Un volcan islandais est-il à l'origine de la Révolution française?

En 1783, l’Islande connaît sur son sol l’une des éruptions volcaniques les plus intenses de son histoire. Les conséquences désastreuses de cet épisode dépassent les frontières de l'île : très vite, toute l’Europe occidentale est en proie à des événements climatiques extrêmes. Un élément déclencheur de la Révolution française de 1789 ? Dans le cadre de son dossier « Il était une fois », LaLibre.be revient sur ce mystérieux épisode de l’Histoire.

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Le 8 juin 1783, le volcan Laki, situé au sud de l’Islande, entre dans une terrible éruption.

Après plusieurs siècles d’inactivité, force est de constater que le réveil de ce volcan est brutal : l’intensité de l’éruption est telle qu’elle crée une fissure de 27 km de long, sur laquelle se forme une suite de 115 cratères volcaniques. La lave crachée par ces cratères interconnectés se déverse à toute vitesse, et remplit rapidement deux grandes vallées, d’une surface de 565 km², soit près de quatre fois la superficie totale de la Région bruxelloise. « Le volume extrêmement important de lave qui a été vomi, estimé à environ 15km³, rend cette éruption complètement exceptionnelle », précise Karen Fontijn, vulcanologue à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). « Cela place l’éruption du Laki dans la même catégorie que d’autres grandes éruptions explosives telles que celle du volcan indonésien Tambora, en 1815 », poursuit l’experte. Le flux de lave continuera à se déverser inlassablement pendant près de huit mois, jusqu’en février 1784.

Quelques jours seulement après le début de l’éruption, d’importants volumes de gaz volcaniques, composés notamment de dioxyde de soufre, se dégagent dans l’air, jusqu’à 13 km de hauteur, atteignant ainsi la couche supérieure de l’atmosphère – la stratosphère. L’épanchement de ces gaz forme ainsi une espèce de nuage de pluies acides, surnommé le « brouillard du Laki ».

La fissure de 27 km de long.

La fissure de 27 km de long.

La fissure de 27 km de long.

Les vallées bordant le Laki sont aujourd'hui noircies par les importantes coulées de lave de 1783.

Les vallées bordant le Laki sont aujourd'hui noircies par les importantes coulées de lave de 1783.

Un impact national, européen… et même mondial

Les conséquences pour l’Islande s’avèrent dramatiques : près de 22% de la population de l’île décèdent des suites de l’éruption. « La plupart des décès ne résulte pas de l’éruption en tant que telle, mais plutôt des coulées de lave et des dégagements de gaz volcaniques toxiques, qui ont contaminé les sols et l’eau, intoxicant ensuite le bétail et les récoltes », explique Karen Fontijn. L’Islande est alors touchée par une famine, la plus importante que l’île connaîtra dans toute son histoire.
Mais les conséquences dramatiques de cette éruption ne s’arrêtent pas aux frontières de l’île. En raison de vents en provenance du Nord et de l’Ouest, le nuage de pluies acides se déplace vers l’Europe, et plus particulièrement vers l’Europe occidentale. S’ensuivent des épisodes climatiques extrêmes sur le vieux continent. « L’été de 1783 a été très chaud partout en Europe, et l’hiver qui a suivi a été particulièrement rude », détaille la vulcanologue. Les effets de l’éruption du Laki ont même été ressentis au-delà de l’Europe, jusqu’en Asie ou au Moyen-Orient : « Le Nil en Egypte a connu un débit moins important, et la circulation atmosphérique entre l’Asie et l’Europe a également été impactée, ce qui a influencé le cours des moussons », précise encore Karen Fontijn.

En Europe, les dérèglements climatiques se font surtout sentir en Angleterre, mais également en France. Dans ses notes personnelles, l’ancien ministre et botaniste français Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes fait part d’une situation exceptionnelle : « L'hiver de 1783-1784 était d'une rigueur épouvantable. Les églises, les ateliers, les lieux publics étaient fermés. Paris semblait désert. On ne rencontrait plus personne dans les rues. Les riches étaient réduits à brûler leurs meubles pour se chauffer. Les pauvres mouraient de froid dans leurs greniers ». Cette instabilité climatique persistera dans l’Hexagone encore durant plusieurs années, comme le confirme François Antoine, chef du service Archives de l’Etat à Bruxelles : « De 1783 à 1789, la France va connaître toute une série de dérèglements climatiques. On va notamment avoir des hivers rigoureux, une grêle, ou encore une sécheresse importante en 1788 ».

