Taycan

Le virage électrique de Porsche

Pour Porsche, la présentation du Taycan en septembre 2019 est aussi historique que le lancement de la 356 en 1948 ou de la 911 en 1963 : avec elle, le constructeur de Stuttgart-Zuffenhausen entre de plain-pied dans l’ère de l’électromobilité. D’ici 2025, Porsche estime que la moitié de ses ventes seront électrifiées.

Le Taycan est le premier véhicule tout électrique à batteries de la marque allemande. Ses prix, qui vont de 111 533 euros à 157 844 et 191 724 euros, selon les performances, le placent dans le luxe sportif. Il sera l’une des vedettes du prochain Salon de l’automobile de Bruxelles, qui se déroule au Heysel, à Bruxelles du 10 au 19 janvier.

Montage robotisé, transport automatisé, traçabilité absolue : avec le Taycan électrique, Porsche entre dans l’ère de l’industrie 4.0. Pour la série Dans le secret des lieux, La Libre vous propose une immersion dans l'usine allemande.

Des implantations ultramodernes

Méconnaissable. En quelques mois, le site où sont produites les 911, référence en matière de voiture de sport, a profondément évolué. En cause, l’arrivée de la petite – manière de dire – nouvelle voiture électrique, l’un des enjeux de la mobilité du futur. Chez Porsche, l’on n’est pas peu fier de dire que la nouvelle usine, qui est en fait une usine dans l’usine, a été construite pendant que l’usine d’origine continuait à sortir des 911 et des 718 au rythme de 250 unités par jour. Pendant que 12 000 personnes œuvraient à la construction et à l’assemblage des voitures, quelque 2000 ouvriers et 200 cadres faisaient sortir du sol de nouvelles implantations, ultramodernes.

Les nouvelles installations sont donc éparpillées dans les plus anciennes, elles-mêmes incluses dans le tissu urbain qui constitue l’arrondissement de Zuffenhausen, dans la banlieue nord de Stuttgart. Un montage un peu complexe et donc relativement coûteux – l’investissement total pour l’usine Taycan est de 700 millions d’euros. « On aurait pu construire beaucoup moins cher dans les prés environnants, explique Gabriele Di Furia, directeur de production, mais on l’a fait ici, selon l’esprit Porsche. »

L’idée était en effet de construire le Taycan, novateur et porteur d’espoir, là d’où est sortie la première 356, le 6 avril 1950. Au départ, Ferry Porsche pensait en réaliser environ 500 unités, mais lorsque la production cessa, en 1965, pour laisser la place à la 911, quelque 76 000 voitures, coupés et cabriolets, étaient sorties d’usine. Construire le Taycan à Zuffenhausen a donc une portée hautement symbolique. « Nous n’avons pas seulement pris en compte l’aspect économique, mais aussi la dimension historique », souligne Albrecht Reimold, directeur production et logistique de Porsche AG.

1. Construction
de la carrosserie

C’est par un ballet de robots jaunes, savamment chorégraphié par l’homme, que commence la vie du Taycan. Géographiquement, l’atelier de construction de la carrosserie, dénommée « caisse en blanc » en jargon, car elle se présente dans sa nudité métallique, est situé au centre du dispositif industriel Porsche à Zuffenhausen. Par poste de travail, de 6 à 8 voire 10 machines jaunes, souvent à têtes multiples et fonctionnant sur six axes, assemblent les différents éléments de tôle d’aluminium et les pièces de structure en alu ou aciers spéciaux. Les têtes des robots soudent, collent, posent les rivets dans des bruits de machine hydraulique et électrique, avec parfois des crépitements d’étincelles, des sons vrillés.

Sur un poste, les carrosseries peuvent rester de plusieurs secondes à quelques minutes. Les machines se retirent ensuite dans un mouvement d’ensemble synchronisé comme la cavalerie de la Garde républicaine française à la parade. Il n’y a pas âme qui vive dans ces ateliers entièrement robotisés, jusqu’à un stade avancé de finition où des mains humaines, expertes et gantées, effleurent les surfaces métalliques lisses. Un premier contrôle rigoureux et méthodique, alors que se dessine la silhouette nette, fluide, d’une simplicité sportive, du Taycan. Des caractéristiques qui sont aussi celles de l’historique 911, dont les carrosseries sont produites en parallèles à celles du nouveau modèle électrique...

