Victor Lustig

L'escroc qui a vendu la tour Eiffel... deux fois !

On lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Il aurait trouvé un moyen d’en faire de l’argent. Voici à peu de choses près comment on pourrait résumer le style de Victor Lustig.

Au cours de sa carrière, l’homme a réussi, dit-on, à arnaquer Al Capone et à vendre la tour Eiffel… deux fois ! Armé d’un culot monstre et d’un bagout hors du commun, l’arnaqueur aux dizaines d'identités s’est forgé un C.V. des plus impressionnants ; ce qui n’a pas manqué de mettre le FBI sur sa piste. “Il était aussi insaisissable que la fumée d’une cigarette et aussi charmant qu’un rêve de jeune fille”, se souvient un agent américain du Secret Service, qui a eu affaire à lui

Mais qui est réellement Victor Lustig, ce gentleman escroc, amoureux des belles femmes et de l’argent facile? Entre légendes et vérités, plongez dans l’incroyable histoire de ce garçon pas comme les autres.  

La naissance d'un as de l'arnaque

La Bretagne, l'un des paquebots de la compagnie Transatlantique. (c) Wikipedia

La Bretagne, l'un des paquebots de la compagnie Transatlantique. (c) Wikipedia

Battery Park et le Financial District de New York dans les années 20.

Battery Park et le Financial District de New York dans les années 20.

Si certaines zones d’ombre subsistent encore dans l’histoire de Victor Lustig, ceux qui se sont intéressés à lui s’accordent à dire que ses premières escroqueries d’envergure ont commencé sur un paquebot de luxe de la compagnie Transatlantique. Nous sommes en 1912. L’arnaqueur n’a que 22 ans, mais déjà quelques larcins et séjours en prison à son actif.

Sur ce bateau, il se fait connaître sous l’identité du “Comte Victor Lustig”. Le jeune adulte, qui n'est pas complètement sans le sou, est pourtant loin de faire partie de la noblesse. Selon ses propres aveux, recueillis des années plus tard lors d’interrogatoires, il serait issu d’une famille bourgeoise de l’empire austro-hongrois. Mais sur des papiers retrouvés dans sa cellule, il écrit au contraire que ses parents “avaient toujours été les plus pauvres du monde”. Comme toujours avec les menteurs compulsifs, la vérité doit se trouver quelque part entre les deux. Ce que l’on sait avec certitude, en revanche, c’est que Victor Lustig est né le 4 janvier 1890, au cœur de la région de Bohême, dans la ville d’Hostinné plus précisément. Il était le deuxième enfant d'une fratrie de trois.

S'il a quitté l'école très jeune, il est également certain qu'il avait des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne étant donné qu’il a fini par parler couramment cinq langues, dont l’anglais, le français et l’italien. Malgré un "esprit vif", le jeune garçon n’a pourtant jamais souhaité faire de grandes études. Ce qui l’intéressait, lui, c’était de s’enrichir, et très vite. En arnaquant les clients fortunés d’un bateau de luxe par exemple…

Sur le paquebot Transatlantique, il triche au baccara, au poker et au craps. Il gagne beaucoup d’argent et attire des joueurs toujours plus riches. On apprécie la compagnie du comte, on veut défier ce chanceux impertinent, mais si cultivé, si distingué, si charmant”, note Eric Yung dans son livre “Escroqueries légendaires”. Où a-t-il acquis de tels talents aux cartes? S’est-il formé avec un magicien ou est-ce le résultat de plusieurs années à escroquer des gens dans la rue suite à la séparation de ses parents? En tous les cas, comme l’explique le magazine True Detective Mysteries, Lustig “pouvait faire n’importe quoi avec un paquet de cartes”. 

Malheureusement pour lui, sa juteuse arnaque prend l’eau lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. A ce moment-là, l’heure n’est plus aux croisières de luxe, il tente donc sa chance aux Etats-Unis.

