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Dès le XIXème siècle, la Belgique qui vient à peine d’acquérir son indépendance, accueille sur son territoire de grands penseurs de l’époque tels que Victor Hugo ou Karl Marx. Ceux-ci, en exil, ont choisi de s’établir dans les rues de notre royaume afin de fuir leur pays d'origine. Mais la Belgique mérite-t-elle vraiment cette réputation de terre d’accueil ?

Victor Hugo, un pamphlétaire avec vue sur Bruxelles

Ecrivain de génie, figure romantique par excellence, Victor Hugo est également un homme engagé qui a consacré sa vie à défendre les causes qu’il estimait justes. Il n’a ainsi jamais hésité à prendre la plume pour s’opposer à la peine de mort ou pour dénoncer la misère qui touchait certaines franges de la population. Mais c’est un tout autre combat, plus audacieux encore, qui le conduira à s’installer dans notre pays : sa croisade contre Louis-Napoléon Bonaparte.

Neveu de l’empereur Napoléon 1er, Louis-Napoléon Bonaparte est nommé premier Président de la République française. A l’époque, il est perçu comme un héros par le peuple, convaincu qu’il représentera à merveille les idéaux de la Révolution française. Victor Hugo fait partie de ses plus fervents admirateurs. Malheureusement, tout ce petit monde déchante lorsque Louis-Napoléon Bonaparte tente de faire modifier la Constitution pour s’autoriser à briguer un second mandat. L’homme avide de pouvoir décide finalement, dès 1851, de s’imposer par la force en fomentant un coup d’Etat. Maintenant à la tête d’un régime autoritaire, il est poussé par son ego à s’auto-proclamer empereur et à se faire appeler Napoléon III.

Pour Victor Hugo, la déception est rude. Dans les jours qui suivent, l’homme de lettres prend tous les risques. Il s’exprime plusieurs fois en public afin de convaincre le peuple de se soulever contre le nouvel Empereur. En vain. Ses prises de paroles finissent par attirer l’attention sur lui, tant et si bien que les autorités mettent sa tête à prix. Il n’a plus le choix, il doit quitter son pays natal. Muni d’un faux passeport, il choisit de se rendre dans le pays le plus proche : la Belgique. Il s’installe donc sur la Grand-Place de Bruxelles, un lieu qui l’avait beaucoup marqué lors d’une précédente visite. Il profitera de l’occasion pour rendre plusieurs fois visite à son grand ami, Alexandre Dumas, également en exil en Belgique à cause d’une sombre histoire de dettes. C’est durant son séjour à Bruxelles qu’il écrira son célèbre pamphlet « Napoléon le petit ».

Louis Bonaparte est un homme de moyenne taille, […] c’est un personnage vulgaire, puéril, théâtral et vain. […] Certes, ce cerveau est trouble, ce cerveau a des lacunes, mais on peut y déchiffrer par endroits plusieurs pensées de suite et suffisamment enchaînées. C’est un livre où il y a des pages arrachées. A tout moment quelque chose manque. Louis Bonaparte a une idée fixe, mais une idée fixe n’est pas l’idiotisme. Il sait ce qu’il veut, et il y va. A travers la justice, à travers la loi, à travers la raison, à travers l’honnêteté, à travers l’humanité, soit, mais il y va. […] Ce n’est pas un idiot. C’est tout simplement un homme d’un autre temps que le nôtre. Il semble absurde et fou parce qu’il est dépareillé.

Si le livre est bel et bien imprimé en Belgique, notre pays a pourtant très peur de ternir ses relations diplomatiques avec la France. Durant tout son séjour, Victor Hugo sera d’ailleurs mis sous surveillance par la police des étrangers. L’écrivain ayant parfaitement compris la position inconfortable de la Belgique, il décidera lui-même de quitter le pays dès la publication de son pamphlet. Il écrira donc une lettre à son ami et bourgmestre de Bruxelles, Charles de Brouckère, pour l’avertir de sa décision. Dans cette correspondance, il remercie néanmoins la Belgique de l’avoir accueilli. « Grâce à la cordialité de la nation belge, nous avons retrouvé ici, nous, bannis, quelque chose de la patrie. Et la Belgique a été pour nous presque comme la France ». S’il passera une grande partie de sa vie sur l’île de Guernesey, c’est un éditeur belge, Albert Lacroix, qui publiera son œuvre-phare, Les Misérables. « Mais il s'agissait là principalement d'une affaire de gros sous puisque Victor Hugo voulait vendre son manuscrit au plus offrant. L’éditeur a d’ailleurs dû emprunter de l'argent afin d'offrir à Victor Hugo le plus gros contrat de sa carrière », explique Paul Aron, professeur d'histoire de la littérature à l'ULB.