2. Peinture automatisée

Une fois assemblée, la carrosserie en blanc, fixée sur un support mobile, fait le grand plongeon dans un bain d’apprêt, une sorte de saut périlleux à 360 degrés dans une grande piscine. Nous sommes dans le tout nouvel atelier de peinture, qui fait la fierté des autorités de Porsche. Dégoulinantes, les carrosseries passent au séchage brossage, avant que d’autres robots, comme habillés de rouge, n’ouvrent capots et portières et n’aspergent la peinture. Au bout de chaque bras, ils ont l’air de tenir une bombe vaporisateur. Une couche, une deuxième, une troisième qui ressemble à de la laque, et c’est le tunnel de lumière, le retour des femmes et des hommes aux gants blancs qui parcourent avec leurs mains et suivent avec leurs yeux la surface peinte, toute leur acuité en alerte. C’est donc cela : jusqu’ici, la plupart des gestes techniques sont effectués par des machines automatiques, tandis que les contrôles sont confiés à l’acuité sensorielle humaine.

3. Fabrication du moteur

La complémentarité entre l’homme et la machine prend une nouvelle dimension dans le hall d’assemblage des moteurs. Le plus surprenant, dans cet espace, est de trouver d’un côté de gros V8 essence turbocompressés utilisés notamment dans les Cayenne et Panamera hybrides et, de l’autre, les machines de traction électriques du Taycan ! Ce moteur pesant 78 kg, le rotor est mis dans le stator à l’aide de robots très précis et très puissant. La base du moteur électrique assemblée, la suite se fait à la main : câblage, vissage, boulonnage, le plus souvent avec des outils à la fois ergonomiques et collaboratifs, des cobots.

Une fois assemblé, le bloc moteur rejoint dès lors, sur un support automatisé, le banc test où sa fonctionnalité est mise à l’épreuve : connexions, acoustique, résistance sont l’objet de tous les contrôles.

4. Assemblage final carrosserie

Il est temps de mettre tout ça ensemble, dans le hall d’assemblage final, qui se trouve à peu près à un kilomètre de l’atelier d’où sortent les carrosseries peintes ! Qu’à cela ne tienne, les ingénieurs de Porsche ont conçu un long pont transporteur de 911 mètres, tiens tiens, reliant les deux sites principaux en traversant des zones industrielles mais aussi habitées de Zuffenhausen. Ce pont de convoyage est l’un des prix à payer pour produire le Taycan sur le site historique de Porsche ; il témoigne de cette volonté.

On retrouve l’importance de l’humain dans cet assemblage final. Dans un bruissement d’atelier, les divers éléments sont assemblés dans ce qui ressemble de plus en plus à une automobile. Les balancelles qui la supportent ont une amplitude inédite de 110°. Elles positionnent la voiture à l’endroit voulu, dans l’axe et à la bonne hauteur pour que l’opérateur puisse travailler avec des mouvements naturels, sans contorsions inutiles et épuisantes. Des sous-ensembles comme le tableau de bord sont introduits par des opérateurs manipulant directement des cobots.

5. Assemblage final
chaîne de traction et plateforme

D’un autre côté, ce qu’on appelle communément la chaîne de traction – moteurs électriques, essieux, suspensions, disques de freins, etc. - ainsi que la plateforme, incluant la lourde batterie de 800 volts (contre 400 habituellement) et ses équipements, se rassemblent eux aussi. La plupart des sous-ensembles sont véhiculés par ces véhicules à guidage automatique (VGA), comme on en croise aussi de nombreux à l’usine Audi Brussels, où des ingénieurs de Porsche sont venus s’informer.

« Le système de transport automatique nous permet de travailler de la façon la plus flexible, souligne Albrecht Reimold, nous produisons ainsi la voiture telle que souhaitée par le client. » Ce qui fait dire au directeur production et logistique : « La chaîne de production n’existe plus en tant que telle chez Porsche. Mais l’être humain reste au centre de l’attention. » Comme les chariots élévateurs, les véhicules de transport automatisé portent les couleurs de la marque en compétition : noir, blanc, rouge !

