Vendredi 13, homosexualité, fortune :

pourquoi les templiers interpellent toujours autant

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Malgré une existence éphémère, l’ordre du Temple a irrémédiablement marqué les esprits. Entre mythes et légendes, trésors et malédictions, les Templiers ont fait l’objet de nombreux récits et adaptations cinématographiques qui n’ont qu’amplifié le mystère qui les entoure et gonflé la curiosité qu’ils suscitent.

Fondé au début du 12ème siècle dans le cadre des croisades, l’ordre, bien qu’adulé par une grande partie de la population, ne subsista pas plus de deux cent ans. Rencontrant une fin tout aussi tragique que fulgurante au 14ème siècle, il laissa derrière lui des secrets qui à ce jour encore suscitent l’intérêt des chercheurs, voire de personnes moins bien intentionnées…

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Toujours aux prises à de violentes tensions, Jérusalem fut de tout temps l’objet de hautes convoitises. Alors que les Turcs reprennent la Terre sainte aux mains des Arabes en 1071, ces derniers en interdisent l’accès à l’ensemble des chrétiens. Ainsi débutent les croisades. Ces batailles, initiées par le pape Urbain II en vue de reconquérir le lieu de pèlerinage que constitue Jérusalem ainsi que ses accès, s'étendent sur plusieurs siècles et font couler quantité de sang.

C’est dans ce sombre contexte que va progressivement voir le jour l’ordre du Temple. En effet, alors que les chrétiens reprennent Jérusalem aux mains des Turcs le 15 juillet 1099 et que sont ainsi créés les Etats latins d’Orient, les représailles des musulmans sont redoutées. Les territoires conquis doivent être protégés. Bien que de nombreux croisés aient déjà pris le chemin qui les ramènera chez eux, certains décident de demeurer en Terre sainte et de se soumettre à un style de vie presque monastique tout en veillant au maintien de l’ordre et à la protection des chrétiens. C'est ainsi que l'ordre voit le jour. Leur nombre augmentant et se voyant comme des sortes de chevaliers au service de Dieu, les Templiers sont sollicités par le roi de Jérusalem qui comprend immédiatement le rôle qu’ils peuvent jouer. Il leur faudra cependant attendre neuf ans pour que l’Eglise les reconnaisse et leur apporte son soutien. Consolidés dans leurs convictions et leur détermination par cette main tendue des plus grandes figures de la chrétienté de l’époque, les chevaliers de l’ordre du Temple ne reculent devant rien pour protéger les pèlerins catholiques et font régner la paix dans les terres conquises avec une main de fer.

Les "premiers capitalistes"

Véritable “armée” de l'Église commandée par un Grand Maître, les Templiers ne suscitent pas l’indignation du peuple, bien au contraire, malgré la contradiction flagrante entre leurs actes violents et leur statut d’hommes de Dieu. L’ordre s’enrichit très rapidement, fruit du succès que ce dernier rencontre. Des dons en tout genre leur parviennent et les Templiers se retrouvent très vite à la tête d’un important patrimoine constitué de terres, de reliques et d’or amassé grâce aux différentes taxes qu’ils sont autorisés à prélever sur leurs terres. L’histoire raconte que le roi d’Aragon souhaitant montrer son adoration aux Templiers aurait été jusqu’à vouloir leur léguer son royaume. Considérés par certains comme les “premiers capitalistes”, les Templiers exploitent leur terre, échangent et prêtent de l’argent. Leur façon de gérer leurs affaires aurait même donné naissance aux premiers “chèques”.

Mais même si leurs richesses semblent similaires à celles des autres ordres religieux, les nombreux privilèges qu’ils acquièrent grâce à leur dépendance directe au pape suscitent très vite la convoitise. Victime de son succès, l’ordre commence à attirer les regards envieux de certains hommes d’Eglise ainsi que ceux de nombreux chefs d’Etat. Un en particulier: Philippe le Bel. Le roi de France s’était vu excommunier par le pape Boniface VIII suite à l’agression de ce dernier dans son palais par les troupes du souverain. Il garde donc une certaine rancœur envers l’Eglise et trouve dans l’ordre du Temple la cible parfaite pour exercer sa vengeance. Riches, puissants et de plus en plus nombreux (environ 15.000 au 14e siècle), les Templiers constituent une véritable menace pour Philippe le Bel qu’il se doit d’éradiquer.

La malédiction du vendredi 13

La fin tragique que va connaître l’ordre fait écho à l’immense succès qu’il a rencontré pendant son existence - certes, brève, mais non moins prolifique. Le roi de France organise ce qui constitue toujours de nos jours le plus grand coup de filet de l’histoire. Tous les Templiers aux quatre coins du royaume sont arrêtés le vendredi 13 octobre 1307, donnant naissance à la légende du “vendredi 13” synonyme de malchance et de malheur. Le motif de ces arrestations continue de faire débat. Les chevaliers du Temple sont accusés d’hérésie. Philippe le Bel pointe surtout du doigt les pratiques douteuses de l’ordre au cours de son rituel d’initiation, faisant notamment allusion à des actes homosexuels tels que la sodomie et le baiser sur la bouche. Les Templiers se seraient également rendus coupables de blasphème en adorant une tête d’idole et en crachant sur la croix.

