Tunnel sous la Manche

l'histoire de la lutte contre les passagers clandestins




INTRODUCTION

Le tunnel sous la Manche occupe actuellement toute l’attention. En cause : la crise des migrants. Nombreux sont ceux qui ont fui le continent africain, la misère et la guerre pour tenter de trouver une vie meilleure dans nos contrées. Dans leur entreprise périlleuse à bord d’embarcations de fortune, ils sont beaucoup à ne jamais atteindre l’Europe, la Méditerranée étant sans pitié. Parmi ceux qui y arrivent, certains tentent d'atteindre l’Angleterre. Comment ? En essayant une dernière percée non plus sur l’eau mais en dessous, via les sous-terrains. Ces derniers mois, ils sont ainsi des milliers à avoir tenté – en vain - leur chance. Ici aussi, certains le paieront au prix de leur vie. Si le tunnel sous la Manche fait la une de l’actualité, il a connu par le passé d’autres tentatives marquantes. Dans notre dossier « Il était une fois », nous vous proposons de revenir sur ces migrants qui, bien avant la situation actuelle, ont forcé à revoir en profondeur la sécurité au sein du passage sous-marin. Nous verrons comment une telle traversée s’apparente à un parcours du combattant et détaillerons les raisons qui poussent ces personnes à prendre tous les risques pour arriver en Angleterre. Des Anglais qui, avant même la construction du tunnel, redoutaient déjà ces arrivées…

1. DES CRAINTES DE TRAVERSÉES À L’ABOUTISSEMENT D’UN LONG PROJET

Dès le 18e siècle, des ingénieurs réfléchissent à la possibilité de relier la France et l’Angleterre par un pont ou un tunnel. Il faut toutefois attendre 1874 pour que soit lancé le premier projet digne de ce nom, avec pour but de réaliser « en l’espace de 99 ans » un tunnel ferroviaire foré. Des puits sont alors creusés de chaque côté de la Manche, à une vitesse de 400 mètres par mois. Mais neuf ans plus tard, alors que plus de 3 kilomètres de galeries ont déjà été réalisés, les travaux capotent et les trous sont murés.

La faute en revient aux Anglais qui, en période de Grande dépression, craignent de perdre leur caractère stratégique d’île. Comme le précise l’historien Laurent Bonnaud, « les militaires anglais ont mené une formidable campagne pour dénoncer des risques d'invasion française liés à la perte d'insularité. Cela restera la doctrine officielle pendant les soixante-dix ans suivants ». Il faut en effet attendre les années 1950 pour que soit relancée l’idée d’un tunnel sous la Manche. Après trois décennies de discussions infructueuses, c’est le 20 janvier 1986 qu’est validé le projet final. Le Premier ministre britannique Margaret Thatcher et le président François Mitterrand confient la construction, estimée à 30 milliards de francs, à la société Eurotunnel. Le 6 mai 1994, après 6 années de travaux intenses, le tunnel reliant Coquelles (France) à Folkestone (Angleterre) - long de 50,5 kilomètres dont 38 sous la mer - est inauguré.

Techniquement, le tunnel sous la Manche est foré à 40 mètres sous le fond de la mer et se compose en réalité de 3 tubes : deux réservés à la circulation ferroviaire (trains Eurostar et navettes fret et poids lourds) et un tube de maintenance qui peut servir de refuge pour les passagers en cas de problème.

Au niveau sécuritaire, comme nous le confie la directrice communication d’Eurotunnel Anne-Laure Desclèves, si le site est exploité par la société privée suivant un Traité signé par la France et le Royaume-Uni (Traité de Canterbury, 1986), « la responsabilité de la sûreté appartient aux Etats concédant. France et Angleterre ont ainsi des représentants de force de l’ordre en permanence aux abords du tunnel sous la Manche (Police aux Frontières, UK Border Force, etc). »

2. DES PASSAGERS CLANDESTINS MULTIPLES… EN QUÊTE D’ELDORADO

Comme le craignaient les Anglais, la mise en service du tunnel sous la Manche a donné lieu, dès le début, à des tentatives d’arrivées sur leur territoire. Si aujourd’hui, l’actualité ne cesse d’évoquer l’exode de masse de ces migrants venus d’Afrique et qui se pressent dans la région de Calais pour tenter leur chance, le passé regorge d’exemples qui montrent que le phénomène n’a rien de neuf. Et si l'Angleterre ne fait pas partie de l'espace Schengen et que les contrôles sont très poussés aux frontières, cela ne refroidit pas les ardeurs des immigrés.