6. Mariage, finitions,
tests et sortie d’usine

D’un côté la carrosserie presque entièrement équipée arrive par le haut, de l’autre la plateforme terminée, portée par un véhicule automatique guidé, se positionne sous cette carrosserie dans laquelle elle vient s’imbriquer. Bingo, le Taycan est né ! Ce mariage – c’est bien peu romantique – est totalement automatisé, y compris le vissage de la batterie haut voltage.

Mais comment cette opération réussit-elle à chaque fois ? Comment ne retrouve pas des éléments de 911 sur le Taycan, l’une et l’autre suivant des chemins qui finissent par se recouper ? Chez le constructeur, on parle d’usine Porsche 4.0 : « La production est intelligente et interconnectée, de l’entrée de commande à la prise en main du véhicule », explique un ingénieur. « La fiche de données accompagnant le véhicule est une puce, ou carte d’accompagnement numérique qui maintient opérateurs et programmateurs en contact. »

Couplé à la robotisation et aux transporteurs automatisés, ce système de traçabilité absolue permet non seulement d’assembler le plus rigoureusement la voiture telle que configurée par le client, mais aussi de produire plusieurs modèles, avec différents types de motorisation, dans la même usine.

Après avoir reçu ses derniers équipements intérieurs (sièges, garnissages, etc.) et extérieurs (roues, rétroviseurs…), c’est bon, le Taycan est parti pour une batterie de tests statiques, dans un nouveau tunnel lumineux, un local de projection d’eau pour l’étanchéité, sur rouleaux et enfin sur une piste de 4 km. Pour un véhicule électrique, dont la signature sonore est relativement discrète, on sera particulièrement attentif aux bruits parasites.

Conscience environnementale

Bon, le Taycan peut alors partir vers sa destinée. Le client de cette voiture de sport peut être rassurée : il est naturel qu’un véhicule sans émissions locales soit produit sur un site le plus propre possible, et neutre en CO2. Électricité verte, biogaz, eaux recyclées, camions et autres transports électrifiés : tout concourt à la préservation de l’environnement. En termes de gaz à effet de serre, la production est responsable de 50 % des émissions, les autres 50 % venant de l’utilisation du véhicule et de son recyclage. Déjà neutre en CO2, l’usine de Zuffenhausen n’aura plus aucun impact environnemental d’ici 2025, l’objectif étant d’être zéro émissions en 2050. Pour peu qu’il fasse le plein d’électricité verte et pilote de manière éco-responsable, le conducteur d’un Taycan peut dès lors rouler la conscience environnementale tranquille, ou presque.

Identification d’une Porsche

Le principe, c’est qu’une Porsche se reconnaisse au premier coup d’oeil. Limousine 4 portes très sportive, le Taycan s’inscrit dans le segment C du portefeuille produits. C’est aussi celui de la Panamera dont il tient évidemment quelque chose. Certains éléments de son style font également écho à la dernière génération de 911 et à la 918 Spyder, notamment l’avant, très bas, très large. En définitive, le Taycan a les proportions d’une Porsche sport, avec d’impressionnantes ailes avant dont la tradition remonte loin dans l’histoire de la marque, à la 906 et à l’emblématique 917, doublement victorieuse au Mans.

Prises et sorties d’air, montant C caractéristique, arrière plat et fluide, soubassement caréné, y compris – c’est nouveau - au niveau des essieux : « Tout est optimisé pour l’aérodynamisme, explique Robert Meier, responsable véhicule. Avec un Cx d’une valeur de 0,22, le Taycan réalise la meilleure performance du portefeuille. »

Un bolide à la hauteur

Même si, dans son cas, on est très loin de la suralimentation d’un moteur thermique, le Taycan sera, dans un premier temps, disponible en deux versions, Turbo et Turbo S, selon une tradition bien ancrée à Zuffenhausen. Une version d’entrée de gamme dénommée 4S suit. Pour le haut de gamme, avec l’équivalent de 626 ch maxi – 760 avec l’overboost - et un couple de 1050 Nm, la première Porsche électrique avale le 0 à 100 km/h en 2,8 secondes. Sur les 2,295 kg de poids total de la voiture, la batterie, d’une capacité de 93 kWh, représente une masse de 650 kg, située dans le bas de la caisse. Sachant que la voiture est longue, près de 5 m, et ne dépasse pas 1,38 m en hauteur, on a évidemment un centre de gravité très bas, « le plus bas de toutes les Porsche, selon Ralf Hässler,responsable de la gestion thermique, pour qui « la probabilité qu’elle se renverse est donc très faible. » Surtout, cela en fait un bolide avec des performances à la hauteur, dignes d’une Porsche.