S’il reste compliqué de démêler le vrai du faux, plusieurs historiens se sont essayés à des explications rationnelles de ces accusations. En ce qui concerne le baiser sur la bouche, il s’agissait surtout d’une façon pour l’initié de se soumettre entièrement à l’ordre selon certains. Pour ce qui est de la sodomie, des chercheurs avancent que la rumeur se serait propagée en raison de l’obligation qu’avaient les Templiers de partager leur couche avec un confrère de passage si aucun autre lit n’était libre. Enfin, l’adoration d’une tête d’idole serait intimement liée à la prédilection de ces chevaliers pour les reliquaires en forme de tête. Même si des actes blasphématoires auraient pu avoir lieu dans certaines commanderies et qu’il est bien possible que certains Templiers aient été forcés de cracher sur la croix, aucune preuve tangible n’a jamais été apportée et le procès qui a été fait à l’ordre ne se base que sur des rumeurs, des bruits de couloir constituant une aubaine pour ceux qu’il dérangeait. Parce que, même s’il fut longtemps adulé, après la chute des dernières villes croisées, beaucoup remettent en question la réelle utilité de ce dernier.

Nombre des chevaliers arrêtés vont toutefois admettre, contre leur gré, s’être prêtés à ces pratiques hérétiques. C’est le cas notamment du Grand Maître de l’ordre, Jacques de Molay, qui, également interpellé le 13 octobre, se livre à des aveux après de longues heures de torture. Le pape va longtemps essayer de trouver une solution au triste sort réservé à l’ordre, mais c’est sans compter sur la détermination et l’ambition de Philippe Le Bel. Le roi de France met l’homme d’Eglise devant le fait accompli: soit il désavoue les Templiers, soit la France prend ses distances avec le Saint-Siège. Il n’en faudra pas plus pour convaincre Clément V de supprimer l’ordre sans pour autant le condamner, après quatre années de procès. Si beaucoup des chevaliers sont libérés, le Grand Maître est quant à lui exécuté après être revenu sur ses aveux et avoir clamé haut et fort que l’ordre du Temple est et a toujours été pur. La légende raconte que Jacques de Molay aurait maudit le roi de France ainsi que le pape alors qu’il brûlait sur le bûcher. Le fait que les deux protagonistes soient morts quelques mois plus tard n’a fait qu’alimenter le mythe de la malédiction des Templiers.

Un emblème pour les extrémistes

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C’est d’ailleurs en partie grâce à ces zones d’ombre et ces légendes qui entourent l’ordre que ce dernier a acquis autant d’importance dans la mémoire collective et fait toujours couler énormément d’encre. Entre leur trésor disparu et la “malédiction” prononcée par Jacques de Molay, les Templiers continuent de faire rêver. “Il y a différentes raisons à cela, détaille Alain Dierkens, professeur d’histoire du Moyen Age à l’ULB. Tout d’abord et tout simplement, le monde des chevaliers fait fantasmer. Ensuite, il y a cette fascination pour une construction politico-religieuse à la fin injuste. Enfin, il y a bien entendu, toutes les légendes qui entourent les Templiers comme celle du Saint-Graal (NDLR: la coupe dans laquelle aurait bu le Christ au cours de la dernière Cène et dont l'ordre aurait hérité), qui ont participé à la création du mythe qu’ils représentent”.

Mais si tout ce qui est dit à leur sujet n’est pas forcément vrai, ils n’en ont pas moins profondément marqué l’histoire du Moyen Âge. “Ils ont eu un impact considérable car ils ont ouvert la voie à ce type d’ordre religieux, explique Alain Dierkens. Ils ont été la première organisation d’une telle sorte, c’est-à-dire un ordre religieux dépendant du pape dans lequel l’usage des armes dans un but pieu est légitimé et encadré”. Mais au-delà du côté révolutionnaire de cette “armée de Dieu”, il y a également les relations diplomatiques qui ont été permises par les Templiers . “Ils ont joué le rôle de passerelle et ont effectué des transmissions que ce soit d’informations, d’argent, ou autres entre les Etats latin en Terre sainte et la France ainsi que l’Angleterre”, précise le professeur de l’ULB.

Fins diplomates, ils étaient aussi de véritables guerriers, prêts à prendre les armes face à tout ennemi du Christ. “C’est cet image de chevalier au service de la religion, d’une foi chrétienne pure qui suscite l’intérêt de certains extrémistes religieux”, explique Alain Dierkens. Ces dernières années, certains ont en effet essayé de “ressusciter” les Templiers, de se revendiquer membre de cet ordre religieux pourtant éteint depuis longtemps ou du moins se servir de leur symbolique. C’est le cas de Anders Behring Breivik en Norvège qui a massacré 77 personnes, se disant en guerre pour protéger l’Europe “contre l’invasion musulmane”. Ce dernier a fait mention à son procès d’un réseau de militants nationalistes appelé “les Chevaliers Templiers”. “Cette reprise de l’ordre s’explique par l’emblème qu’il représente, c’est-à-dire un ensemble de guerriers qui consacrent leur vie à une croisade permanente, approfondit Alain Dierkens. C’est une façon pour eux de se placer comme des combattants occidentaux qui défendent les valeurs traditionnelles”.