Ce séjour au pays de l'Oncle Sam lui permet de rencontrer les plus grands criminels de l'époque, de perfectionner ses arnaques mais aussi de trouver l'amour. En 1919, à New York, le terrible arnaqueur épouse Roberta, une jeune fille issue du Kansas. Trois ans plus tard, ils deviennent les parents d'une petite fille, Betty Jean. Ce mariage n'empêchera toutefois jamais Victor de multiplier les aventures, notamment avec Billie Mae Scheible, une matrone américaine à la tête d’un réseau de prostitution. Toute sa vie durant, Victor Lustig ne pourra s’empêcher de s’entourer de belles femmes. Un “vice” qui lui vaut plusieurs fois des ennuis, notamment lorsque le mari d’une de ses conquêtes lui assène un coup de couteau au visage dans un café parisien alors qu'il est encore adolescent. S’il doit à la France l’existence d’une belle balafre à la joue gauche, il lui doit aussi l’une de ses plus "belles" arnaques : la vente de la Tour Eiffel. 

La vente de la tour Eiffel

En effet, Victor Lustig est aujourd'hui connu comme "l'homme qui a vendu la tour Eiffel", non pas une, mais deux fois ! Un épisode de sa vie qui a souvent été romancé, contribuant de ce fait à renforcer son aura.

Nous sommes en 1925. Lustig quitte les Etats-Unis pour rejoindre la France en compagnie d'un de ses complices. Alors qu'il est attablé à un café, Lustig tombe par hasard sur un article de journal. L'auteur y explique que la tour Eiffel - qui aurait dû être démontée après l'Exposition universelle de 1889 - coûte plus cher que prévu à entretenir. Le journaliste termine son article par une boutade. "Faudra-t-il vendre la tour Eiffel?". Il n'en faut pas plus pour donner des idées au machiavélique escroc.

Depuis l'hôtel de Crillon, place de la Concorde, Lustig écrit à plusieurs ferrailleurs en se faisant passer pour un fonctionnaire du ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) et leur donne rendez-vous à l'hôtel. Là, il leur explique une affaire "très secrète" : le gouvernement français va démonter entièrement la tour Eiffel. Pour se débarrasser des matériaux de construction, il lance donc un appel d'offres aux "meilleurs ferrailleurs de la région".

Parmi les six ferrailleurs, un homme attire immédiatement l'attention de Lustig. Il s'agit d'André Poisson, "un patron peu méfiant et avide de réussite", écrit Eric Yung. Une cible parfaite. Lustig va convaincre Poisson de lui verser un pot-de-vin afin de s'assurer de remporter le marché. Convaincu que les grosses affaires se concluent de cette manière, Poisson est rassuré et accepte la proposition. Bien évidemment, Lustig et son complice s'enfuient aussitôt à l'étranger avec le magot. Mais, bizarrement, ils ne seront jamais inquiétés. "Trop honteux", André Poisson renonce à porter plainte. Selon certains, l'homme riche n'aurait pas perdu beaucoup d'argent dans l'histoire et ne souhaite pas écorner son image en avouant qu'il s'est fait duper.

Peu de temps après, les deux compères reviennent donc en France afin de retenter l'expérience. Mais leur nouvelle cible ne se laisse pas faire. Après s'être rendu compte de la supercherie, elle les menace de les dénoncer à la police. Ils sont donc contraints de prendre la fuite à toute vitesse, et sans argent.

Victor Lustig (c) Courtesy of Jeff Maysh

Victor Lustig (c) Courtesy of Jeff Maysh

Si l'histoire de l'incroyable vente de la Tour Eiffel est toujours racontée de cette façon, l'écrivain Jean-François Migniac, auteur du livre "Affaires d'Etat, affaires privées" tient à remettre les choses en perspective. “Quand on va aux archives nationales, on ne trouve aucune source concernant la vente ou les différents protagonistes. Pas de traces de journaux, pas de traces d’André Poisson”, déclare-t-il sur le plateau de l'émission "Visites privées".

Qu'elle soit en partie inventée ou non, cette escroquerie reste en tout cas à jamais liée au nom de Victor Lustig. Tout comme celle mettant en scène... Al Capone en personne.

