Zaventem Lost & Found

La caverne d’Ali Baba

Edition: A. Marsac

Edition: A. Marsac

Esprit des vacances oblige, et intrigués par ce que pouvaient laisser derrière eux les 60 000 voyageurs quotidiens de l’aéroport, on est allés fouiller au service des objets trouvés de Brussels Airport.

Belinda est responsable du service Lost and Found de l’aéroport de Zaventem, et elle n’a pas sa langue dans sa poche. "J’ai coutume de dire qu’avant, quand je bossais au protocole, je devais mettre des gants blancs, maintenant je mets de gants en plastique, pour chercher parmi les petites culottes des gens". Car, pas de doute, le service d’objets trouvés de l’aéroport bruxellois est d’abord un voyage dans l’intime des voyageurs…

Valise cabine abandonnée

Qui ne s’est jamais demandé, en sillonnant les kilomètres de sol briqué de Zaventem, ce qu’il pouvait y avoir dans la valise inconnue qui roulait devant lui ? Belinda, elle, pourrait vous répondre, puisqu’à la place qu’elle occupe, elle doit en premier lieu faire en sorte d’analyser l’objet trouvé afin d’en trouver son propriétaire. Et hop, on ouvre les portefeuilles, et hop, on dézippe les valises et sacs à dos…
Les pièces les plus oubliées demeurent en grande partie les objets du voyageur - sacs à dos, coussins de tête, valises à roulettes par centaines. "On retrouve des valises entières, esseulées, dans les boutiques et dans les restaurants", nous précise Nathalie Pierard, porte-parole de l’aéroport.
La visite de la caverne d’Ali Baba/réserve des objets nous montrera notamment des valises d’enfants; ces valisettes à roulettes en forme d’abeilles ou du roi des animaux - celle que les jeunes voyageurs finissent par oublier de tirer derrière eux, même quand il s’agit de matériel de premier secours. (On a en effet retrouvé une petite valise à roulettes de médecin - avec un mini-stéthoscope ; matériel pour piqûres ; et Playmobil démembrés - cobayes consentants ?)

Sécurité !

Faut-il préciser que la majorité des objets sont oubliés au screening, 70 % des objets précisément sont semés à la Sécurité. Parce qu’on est obligé d’y déposer, dans des caisses, ceinture, trousse de toilette - "any liquids ?" -, veste, ordinateur et chaussures. Si finalement, on retrouve assez peu de chaussures aux objets perdus (peu de gens quittent le screening en chaussettes avec leur pardessus), 1 956 ceintures quant à elles ont été oubliées, en 2018 - soit un chiffre au moins équivalent au nombre de gens qui perdent leur pantalon - ; 962 montres laissées dans la caissette (parfois de marque, on a vu notamment des montres Gucci) ; et puis des montagnes de bonnets, d’écharpes, de vestes, de gants. Les ordinateurs portables, malgré leur valeur, sont aussi très souvent laissés pour compte au screening mais sont aussi les plus souvent réclamés, car on sait, finalement, où on a pu oublier ledit objet.

L’objet de voyage insolite

Si les voyageurs oublient en majorité leurs effets de toilettes et ceintures, on restera cependant surpris par la somme d’objets tout à fait saugrenus que les gens oublient derrière eux en voyage. Belinda nous montre la photo d’un dentier, oublié sans doute après un brossage de dents, dérangé par un dernier appel au voyageur Machin, qui en a oublié de remettre ses dents. Une histoire qui fait écho à un autre oubli des plus étonnants, si le voyageur Machin est parti de l’aéroport de Zaventem sans ses dents, Elisa Roux, porte-parole de la SNCB, nous fait part d’un voyageur qui avait laissé derrière lui sa prothèse de jambe !
Au rayon des objets insolites, le jour de notre reportage aura été une bonne moisson. Une télé écran plat gigantesque (disons un petit écran de cinéma) avait été oubliée mi-décembre. Neuve et seulement protégée. "Dans ces cas-là, on essaie de récolter, en fonction de l’endroit où l’objet a été retrouvé, un maximum d’informations sur son possible propriétaire. nous explique Lesse, du Lost&Found. Cette immense télé a été oubliée au check-in, sans doute devant les bureaux d’enregistrement de la compagnie Emirates". Lesse a fait des recherches sur cet objet qu’il côtoie depuis deux mois dans la salle coffre-fort des objets trouvés. "Sans doute le passager s’est-il rendu compte que son paquet était hors normes et, pas gêné par la valeur de l’objet, s’est dit qu’il en rachèterait une en arrivant à la maison…".

Des objets et des histoires

Parmi les ukulélés, les parasols, les sacs de couchage et les toiles de tente (oubliés en été au moment des festivals), certaines histoires indiquent en négatif les existences des gens qui les ont possédés. Belinda raconte les larmes d’une femme qui retrouva au Lost&Found une petite gourmette de rien du tout… Avec pour inscription "petite sœur". "Cette femme a pleuré lorsque nous lui avons rendu sa gourmette, elle était le souvenir de sa sœur disparue".
Autre histoire, autre détail : "Un jour, nous avons retrouvé au screening un petit frigo box avec du lait maternisé. Très rapidement les voyageurs se sont rendu compte de leur oubli et nous ont appelés pour faire rapatrier ce lait maternel, coûte que coûte". Belinda se souvient : "Était-ce pour un tout jeune bébé séparé de sa maman ?"…
Les histoires des objets racontent les histoires des gens.

