Une journée avec les pompiers de Liège

"Avec le coronavirus, au moins, il n'y a pas de mauvaise surprise"

Dans une Belgique mise à l’arrêt par le virus, les sapeurs-pompiers ont été confrontés à une baisse conséquente de leur travail. Jusqu’à ce qu’on fasse appel à eux pour prendre en charge des personnes potentiellement contaminées par le Covid-19. Les hommes du feu liégeois - avec qui La Libre a passé une journée dans le cadre de son dossier « Dans le secret des lieux » - sont préparés à faire face à des maladies infectieuses ainsi qu'aux procédures de décontamination. Une expérience précieuse face à une maladie encore méconnue.

Commande d'américains-frites pour midi, de pizzas ou de moules pour le soir, l’ambiance décontractée des bureaux du numéro 5 de la rue Ransonnet contraste avec le sérieux des interventions et le désastre libanais qui défile en continu sur l’écran de télévision. Perron, flamme et casque sur le badge qui brode l’épaule droite, les sapeurs-pompiers du peloton I/1 s’activent pour vérifier le matériel laissé par les collègues de la garde précédente. Les moteurs vrombissent. Les lances aspergent le sol. Les échelles descendent et remontent. Les sirènes résonnent dans le quartier festif d’Outremeuse. Il est 8h30. « On est des voisins bruyants, admet le Capitaine Belaire. Ce n’est pas toujours facile pour le reste du quartier. »

Quatre étages plus haut, le bureau de la hiérarchie. Le Capitaine Olivier Giust, médecin de formation, détaille l’impact de la crise sanitaire actuelle sur le travail des hommes du feu liégeois. Dans une Belgique mise à l’arrêt, ils ont eu moins de travail. « Dans un premier temps, les interventions ont chuté de manière importante. Les accidents de vélo, moto et voiture se sont faits rares. Les accidents de travail n’ont plus eu lieu vu que les gens ne travaillaient plus ou depuis chez eux. Et les magasins de bricolage étant fermés, certaines activités à risques n’étaient plus possibles non plus. »

Et puis, les pompiers ont pris en charge des patients potentiellement contaminés par le Covid-19 et les interventions en ambulance se sont multipliées. « Étant donné qu’on avait déjà l’équipement adéquat, on a pu rapidement réagir. » Pas de problème de masques chez les pompiers ? « À un moment, comme partout, on a contrôlé très drastiquement notre matériel, mais nous ne sommes jamais tombés à court et nos hommes en première ligne ont toujours travaillé protégés », assure le Capitaine Giust. Les six zones de secours de la Province de Liège ont dû collaborer. Une gestion supra-zonale a été mise en place par les services du Gouverneur de la Province pour gérer les stocks en fonction des besoins. Un don d’une société qui utilise des salopettes de protection a également permis de renflouer les réserves des secouristes.

Au mois d’avril, le SPF Santé Publique a lancé quatre ambulances spécifiquement dédiées au coronavirus sur la province de Liège, dont une à la caserne de la Zone 2 IILE-SRI. Dans ces véhicules, le personnel savait dès l’alerte qu’il partait pour une suspicion de cas de Covid-19 et non autre chose. Il pouvait donc enfiler les combinaisons, lunettes, visières, masques, doubles paires de gants et couvre-chaussures nécessaires. John Longton, sapeur-pompier et ancien militaire, s’est porté volontaire pour gonfler les rangs des ambulanciers. Une table plus loin, normes sanitaires obligent, il revient sur ces deux mois particuliers. « On sortait une dizaine de fois sur une garde de 24 heures et on s’est vite rendu compte que ce virus n’était pas une blague mais savoir où on va, c’est vachement rassurant ». Car, la plupart du temps, les pompiers découvrent l’ampleur des risques sur le lieu de l’intervention. « Lorsqu’on passe la porte d’un bâtiment en feu, on ne sait ni ce qu’on va trouver de l’autre côté, ni comment la situation va évoluer. Dans un incendie, on ne voit pas notre propre main et on espère que le sol est fiable. Lors d’une intervention sur l’autoroute, on n’est pas à l’abri non plus. Le manque de connaissances sur ce coronavirus a rendu les premières interventions particulières, parfois difficiles, mais il n’y avait pas de mauvaise surprise », précise l’ancien de la Défense qui se demande comment son métier actuel n’a pas encore été reconnu comme étant à risques malgré le marbre devant la porte en hommage à Alexandre, Mathys et d’autres confrères « victimes du devoir ».