Outre la sensation de sécurité qu’il procure, ce centre de gravité très près du sol participe à la performance de la voiture et à un plaisir de conduite encore renforcé par la transmission intégrale, à deux moteurs indépendants sur les essieux. Quant aux roues arrières directionnelles, elles améliorent la manoeuvrabilité à basse vitesse et la stabilité à vive allure. Ce à quoi s’ajoute le fait que « le conducteur du Taycan a une position semblable à celle qu’on a dans la 911, dixit Christopher Gutierrez-Diaz, responsable design intérieur. Plutôt que d’y être simplement assis, il fait corps avec le véhicule. »

Le secret autorisant ces performances est lié à la fois à la tension du système électrique et aux caractéristiques de la double motorisation. Sur le Taycan, la tension a été élevée de 400 à 800 volts. Ce faisant, « on économise un peu d’énergie, on gagne en temps de chargement de la batterie et les performances sont constamment reproductibles », selon Robert Meier.

Accélérations à répétition

Quant aux moteurs, actifs sur chacun des deux essieux, ils ne sont plus asynchrones, comme cela se fait généralement, mais synchrones à aimant permanent. Pour Heiko Mayer, responsable du groupe propulseur, ces moteurs « combinent une haute densité d’énergie avec de hautes performances soutenues et une efficacité maximale. » Ce type de machine synchrone à aimantation ou excitation permanente (PSM, Permanent magnet Synchronous Motor) bénéficie de l’expérience course, puisqu’elle a été engagée, avec succès, sur la 919 Hybrid aux 24 Heures du Mans.

Les avantages de la technologie PSM sont nombreux : elle permet plus de longévité et de reproductibilité des accélérations, car le champ magnétique constant maintenu par le rotor génère moins de chaleur que celui créé par le stator, dans le cas du moteur asynchrone. Le poids du moteur synchrone est par ailleurs réduit, tout comme son encombrement. « Le seul désavantage, ce sont les aimants embarqués qui contiennent plus de cuivre, note Heiko Mayer, ils coûtent plus cher mais nous avons décidé de les intégrer. »

Et deux vitesses, deux ! Une première...

Pour ajouter encore à l’efficacité, le Taycan bénéficie d’une boîte à deux vitesses à l’arrière, rallongeant ainsi la transmission à vitesse élevée. Inversement, « en départ arrêté, pour avoir davantage de couple sans consommer plus, la transmission plus courte donne une accélération plus rapide tout en garantissant une reproductibilité élevée », selon Heiko Mayer. Tension électrique, capacité batterie et onduleurs (convertisseurs CC/CA), moteurs synchrones, gestion thermique et boîte à deux vitesses font qu’il est possible d’enchaîner des accélérations d’avion de chasse, avec « une reproductibilité jusqu’à dix fois minimum. »

Ces mêmes éléments, auxquels s’ajoutent l’aérodynamisme, le centre de gravité bas et les roues arrières directionnelles, assurent un comportement typiquement Porsche à la voiture, qui demande toujours l’implication de son pilote. D’ailleurs, pas question de privilégier la conduite monopédale généralement de mise sur les véhicules électriques, lorsque le freinage et la récupération d’énergie cinétique s’obtiennent en levant le pied de l’accélérateur. Sur le Taycan, selon Ingo Albers, directeur châssis « on veut avoir la régulation de la décélération sous le pied, pour permettre la conduite sportive ».

Préservée, cette philosophie de la marque fait qu’on passe très facilement, sans problème d’adaptation, d’une 911 à un Taycan. Porschiste dans l’âme, bienvenue dans l’ère électrique.


Photos : Porsche / Reporters