(c) Shutterstock

(c) Shutterstock

La tour Eiffel est composée de 18.038 pièces de fer qui pèsent plus de 7.300 tonnes ! (c) Shutterstock

La tour Eiffel est composée de 18.038 pièces de fer qui pèsent plus de 7.300 tonnes ! (c) Shutterstock

La déchéance du "Houdini" de l'arnaque

Al Capone, en 1931 (c) reporters

Al Capone, en 1931 (c) reporters

Le "Manhattan Detention Complex" (c) Paulo JC Nogueira

Le "Manhattan Detention Complex" (c) Paulo JC Nogueira

L'île qui héberge la prison fédérale d'Alcatraz (c) Shutterstock

L'île qui héberge la prison fédérale d'Alcatraz (c) Shutterstock

Au cours de son séjour aux Etats-Unis, Victor Lustig serait en effet parvenu à escroquer Al Capone, le célèbre patron de la pègre. Mais les histoires relatant l'arnaque diffèrent. Dans son livre, Eric Yung explique que Lustig aurait volé 600.000 dollars à Al Capone afin d'investir dans un bâtiment de Chicago. Etant donné que ce bâtiment servait à loger les pauvres, Capone aurait "pardonné" à Lustig. Pour Jeff Maysh, auteur du livre "Handsome Devil" - qui retrace toute la vie de Lustig - l'escroc aurait demandé 20.000 dollars à Capone puis, sous la pression, les lui aurait rendus. Le patron de la pègre, ému de l'honnêteté de Lustig, lui aurait donné 5.000 dollars pour la peine. Mais, comme l'explique Jeff Maysh, "personne ne peut prouver si cette histoire est vraie ou fausse".

En revanche, ce qui est certain, c'est que Lustig connait bel et bien le succès aux Etats-Unis, en vendant une "boite magique" capable de répliquer les billets de banque. Si le principe de la boite n'a pas été inventé par lui, il la vend avec succès pendant des années. "Lustig expliquait à ses victimes qu'il suffisait d'insérer un vrai billet d'un côté et un papier vierge de l'autre. Et qu'il fallait ensuite attendre de 12 à 18 heures que le billet se duplique. Bien entendu, tout cela était faux". Après avoir convaincu la victime en utilisant de vrais billets de 100 dollars maquillés pour qu'ils aient le même numéro de série, Lustig prend la fuite avec l'argent de la vente. "L'avantage d'avoir instauré un temps d'attente aussi long est que Lustig pouvait filer dans un autre Etat avant que la victime se rende compte qu'elle avait été arnaquée", peut-on lire dans l'ouvrage de Jeff Maysh.

La fiche du FBI consacrée à Victor Lustig (c) Courtesy of Jeff Maysh

La fiche du FBI consacrée à Victor Lustig (c) Courtesy of Jeff Maysh

Mais le krach de 1929 met brusquement à mal ses affaires. Comme beaucoup, Lustig subit la crise de plein fouet et ne parvient plus à vendre autant de boites qu'avant. Pour garder son train de vie, il se met donc à fabriquer sa propre fausse monnaie, en s'entourant de plusieurs complices. Ensemble, ils injectent plusieurs millions de dollars contrefaits sur le marché américain, ce qui met bien évidemment le FBI sur leur piste. Les autorités craignent que toute cette fausse monnaie, très bien réalisée de surcroît, "renverse l'économie américaine", déjà très touchée par la crise.

Pendant des années, les forces de l'ordre tentent de mettre la main sur Lustig. Selon plusieurs sources, l'escroc aurait été arrêté 47 fois au cours de sa vie, mais il serait toujours parvenu à ressortir libre, faute de preuves.

En mai 1935, il est à nouveau arrêté et incarcéré au New York’s Federal House of Detention. Cette fois, les preuves ne manquent pas. Il y reste donc pendant plusieurs mois. Mais alors que Peter Rubano, l'agent du FBI qui avait fait de l'arrestation de Lustig une priorité, pense enfin avoir terminé son job, l'escroc parvient encore une fois à s'enfuir. A l'aide de draps noués, Lustig passe par la fenêtre et, devant des passants médusés, se fait passer pour un laveur de vitres... avant de s'évanouir dans la nature.

Il faudra attendre septembre 1935 pour qu'il soit arrêté pour de bon grâce à un informateur anonyme. A l'heure actuelle, on ne sait toujours pas s'il s'est fait trahir par son amante, Billie Mae Scheible, ou par le nouveau mari de son ex-femme, Roberta. Mais selon Jeff Maysh, il est clair que "ce sont les femmes de sa vie qui l'ont conduit à sa perte".

Durant son procès, il est reconnu coupable d'avoir mis en circulation plus de 2 millions de dollars en fausse monnaie et de s'être échappé d'une prison fédérale. Il est condamné à 20 ans de prison. En avril 1936, Lustig est transféré à Alcatraz, la plus célèbre prison des Etats-Unis. Il y restera 10 ans.