Depuis le début de la crise sanitaire, de nouvelles mesures se sont ajoutées aux procédures de décontamination habituelles pour protéger au maximum les ambulanciers et les pompiers qui les accompagnent. Mais ces professionnels parfois confrontés à d’autres maladies infectieuses, comme la gale ou la tuberculose, sont habitués à faire attention. Au début des années 2000 déjà, l’ancien médecin de corps avait édifié une ligne de désinfection interne à la caserne, dont une travée de garage spécifique pour l’ambulance. Les pompiers y désinfectent le véhicule avant de se rendre dans des douches où ils entrent d’un côté et ressortent d’un autre.

À la même époque, le monde prend conscience que les pompiers sont exposés à une autre maladie, le cancer. Les tours sont tombées à New York et de nombreuses tumeurs sont diagnostiquées chez les soldats du feu américains qui ont survécu. Les scientifiques se sont alors penchés sur le lien entre le risque de maladie et la profession. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a finalement conclu que l’exposition professionnelle en tant que sapeur-pompier devait être répertoriée dans la classe 2B, c'est-à-dire qui peut être cancérogène. Les cancers incriminés sont ceux des ganglions lymphatiques, des testicules et de la prostate. « Équipés, les pompiers sont exposés à un risque limité face au contact avec les suies, les fumées ou autres émanations potentiellement cancérigènes. Le vrai problème, c’est lorsqu’on enlève nos tenues et protections respiratoires », insiste le Capitaine Emmanuel Belaire, spécialiste de la question.

Les inquiétudes se sont intensifiées en Belgique aux alentours de 2014, moment où les pompiers liégeois ont repensé leur habillement. « On a fait en sorte de ne plus remonter salis dans les véhicules et on a installé des laveries dans toutes les casernes pour nettoyer en permanence les équipements souillés », explique le Capitaine. Une fameuse révolution par rapport à l’époque où « un bon pompier était un pompier sale et où tous les casernements sentaient le feu ».

Alerte

« Votre attention, s’il vous plaît. Des sapins brûlent du côté de Bierset. Le feu menace les garages avoisinants ».

Le message n’est pas terminé que des pompiers enfilent leur pantalon préparé dans le vestiaire ou devant les portières des véhicules. Des collègues atterrissent au pied des rampes. Un chauffeur attrape le plan de route qui s’extirpe de l’imprimante et d’autres courent en enfilant de lourdes vestes jaunes. En moins de trois minutes, les camions se précipitent vers une colonne de fumée visible depuis les bandes de l’E42.

Lorsque que la situation semble être sous contrôle, certains hommes sont redirigés vers un feu de champs. Près de 28 000 litres d’eau potable y seront déversés pour s’assurer que le feu ne reprenne pas. Avant de se rasseoir dans les camions, les couches supérieures des vestes jaunes sont retirées grâce à des tirettes et les pompiers rentrent à la caserne en « pyjama », la couche inférieure. Les vêtements contaminés sont emballés dans des sacs hermétiques et ramenés jusqu’aux machines à laver par un véhicule spécifique qui suit les équipes sur les incendies.

Après Liège, ces tenues démontables ont équipé les pompiers de Zone de Secours Nage (Namur), Wallonie Picarde (Hainaut) et s’essaiment maintenant vers les zones Hesbaye, Hainaut-Est et Hainaut-Centre. D’après le Capitaine Belaire, personne n’était préparé à vivre la crise sanitaire actuelle mais les habitudes prises durant les années antérieures ont certainement aidé les pompiers liégeois à désinfecter correctement les équipements et véhicules lorsqu’on a eu besoin d’eux pour contenir le virus. Aujourd’hui, l’ambulance Covid-19 a été retirée mais les pompiers se tiennent prêts et s’attendent à la voir revenir si la situation épidémiologique se dégrade à nouveau.