Marx, un rebelle à Ixelles

Après avoir été chassé d'Allemagne et de France pour ses idées révolutionnaires, Karl Marx trouve lui aussi refuge en Belgique - à Saint-Josse-ten-Noode puis à Ixelles - à la seule condition de ne rien écrire de politique. Faisant fi de l'interdiction, l'Allemand prend d'entrée de jeu la tête d'un réseau de groupes révolutionnaires présents à travers l'Europe. « Il consolida ces comités qui, en 1847, prirent le nom de Ligue communiste. Marx et Engels furent alors chargés de rédiger le programme de cette première organisation ouvrière internationale », explique Alain Libert, ancien professeur d'histoire (1). Ce texte, rédigé à Ixelles, est mondialement connu sous le nom de Manifeste du parti communiste. Il y aborde notamment la question de la lutte des classes qui oppose « oppresseurs et oppressés ».

Dans son ouvrage, Karl Marx appelait ni plus ni moins la classe ouvrière à se révolter contre la classe capitaliste. Par crainte que ces idées se propagent, la Belgique décide de l'expulser. Il est loin le temps où Marx louait au Cygne – bâtiment de la Grand-Place de Bruxelles où sera fondé le Parti Ouvrier Belge – « la constitution belge qui permet au pays de pratiquer la libre discussion, et qui garantit le droit d’association ». Après son expulsion, il écrira d’ailleurs que la Belgique est « le paradis et la chasse gardée des propriétaires fonciers, des capitalistes et des curés », preuve qu'il n'a finalement pas particulièrement apprécié son séjour chez nous.

Pour d’autres, les Etats-Unis n’ont tout simplement pas compris la véritable nature des nouveaux rapports internationaux, mais sont restés au temps de la guerre froide.

Une Belgique aux deux facettes

Pour Paul Piret, professeur de littérature à l’UCL, la Belgique a bel et bien été « une terre d'accueil pour les auteurs ».« En Belgique, il y avait à l'époque une vieille tradition de contrefaçon. Les auteurs savaient très bien qu'ils pouvaient venir s'y faire publier sous le manteau chez des éditeurs non déclarés qui étaient en fait plutôt des imprimeurs. Cela permettait de contourner la censure qui était toujours d'actualité en France », continue-t-il. Paul Aron, professeur d'histoire de la littérature à l'ULB, est plus réservé. « Les éditeurs qui venaient en Belgique imprimaient les livres d'auteurs français souvent contre leur gré puisque les tribunaux français ne pouvaient pas les poursuivre. C'est surtout en cela qu'ils ont joué un grand rôle dans la diffusion des œuvres »

Si tous les éditeurs ne semblent donc pas se comporter de la même manière, le gouvernement belge, en revanche, est très clair. « Les publications à caractère politique étaient interdites, le gouvernement français exerçait d'ailleurs des pressions sur son homologue belge », précise Paul Aron. « Surveillés par la police belge – et dans le cas des opposants français aussi par la police française oeuvrant en Belgique – les exilés politiques sont considérés comme des fauteurs de troubles en puissance. S’ils sont suspectés de républicanisme, de socialisme ou d’anarchisme, leurs moindres activités 'politiques' seront dénoncées par des indicateurs, et la police belge, en relation avec les polices des pays limitrophes, aura tôt fait de les empêcher d’agir en les expulsant. C’est ainsi que Karl Marx, l’auteur de 'L’internationale', que Victor Schoelcher, que Victor Hugo et tant d’autres ne trouveront en Belgique qu’un asile momentané alors que l’Angleterre les accueillera avec beaucoup plus de libéralisme », écrit Anne Morelli, historienne belge (2).

Bien avant la guerre froide, quelques épisodes de la vie politique internationale ont alimenté l’anti-américanisme sans pour autant le façonner, tels que l’expulsion et l’extermination de populations indigènes et les interventions américaines armées en Amérique centrale et dans les Caraïbes.

De nombreuses interventions ont eu lieu après l’utilisation de la bombe atomique sur le Japon en 1945. Ces évènements, tels que la guerre du Vietnam (1955-1975), la crise de la Baie des Cochons à Cuba (1961), l’occupation de la République dominicaine (1965), le coup d’Etat de Pinochet (1973), les guerres d’Irak (1991 et 2003) et d’Afghanistan (2001-2014), ont davantage laissé des séquelles – parfois irréversibles - dans les consciences collectives.

Une Belgique aux deux facettes

Malgré tout, des centaines de Français fuyant le régime de Napoléon III sont venus s'établir en Belgique. Privés du droit de publier des écrits à caractère politique, ils se spécialisent dans la "petite presse". « Ils ont fait ce qu'ils savaient faire de mieux : des journaux. Ils en profitaient parfois pour faire de la politique sans le dire, par messages cachés », conclut Paul Aron. Après la chute de Napoléon III, certains sont rentrés en France tandis que d'autres sont restés en Belgique où ils ont continué leurs activités.

Sources & Crédits

- (1) Libert A., Les sombres histoires de l’histoire de la Belgique, Editions La boite à Pandore, Waterloo, 2015.
- (2) Morelli Anne. Belgique, terre d'accueil? Rejet et accueil des exilés politiques en Belgique de 1830 à nos jours. In: L'émigration politique en Europe aux XIXe et XXe siècles. Actes du colloque de Rome (3-5 mars 1988). Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 117-128. (Publications de l'École française de Rome, 146)
- Photographies : reporters.be