Famine, dettes et instabilité politique

Ces épisodes climatiques extrêmes, au-delà de la surmortalité qu’ils entraînent, détruisent les récoltes et compliquent le travail, déjà laborieux, des paysans. « A l’époque, la question du climat était une grande préoccupation car elle influait sur l’approvisionnement en denrées alimentaires », détaille François Antoine. « La période de 1783 à 1789 est marquée par des tensions assez fortes et une certaine angoisse, liée notamment à la spéculation sur le grain, qui crée une ambiance de complot et engendre pas mal d’agitation sociale », poursuit encore l’historien. Conjuguée à une augmentation démographique, l’inquiétude frumentaire grandit et entraine des réflexions, notamment sur une éventuelle redistribution des terres, à l’époque entièrement détenues par la noblesse et le clergé, et sur une volonté d’égalité fiscale, les impôts étant alors majoritairement payés par le tiers état.

De plus, au cours de la période prérévolutionnaire, la France s’affaiblit économiquement de par son implication directe ou indirecte dans plusieurs conflits, notamment la Guerre de Sept ans (1756-1763) et la Guerre d’Indépendance américaine (1775-1783). L’influence grandissante de la Grande-Bretagne sur la scène internationale contraint la France à signer un traité de libre-échange avec les Anglais, qui, in fine, augmentera considérablement la dette française. La fin du 18e siècle est également marquée par plusieurs révoltes populaires dans nombre de pays occidentaux, tels que les Etats-Unis, la Suisse, les Pays-Bas autrichiens ou encore les Provinces Unies hollandaises. Cette période de révolution, communément appelée la « Révolution atlantique », va également gagner la France.

Progressivement, la corrélation de tous ces facteurs structurels et conjoncturels aboutira aux événements de 1789 que l’on connaît aujourd’hui. « A l’époque, on est dans une période de plus en plus tendue, on sent une véritable volonté de réforme et de changement dans la société. Et à partir de 1783, on a ces dérèglements climatiques qui vont accentuer cet aspect de stress, en raison des mauvaises récoltes, des difficultés d’approvisionnement de grains vers Paris, qui vont accroître le mécontentement de la population. Ces événements vont finalement jouer et contribuer à l’explosion de la société en 1789 », assure François Antoine.

L'accès aux denrées alimentaires est source de tensions sociales, à l'époque. Crédit: Universal Images Group, Christophel Fine Arts (from McIlvenna, 2019).

L'accès aux denrées alimentaires est source de tensions sociales, à l'époque. Crédit: Universal Images Group, Christophel Fine Arts (from McIlvenna, 2019).

L'hiver est rude pour les paysans. Crédit: Johannes Janson (Public Domain) via Wikimedia Commons

L'hiver est rude pour les paysans. Crédit: Johannes Janson (Public Domain) via Wikimedia Commons

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788. Crédit: Louis Hersen (Public domain) via Wikimedia Commons

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788. Crédit: Louis Hersen (Public domain) via Wikimedia Commons

Un nouveau Laki dans un
futur proche ?

En conclusion, l’influence de l’éruption du Laki sur la Révolution française, si elle s’explique par un effet papillon plutôt que par un réel effet de causalité directe, ne peut être sous-estimée. De manière générale, l’influence de l’activité volcanique sur notre société ne peut non plus être minimisée. On se souvient notamment de l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull , en 2010, qui, malgré une intensité bien moindre que le Laki, avait entraîné d’importantes perturbations sur le trafic aérien partout en Europe.

Les éruptions aussi puissantes que celle du Laki ne sont pour autant pas exceptionnelles. « Ce type de grande éruption avec un impact mondial sur le climat a lieu relativement régulièrement, environ tous les deux ou trois siècles », précise la vulcanologue Karen Fontijn. « Ce n’est d’ailleurs pas exclu que cela se reproduise dans les prochaines années », avertit-elle. Et la vulcanologue de s’interroger si, à l’image de la pandémie actuelle, notre société est réellement préparée à un tel bouleversement…

Crédit: AP