Durant son séjour, le prisonnier se plaint constamment de problèmes respiratoires. Mais les gardes, persuadés qu'il ment, ne le croient qu'au bout de plusieurs années. En 1946, Lustig est finalement transféré vers une prison de Springfield, dans le Missouri. Il y décédera le 11 mars 1947, à l'âge de 57 ans.

Sa fille, Betty Jean, qui lui a rendu visite jusqu'à la fin, garde de son père le souvenir d'un homme "qui mettait en lumière les méfaits des personnes qu'il arnaquait". Dans ses mémoires, elle décrit les victimes de son père comme les "vrais méchants de l'histoire". Une vision de la réalité certainement déformée par l'amour qu'elle avait pour lui.

Pourquoi les arnaqueurs nous fascinent-ils tant?

"Les représentations qu’on se fait d’une activité, d'une personnalité ou d’un événement particulier proviennent à la fois de notre vécu, mais également de ce qu'on a vu dans des oeuvres de fiction. Dans le cas de l'arnaqueur, cela peut très clairement être mis en lien avec la fiction", explique Sarah Sepulchre, professeur à l'Ecole de Communication de l'UCLouvain.

"Dans les fictions, les arnaqueurs sont souvent des personnages relativement positifs : ils sont beaux, séducteurs, drôles, rebelles. Tout cela crée une aura autour d'eux", poursuit l'experte en culture médiatique qui cite l'exemple de Patrick Jane (Simon Baker) dans "Le mentaliste", Frank Abagnale Jr (Leonardo DiCaprio) dans "Arrête-moi si tu peux" ou encore Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc.

"Les arnaqueurs sont généralement les personnages principaux. Ce sont eux qu'on suit, on finit donc par leur trouver des excuses, par comprendre pourquoi ils agissent comme cela. Une empathie se crée. Dans les oeuvres de fiction, les arnaqueurs ne font pas beaucoup de mal. Il y a des victimes, mais l'oeuvre est écrite de telle manière à ce qu'on se dise que les victimes l'ont bien cherché. Même si les moyens qu'ils utilisent ne sont pas les bons, les arnaqueurs de fiction ont des valeurs auxquelles on peut se raccrocher. S'ils arnaquent, c'est souvent pour se jouer d'un système qu'on n'apprécie pas toujours ou pour sauver la veuve et l'orphelin."

Fiction vs. réalité

Dans la vraie vie, les arnaqueurs ne sont bien sûr pas comme ça. "Les vrais arnaqueurs ne sont pas des personnages romantiques un brin rebelle, ce sont des personnes qui utilisent les failles de nos systèmes pour voler le grand public. Cela peut se faire par internet, par des demandes de dons ou via le porte-à-porte. C’est moins glamour", explique l'experte, qui précise que, quand on est soi-même victime d'une arnaque, notre perception des choses change inévitablement. "Quand ça nous arrive, on est dans la position de la victime. On n'est plus en empathie avec eux, mais avec nous-même. On se rend compte des conséquences économiques et psychologiques de ces arnaques", explique Sarah Sepulchre.

Quant à savoir si les fictions sont dangereuses, l'experte ne le pense pas, même si elle reconnaît que "les fictions déforment parfois l'image qu'on peut avoir de certaines choses, par exemple des arnaqueurs ou des violeurs". Mais, pour elle, il ne faut pas oublier que les fictions servent avant tout à divertir. "Même si certaines fictions vont arriver à faire passer des messages, à livrer une analyse pointue de notre société ou à éduquer, leur but est avant tout de divertir, pas de rendre compte des faits de façon exacte. En tant que spectateur, on a aussi des responsabilités. L’une d’entre elles est de se demander ce qu’on est en train de regarder. On ne peut pas le faire tout le temps mais il ne faut pas totalement perdre notre oeil critique quand on est devant une fiction."

Patrick Jane (Simon Baker) dans "Le mentaliste".

Patrick Jane (Simon Baker) dans "Le mentaliste".

Dans "Catch me if you can", Leonardo Dicarpio incarne Frank Abagnale Jr, un ancien faussaire américain, reconverti consultant en sécurité

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Arsène Lupin, le "gentleman cambrioleur" de Maurice Leblanc

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Sources
MAYSH J., Handsome Devil, Kindle Single, 2016.
YUNG E., Escroqueries légendaires, Editions Cherche Midi, 2016