Quid des objets de valeur ?

Les objets de valeur – soit les ordinateurs et tablettes; les GSM ; les portefeuilles et les sacs contenant du cash sont conservés dans une pièce distincte et fermée à clef(s).
Chose étonnante, malgré leur valeur intrinsèque pour les passagers, ces objets n’en sont pas moins perdus en grande quantité.


Sur le seul mois de janvier, 37 téléphones avaient été oubliés, et 95 documents d’identités. Il ne restait plus que 10 ordinateurs perdus au mois de janvier (car c’est un objet pour lequel il y a une forte demande de restitution. Les voyageurs se rendent vite compte de leur oubli et le screening est toujours le lieu où ils l’ont laissé).
Par contre, nous étions le 20 février et déjà le service Lost&Found, comptait 18 ordinateurs, alignés dans le coffre-fort, comme on range des livres dans une bibliothèque.

Comment les récupérer ?

Les pièces d’identité sont gardées un mois à Zaventem, après quoi elles sont renvoyées à la commune ou au consulat, émetteurs du document officiel. Quant aux portables, GSM, tablettes et portefeuilles avec cash, ils sont stockés quatre mois au service Lost&Found.
L’argent perdu n’est jamais rendu en liquide mais par virement.

Les mois des têtes de linotte

Juillet et août, près de 900 objets sont perdus ou oubliés par les passagers, contre 600 en moyenne.
Les familles qui voyagent sont le public qui fait monter les statistiques. On retrouvera ainsi nombre de valisettes d’enfants; de grosses peluches qui ne passent pas dans le sac de Maman - et qu’on oubliera donc sur une chaise d’embarquement - ; mais aussi une somme infernale de poussettes. - "Où est la poussette ? - C ’est toi, Chéri qui avait la poussette - M ais non, puisque c’est toi. - Tiens, on dirait qu’on a oublié la poussette…"
Sachez que votre poussette vous attend sagement pendant quatre mois au service Lost and Found de Zaventem, et qu’elle vous sera restituée gratuitement.

Pratique

Pour savoir si votre objet est resté coincé à cet endroit, remplissez un formulaire en ligne sur www.instafilereporting.com/submit-claim. Les réponses sont très rapides.
Les objets non réclamés – et dépersonnalisés, notamment pour les téléphones et ordinateurs – sont revendus au profit d’associations caritatives. C’est sur le site www.appelboomonline.be que l’on trouvera les objets en question à la revente, à prix d’ami. À noter, si vous avez oublié votre fétiche dans l’avion, c’est auprès de la compagnie aérienne qu’il faudra le réclamer.

Et à la Stib ? Et à la SNCB ?

En 2018, entre 15 000 et 20 000 objets ont été égarés et oubliés dans le réseau Stib. Près de 8900 ont été encodés dans le système. Parmi ces objets encodés, environ 27 % ont été restitués aux voyageurs.
En 2017, on faisait mention de 16 000 objets égarés sur le réseau. Environ 8 000 de ces objets avaient été enregistrés seulement, car une partie d’entre eux est plus difficile à répertorier dans les détails (bonnets, gants, écharpes). Et si vous oubliez vos sacs de course sur le réseau, pas possible de les récupérer non plus : les denrées alimentaires périssables ne sont pas conservées au service des objets trouvés.
Parmi les objets les plus fréquemment perdus, sans surprise : les portefeuilles, les GSM et… les cartes Mobib. Plus insolite, les artistes qui oublient leur portfolio et leurs œuvres d’art. Des oublis aussi de guitare, de clarinette… Et puis cette toge d’avocat, une prothèse de jambe, une friteuse remplie d’huile (sûrement volontairement oublié quand le propriétaire se rendit compte qu’elle était fin pleine)... et l’étui d’un chef d’orchestre de Cologne. Des têtes de linotte en tout genre. Et du côté pratique :
- Vous avez perdu un objet facilement identifiable dans une station ou un véhicule de la STIB ? Vite, un coup de fil au 070.23.2000 ou un clic sur le formulaire sur www.stib.brussels. Les objets sont restitués après présentation de la carte d’identité et le paiement de 5 €.

30 000

C’est, environ, le nombre d’objets retrouvés dans les trains et les gares de la SNCB chaque année. La SNCB propose de remplir un formulaire en ligne, le plus détaillé possible, pour qu’il y ait une rencontre entre la montagne d’objets retrouvés et la description que vous pourriez faire de votre fétiche égaré. Pendant sept jours, l’objet oublié vous attend patiemment à la gare où vous l’avez laissé, et puis, ensuite, part dans l’une des 23 gares dépôts de la SNCB. C’est au-delà de ces sept jours que vous devrez payer 5  € pour le récupérer.
Et alors, qu’oublie-t-on dans les trains ? Les classiques GSM ; boîtes à tartines ; sacs de gym et aussi des cahiers d’écoliers – qui cherchaient sans doute à réviser, et qui sont descendus en trombe, en oubliant ledit cahier, après s’être endormis sur leur leçon. Un classique aussi.
Elisa Roux, porte-parole de la SNCB, ajoute avec humour : “Nous pourrions créer un orchestre complet avec tous les instruments de musique que nous retrouvons”.