot consiste à chasser les primes disponibles en fonction de la demandes des citoyens.» Mais la clef de la réussite pour redonner place à la nature dans sa commune passe avant tout par le dialogue, insiste-t-il . « Il faut une bonne synergie entre l'administration, les politiques et les citoyens. C'est ce qui permet d'avancer.»


Devenir ambassadeur des plantes sauvages

Il n'y a pas que le ficus dans la vie. Riche d'une solide expérience, Michel Fautsch a choisi de faire du « conseil en biodiversité » un métier à part entière en créant « Nature in progress ». Alors que 2017 a très officiellement été désignée « année de la plante verte », il propose par exemple aux citoyens qui le désirent de devenir « Ambassadeur de la cardère », une plante indigène herbacée qui présente de jolies fleurs sphériques appréciées par les abeilles.

Contre une participation d'une dizaine d'euros, les personnes intéressées peuvent obtenir un plant et une série de conseils et d'informations au cours de la saison. L'objectif est de créer un réseau rassemblant une centaine de ces ambassadeurs, qui pourront collecter les graines de leur propre plante et contribuer à assurer sa dissémination et sa perpétuation.

Quand on habite en ville, où l’espace disponible est forcément plus réduit, on peut néanmoins donner un coup de pouce à la biodiversité en sortant du réflexe du « tout à l’horticole », conseille par ailleurs Michel Fautsch. « Cela ne veut pas dire qu’il faut exclure les espèces horticoles cultivées, mais que l’on peut essayer d’utiliser un maximum de variétés indigènes, sauvages, pour fleurir des terrasses, par exemple.» Et à la campagne ? « Quand on dispose d'un terrain disponible qui n’est pas trop étroit, On peut donc réfléchir à dédier 5 ou 10 % de cet espace à la biodiversité en faisant un pré fleuri ou un petit aménégament favorable à la nature.»


info@natureinprogress.be




Suivez-nous sur facebook







L’équipe




Gilles Toussaint

Responsable de rubrique

Valentine Van Vyve

Journaliste La Libre Belgique

Lire les articles "INSPIRE"

©Lalibre.be 2017 - INSPIRE