Rami Sarhil,
un travailleur comme les autres



Reportage par
Gilles Toussaint

Vidéo par
Christel Lerebourg

Photos par
Johanna De Tessières

|N°3
La Libre.be
Lundi 29.05.2017

Ben, c'est tout simple : pourquoi pas ?... Quand on demande à Jacques Cornet la raison qui a amené la SPRL Astra Services à engager un réfugié syrien, la réponse est d'une désarmante évidence. Installée dans le zoning de Battice, en région liégeoise, cette PME spécialisée dans la plasturgie emploie une douzaine de personnes.

Son domaine ? "Fournir des solutions plastiques à l'industrie." Cuves, tuyauteries,sondes, pompes, armoires… Tous les éléments qui permettent de réaliser des circuits complets capables de supporter des fluides souvent nocifs ou très corrosifs. Du travail essentiellement sur mesure. Parmi sa clientèle, Astra compte pas mal d'acteurs du secteur pharmaceutique, celui de la pétrochimie ou encore du traitement des eaux.

Dans l'atelier, Thomas s'applique justement au montage de chariots de refroidissement destinés à une grande entreprise belge. Un travail méticuleux qui consiste à assembler divers éléments dont certains ont été conçus sur place. "C'est pour un liquide radioactif", explique-t-il. Mais chut ! On n'en saura pas plus, car le client tient à la discrétion.

"En soi, Astra est positionnée sur une activité de niche qui fait appel à des compétences techniques assez peu courantes et relativement pointues", commente encore Jacques Cornet, le responsable administratif de la société. Un métier que l'on n'apprend pas dans les écoles, mais plutôt sur le terrain, ajoute-t-il. D'autant que les profils recherchés doivent être capables de faire preuve de polyvalence.

La motivation vaut diplôme

"Bonjour, je m'appelle Rami Sarhil et j'ai bientôt 29 ans." Le visage barré d'un grand sourire et la poignée de main franche, notre interlocuteur affiche d'emblée un certain sens des relations publiques. "Aujourd'hui, j'ai plus d'amis belges que syriens. J'aime bien la communication, inviter les gens", rigole-t-il. Arrivé dans l'entreprise il y a un peu plus d'un mois, Rami bénéficie d'un contrat dans le cadre d'un Plan Formation-Insertion (PFI)

"Je suis venu en Belgique avec deux cousins en septembre 2015. J'ai d'abord résidé deux mois à Polleur, puis douze mois en Flandre avant d'obtenir le statut de réfugié en septembre 2016", raconte-t-il dans un français encore trébuchant. Après avoir trouvé un appartement à Comblain-au-Pont, où il réside avec son oncle et sa tante qui ont pu rejoindre son cousin mineur d'âge, il s'est immédiatement mis à la recherche d'un travail. "Mais ce n'est pas facile, j'ai reçu beaucoup de 'non'. Il faut de la motivation."



Par le biais de l’intérim, il a d’abord connu une expérience positive de plusieurs semaines dans une entreprise de Saint-Vith, avant de se présenter à Battice sur la recommandation d'un ami. S'il disposait d'une certaine expérience dans l'entreprise de construction familiale, il doit ici tout apprendre. Les obstacles sur sa route ne sont pas minces, mais il semble fermement décidé à tout faire pour les surmonter.

Une envie collective

"La rencontre s'est faite par hasard, en discutant avec un représentant de la difficulté de trouver du personnel", explique M.Cornet.

"Depuis un an et demi, nous avons déjà testé cinq ou six personnes et il n'est pas évident de trouver des gens qui acceptent de se lever tôt et de revenir parfois tard ; de faire preuve de savoir-être, d'une curiosité positive et d'une volonté d'apprendre. Quand on m'a parlé de Rami, je me suis donc dit" qu'il vienne". Je ne vois pas pourquoi, a priori, lui n'aurait pas droit à sa chance. Je le vois bien qu'il manque de connaissances, mais cela sera peut-être pallié par son envie et sa motivation. Jusqu'à présent, elle est terriblement là."

De manière plus globale, juge-t-il, l'économie wallonne a besoin de sang frais, "il suffit de regarder la pyramide des âges".

"Il faut être honnête, poursuit-il, au départ, c'est un peu plus compliqué pour nous. Pour le moment, Rami atteint à peine 10% de temps productif. Mais il y a une envie partagée par toute l'équipe. Ce sont des gens gentils qui se montrent disponibles pour lui expliquer les choses trois, quatre ou cinq fois, s'il le faut. Mais de son côté, il doit montrer qu'il s'investit. Tout doit partir d'une conviction positive des deux côtés et d'une volonté d'aborder les choses avec bienveillance. C'est un challenge magnifique et j'ai l'impression que nous en serons récompensés."