Trois voies d'accès à l'Angleterre


Concrètement, les migrants disposent de trois moyens pour rejoindre l’Angleterre. Ils peuvent tout d’abord passer par la mer via les ferries du port de Calais. Cependant, l'édification de hautes clôtures barbelées sur plusieurs kilomètres rend son accès presque impossible. Un drame en juin 2000 va faire bouger les choses : 58 Chinois qui transitaient clandestinement dans un conteneur hermétiquement fermé seront retrouvés asphyxiés à leur arrivée à Douvres et le passeur (un chauffeur routier hollandais qui transportait des tomates) écopera de 14 ans de prison.

Le tunnel sous la Manche offrira alors à tous ceux qui rêvent d’Angleterre de nouvelles opportunités. Désormais, les migrants peuvent tenter leur chance via les sous-terrains, et ce de deux façons : soit en s’infiltrant dans (ou sur) l’Eurostar, soit en s’engouffrant dans les navettes de fret et à l’intérieur des camions.

Le chaos du début des années 2000

Les intrusions de masse telles qu’on les connaît aujourd’hui ont déjà fait grand bruit au début des années 2000. Notamment à cause du retentissant dossier Sangatte, du nom de ce camp de réfugiés se trouvant à 10 kilomètres du port de Calais et à 2 kilomètres à peine du terminal de fret de Coquelles, entrée du tunnel sous la manche. Comble du sort : c’est dans un immense hangar du groupe Eurotunnel, inactif depuis la fin des travaux en 1994, que seront hébergés des milliers de réfugiés.

À l’instar des migrants actuels, ces personnes fuient leur pays et la guerre pour tenter de se rapprocher de l’Angleterre. Elles viennent principalement des Balkans, d’Afghanistan, d’Iran ou de Somalie, mais on dénombre aussi des Kurdes (d’Irak et de Turquie). Afin de canaliser leurs errances dans les parcs publics de la région de Calais, ils sont installés dans le fameux hangar de Sangatte (25.000 m²). Mais le camp, prévu pour 600 personnes, dépasse rapidement les 1.600 occupants et les conditions de vie y sont exécrables.

De nombreux réfugiés vont alors multiplier les tentatives clandestines. Le soir de Noël 2001 marquera les esprits avec un exode de masse par le tunnel sous la Manche. Cette nuit-là, près de 550 occupants du camp de Sangatte envahiront de force le sous-terrain. Fils barbelés, points de contrôle, vigiles… Rien ne les arrête. 129 d’entre eux parviendront à pénétrer jusqu’à 7 kilomètres à l’intérieur du tunnel. Mais des renforts policiers mettront un terme à leur échappée. 400 autres réfugiés emboîteront alors le pas mais seront eux aussi stoppés par les grenades lacrymogènes des CRS. Suite aux arrestations, un Afghan et trois Irakiens seront condamnés à 4 mois de prison et 305.000 euros de dédommagement.

Le camps de Sangatte fermera finalement ses portes en 2002 mais aura laissé de grandes traces au niveau de la sécurisation du tunnel sous la Manche (voir troisième partie). Est-ce pour autant la fin des tentatives d’intrusion ? Pas du tout. Tous les mois, jusqu’à la crise des migrants que l’on connaît aujourd’hui, de nouveaux réfugiés essaieront. La seule différence, depuis Sangatte, c’est que ceux-ci ne sont plus logés dans un cercle fermé, mais laissés complètement à l’abandon au beau milieu de la campagne.

Pourquoi rejoindre l’Angleterre ?

On le voit, tous les migrants (ou réfugiés) en attente à Calais partagent un but ultime : atteindre l’Angleterre. Mais pourquoi le pays d’Outre-Manche est-il perçu comme un « Eldorado » ? Plusieurs raisons l’expliquent.

Premièrement, depuis 1998, la bonne santé de l'économie britannique attire bon nombre de candidats à l'immigration. Ceux-ci savent bien qu’il leur sera plus facile de trouver du travail en Angleterre (où le taux de chômage est de 5,6 %, contre 10% en France). De plus, le travail au noir est beaucoup moins contrôlé du côté britannique.

Deuxièmement, le droit d’asile – qui assure allocation, logement et système de santé gratuit - est plus facile à obtenir en Grande-Bretagne. Ainsi, selon des chiffres de l’Office de statistique de l’Union européenne (Eurostat), 39% de demandes d’asile ont été acceptées au Royaume-Uni en 2014, pour seulement 22% côté français. Et quand bien même cet asile serait refusé, le clandestin passe plus facilement entre les mailles en Angleterre, puisqu’il n’y a pas de carte d’identité.

Enfin, troisième argument qui explique cette envie de Grande-Bretagne, c’est la langue. De nombreux réfugiés sont anglophones et il est toujours plus agréable de circuler dans un pays où vous pouvez comprendre et être compris.