"Tout doit partir d'une conviction positive des deux côtés
et d'une volonté d'aborder les choses avec bienveillance."

Jacques Cornet, responsable administratif et RH chez Astra Services

"Il n'a pas choisi la facilité, mais jusqu'ici, c'est globalement positif. Il a les deux pieds dedans et il en veut", confirme Joël Jansens, un chef d'équipe. Les difficultés sont principalement linguistiques, embraie-t-il. "On fait appel à un éventail très large d'outils et d'accessoires particuliers. Et puis les techniques que nous utilisons ici, pour la soudure par exemple, ne sont pas les mêmes que dans son pays. Il écarquille parfois les yeux. Mais réfugié ou pas, ça ne change rien. C'est un être humain. A partir du moment où c'est un mec qui a envie de travailler, je ne vois pas où est le problème."

" Je ne fais pas de l'assistanat "

De fait, Rami n'est qu'au début d'un long apprentissage qui pourrait demander deux ans avant qu'il soit totalement opérationnel. Mais, vu les spécificités de ce travail, ce temps de formation est également nécessaire pour un ouvrier d'origine "locale".

Pour l'instant, il s'exerce en réalisant des boîtes avec des chutes de plastique. "On lui apprend l'extrusion. C'est une manière de souder qui varie suivant le type de plastique utilisé", explique Jacques Cornet, qui insiste lui aussi sur la nécessité absolue de l'apprentissage du français. "Il faut lui botter les fesses un max pour lui montrer à quel point c'est essentiel. Les gens comme Rami savent qu'ils sont dans une situation délicate et donc ils ont envie de vous dire 'oui' tout le temps. Cela part d'une bonne volonté, seulement, nous travaillons avec des produits dangereux comme l'hypochlorite. C'est sa sécurité, celle de ses collègues et parfois celles des clients qui est en jeu. Il faut donc avoir la certitude qu'il a parfaitement compris les risques. L'équipe a pour consigne de lui parler en français et j'insiste beaucoup pour qu'ils fassent de l'écoute active et qu'ils lui demandent de réexpliquer ce qui a été demandé."





Pour ceux qui en douteraient, le responsable met les choses au clair : "Je ne fais pas de l'assistanat""Rami et Astra ont un intérêt commun à ce que cela fonctionne, mais nous sommes une entreprise et nous devons faire rentrer de l'argent. On essaie de le faire dans le respect des personnes et d'avancer ensemble, mais je ne pense pas que mettre les réfugiés dans un cocon quelconque soit une bonne idée. Si on veut qu'ils soient parties prenantes de notre société, il faut qu'ils en prennent les avantages et les inconvénients."

Un principe sur lequel semble le rejoindre le principal intéressé. "Je viens d'Alep et une partie de ma famille est toujours là-bas. Je ne dois pas vous expliquer comment c'est."
J'ai "la responsabilité de les aider, poursuit-il. Mais je n'aime pas recevoir de l'argent du CPAS, ça me gêne. Je parle arabe et anglais, mais pour travailler il faut parler français, alors je m'y suis mis il y a trois mois et ça va aller."

Florence, une de ses collègues qui est également enseignante à mi-temps, vient ainsi lui donner des cours le samedi ; tandis que l'entreprise va l'épauler pour l'obtention de son permis de conduire.

"Dites bien que je les remercie tous !", insiste Rami à plusieurs reprises. "Les personnes très gentilles qui m'ont aidé à Polleur ; Catherine et Stéphanie qui m'ont proposé un appartement ; Sylvain qui m'a aidé à trouver du travail ; les gens d'Astra et Monsieur Jacques, c'est quelqu'un de rare !"  Voilà qui est fait.


Des professeurs retraités pour un coaching en langue ?

Apprendre la langue constitue, de l'avis général, le sésame indispensable vers l'emploi pour les réfugiés. Mais dans une PME comme Astra, explique Jacques Cornet, il n'est pas possible de consacrer une partie du temps de travail à ce genre de formation ni de payer des cours à Rami Sarhil. "Il existe aujourd'hui beaucoup d'outils disponibles, comme le site Wallangues qui est très bien fait", estime notre interlocuteur

Une partie de cette difficulté pourrait aussi être surmontée avec la mise en place, l'an dernier, du parcours d'intégration obligatoire en Wallonie. A l'instar de ce qui se fait en Flandre depuis plusieurs années, celui-ci comprend notamment un minimum de 120 heures de formation en langue française.

Tout en saluant le dynamisme et la compréhension dont ont fait preuve les intervenants du Forem, M. Cornet note aussi que les procédures administratives restent lourdes et compliquées pour la mise en œuvre des contrats PFI. Un peu de simplification ne pourrait pas faire de mal.




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L’équipe




Gilles Toussaint

Responsable de rubrique

Valentine Van Vyve

Journaliste La Libre Belgique

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