3. UN TUNNEL DONT ON VOIT RAREMENT LE BOUT

Comme on a pu le détailler dans le chapitre précédent, ils sont très nombreux – hier et aujourd’hui – à avoir tenté une intrusion vers l’Angleterre. Pourtant, seuls des cas isolés y arrivent. Cela s’explique par l’important dispositif de sécurité qui est mis en place. Si le nombre de migrants va croissant à Calais, les moyens pour les empêcher de franchir le tunnel sous la Manche ont aussi considérablement évolué. À tel point qu’arriver sur le sol anglais constitue un véritable parcours du combattant.

Une entreprise risquée, voire mortelle


Sur toute l’année 2001, en pleine affaire Sangatte, 5 personnes trouvent la mort dans leur tentative d’invasion. Certaines se feront écraser par un train, d’autres électrocuter ou encore renverser par une voiture sur l’autoroute longeant le terminal.

En 2014, 14 décès de migrants sont constatés et plus récemment, depuis le 1er juin, 10 personnes ont péri en tentant la traversée.

Pourtant, Abdul Rahman Haroun, un clandestin soudanais de 40 ans, est parvenu début août à déjouer tous les systèmes de sécurité et à gagner l'Angleterre. « S'il n'est pas arrivé jusqu'à Folkestone, l’extrémité anglaise du tunnel, il a néanmoins réussi à passer la frontière avant d'être interpellé par la police du Kent, un fait rarissime », selon un porte-parole d'Eurotunnel interrogé par Le Figaro. « Ce type d'intrusion criminelle dans le tunnel sous la Manche est un événement extrêmement rare, à la fois illégal et très dangereux. Il a couru des risques significatifs de blessures graves voire même de mort. Les trains passent dans le noir entre 130 et 160 km/h, il aurait très bien pu être happé. D'habitude les personnes qui s'introduisent sur le site essaient de grimper dans les navettes ou dans un camion, elles ne se lancent jamais à pied. »

Si l'individu va passer devant un tribunal de Canterbury et pourrait écoper de deux ans de prison, son exploit risque de décupler les ambitions d'autres migrants.

Un dispositif de sécurité en constante évolution
Si les personnes ayant réussi à franchir le tunnel sous la Manche illégalement sont rares, c’est parce que le groupe Eurotunnel a investi pas mal d’argent afin d’assurer la sécurité du site. Et ce n’est pas rien puisque côté français, il y a plus de 650 hectares de terrains à sécuriser.

En 2000, afin de refroidir l’ardeur des passeurs, une amende de 3.000 euros est instaurée pour les chauffeurs embarquant des clandestins dans leurs camions. La même année, Eurotunnel lance un système de sondes permettant de vérifier toute présence humaine à l’intérieur des navettes de fret et les États français et anglais se mettent d’accord pour un renforcement des contrôles des passagers de chaque côté du tunnel.

Durant les remous de l’affaire Sangatte, Eurotunnel multiplie par dix ses effectifs de surveillance, des sentinelles patrouillant jour et nuit. Le groupe rehausse également ses grillages (présents dès les origines pour éviter que le public n'entre sur un terminal ferroviaire), tout en les électrifiant et en y ajoutant des barbelés. Enfin, un important système de caméras-surveillance est mis en place afin de détecter les mouvements suspects.

De nouvelles mesures mais…
Suite aux événements des derniers mois, comme nous le confie la directrice communication d’Eurotunnel Anne-Laure Desclèves, « le groupe fait ses meilleurs efforts pour protéger les migrants malgré eux des risques encourus à entrer sur un site ferroviaire. Plus de 160 millions d’euros ont été investis en sécurisation, dont 13 millions d’euros juste au premier semestre. Les effectifs de gardiennage ont été doublés au premier semestre. Le site est équipé de nouveaux moyens de surveillance (caméras thermiques, etc). Il a été regrillagé une nouvelle fois avec en partie l’aide du gouvernement anglais. Quotidiennement, les forces de l’ordre se coordonnent avec les équipes d’Eurotunnel pour intercepter les migrants qui tentent d’entrer au péril de leur vie. »


Dernièrement (jeudi 20 août), face à l’afflux des migrants à Calais, les gouvernements français et britanniques viennent de renforcer leur coopération. Des policiers anglais seront envoyés en renfort en France et un centre coordonné pour lutter contre les passeurs sera établi des deux côtés du Tunnel.

Si les mesures de sécurité sont revues systématiquement en fonction de la menace, le nœud du problème, lui, reste inchangé. Car, comme le confie le directeur général de France Terre d’Asile Pierre Henry à France Info, Calais restera toujours le « cul-de-sac migratoire des politiques européennes ». Une situation qui dure depuis près de 20 ans…



LIGNE DU TEMPS : LES DATES CLÉES



CREDITS PHOTOS ET VIDEOS

AFP
Photonews
Reporters
Youtube

ina.fr
France TV Info

BFM TV

EQUIPES

Simon Legros

Journaliste

Pauline Oger

Chef de projet

Dorian de Meeûs

Rédacteur en chef

Raphaël Batista

Designer